Par Phil Hine
ANNEXES
Les essais qui suivent ont été choisis, car il s’agit de textes pouvant intéresser et inspirer les lecteurs désirant avoir un autre éclairage sur la Magie du Chaos, et non pour étoffer un ouvrage plutôt mince. Beaucoup sont déjà parus dans la revue Nox, ou ailleurs… Donc, si vous les avez déjà lus, allez regarder une vidéo ou faire autre chose.
LIGNES DE FRACTURE
« Si la Volonté s’arrête et s’écrie Pourquoi, invoquant Parce Que, alors la Volonté s’arrête et ne fait rien ». Liber AL, II, 30.
Je me retrouve possédé par un démon. Obsession. Lacéré par des serres, l’amour et la haine de moi nouant mes entrailles. Hurlant ma frustration dans la nuit, le rêve brisé s’éparpillant autour du lit.
Plus tard.
Un rai de lumière traverse la nuit oppressante ; mon manteau de nuit, mon suaire auto-cousu. Connaissance. Intuition. Rire sauvage. Une voie étrange menant à la gnose. Une blessure auto-infligée me rattrape dans le présent. Je rampe à l’intérieur de mon centre, mon cercle, y grave un triangle avec ma plume. Je force le monstre à y entrer, délie les écheveaux de la forme ; moments de fragilité, de fièvre et d’attente, le désir enflammé par l’imagination. Je crée ma propre came, ma propre addiction.
S’il faut patauger dans le « fumier qliphotique », alors qu’il en soit ainsi. Mais hors de ce fumier, j’ai entamé une conversation, une histoire qui n’a pas la moindre chance de connaître une fin heureuse. Qui a voilé ma volonté, empli mes yeux de larmes. C’est moi qui ai créé ce monstre ; un golem né de mes convoitises et de mes manques, et à présent, voilà que je le démonte, pièce par pièce, évacuant le pus des passions frustrées.
Nous ne sommes que des nœuds dans une corde. Dénouons-les et nous glissons facilement au travers des éons, dans des rêves nébuleux.
Mécanismes émotionnels
Nous sommes entravés par notre passé, condamnés à répéter des schémas, des programmes écrits il y a bien longtemps ; ébauchés par la main crispée d’un enfant, confus comme une pelote de laine aux fils emmêlés ; une dialectique de moments critiques dans notre histoire personnelle. Des années plus tard, une brèche s’ouvre dans le monde, et nous qui pensions être des créatures dotées de libre arbitre et de volonté, sommes surpris par notre soudaine vulnérabilité. Pris au dépourvu, nous hésitons, et, durant ce silence, des doigts innocents, venus des profondeurs du passé, pincent des cordes ; nous nous retrouvons alors à sursauter maladroitement, sous l’emprise de monstres se multipliant d’eux-mêmes – obsessions.
Mécanismes de défense
Plus nous octroyons de valeur à un schéma émotionnel donné, plus il est probable que les informations ambiguës seront interprétées comme le corroborant. À l’inverse, les éléments qui le contredisent seront négligés ou rationalisés pour devenir plus malléables. Le conflit survient lorsque se produit une dissonance entre les désirs et les constructions mentales (n’avez-vous jamais eu peur de la puissance de vos propres désirs ?). Pour faire face à ces conflits, divers systèmes de défense peuvent être adoptés :
Agressivité :
L’agressivité est une réponse classique aux désirs frustrés et à la perte de contrôle ; à la faillite des rêves dévorants. Elle peut être dirigée contre la source de la frustration, ou contre les autres.
Apathie :
Perte de contrôle – perte de la personnalité et du soi. La machine s’arrête.
Régression :
Adulte, moi ? Retour à une posture infantile. Pleurons assez fort et quelqu’un viendra nous réconforter. Peut-être avons-nous appris que nous pouvions contrôler les autres grâce aux larmes.
Sublimation :
En d’autres termes, il s’agit de faire bonne figure. De rediriger l’énergie vers une forme plus acceptable. Mais les démons sont rusés. Évacuez-les par la porte d’entrée et ils reviendront en douce par-derrière, attendant avec toute la patience d’une araignée que vous laissiez entrebâillée la porte de votre esprit.
Intellectualisation :
Déplacer l’affect grâce aux mots. Un petit mensonge à visée esthétique devient rapidement une source de revenus pour le psychanalyste. De telles stratégies sont normales, jusqu’à ce qu’elles deviennent obsessionnelles : une boucle fermée, fonctionnant de manière aussi automatique que la respiration. Hors de contrôle.
Fantasme :
Le fantasme est la pierre d’angle de l’obsession, l’imagination s’y retrouve ficelée comme un poulet élevé en batterie ; la catharsis peut devenir catastrophique. Walter Mitty vit en chacun de nous, dans des recoins de tailles diverses [1]. Nous usons de fantasmes « de mise en marche » pour tisser du sens dans une situation neuve, de fantasmes « de maintenance » afin de poursuivre une tâche ennuyeuse, et de fantasmes « obturateurs » afin de nous persuader qu’il vaudrait mieux ne pas…
Un fantasme possède un immense pouvoir, et dans les phases de grande anxiété, nous pouvons imaginer des milliers de résultats, bons et mauvais (surtout bons) relatifs à ce qui est craint/espéré sur le moment. Le fantasme se maintient dans une tension continuelle entre l’envie de le réaliser et celui de le maintenir en tant que fantasme – pour éviter de le perdre. Car, évidemment, toute tentative pour le réaliser menace son existence. Il en résulte une boucle autarcique, consolidée par nos mécanismes de défense favoris, flagellée par notre peur de l’échec et notre désir de résultat. L’obsession embrume la raison, entrave notre capacité d’agir, au point que tout le reste semble dénué d’importance. C’est une lutte de traction de corde, assortie d’une double contrainte. Le désir de maintenir le fantasme en tant que tel peut être plus fort que le désir de le réaliser.
En termes occultes classiques, je décrirais une forme-pensée comme étant un monstre engendré des viscères les plus sombres de l’esprit, nourri d’énergie psychique, revêtu d’imaginaire et alimenté via des cordons ombilicaux qui se sont entrelacés durant les années de croissance. Nous possédons tous nos propres Tunnels de Set, établis en nous par l’habitude et l’élaboration de schémas psychiques, s’amoncelant les uns sur les autres. La forme-pensée nous chevauche comme un singe ; sa queue est fermement entortillée autour de la colonne vertébrale d’un moi perdu de vue depuis de longues années déjà ; une version antérieure de nous-mêmes fonctionnant machinalement à un stade de peur, de souffrance ou de désir.
Ainsi sommes-nous faits ; dans les moments d’égarement, nous sentons le souffle chaud du monstre sur notre nuque, ses griffes labourant nos muscles et nos chairs ; nous dansons comme des marionnettes dont les ficelles sont là depuis des années. Dans un éclair aveuglant de perspicacité, ou mieux, sur les douces remontrances d’un ami, nous pouvons discerner le mensonge : le programme. Il est tout d’abord nécessaire de voir qu’il y a un programme. Pour pouvoir dire peut-être que cette créature est mienne, mais qu’elle n’est pas totalement moi.
De là, la proie devient le chasseur, déchirant l’obsession en petits morceaux, nommant ses fragments, recherchant des bribes de sens dans ses entrailles. Les amoindrissant, les dévorant, ôtant une par une les pelures de l’oignon.
C’est en soi une magie aussi puissante que n’importe quelle sorcellerie. Dénouer les nœuds que nous avons entrelacés et emmêlés ; débrouiller les fils de l’expérience et repérer grâce aux couleurs les chaînes du hasard. Cela peut nous rendre plus libres, plus à même d’agir efficacement, et moins susceptibles de répéter les vieilles erreurs.
Tout cela a un côté casse-tête chinois. Nous ne pouvons appréhender que le présent, et il faut un intense effort de mémoire pour percevoir l’échafaudage sous-jacent.
L’emprise de l’obsession se compose de trois éléments :
Cognitif : nos pensées et nos sentiments relatifs à la situation. Ils doivent être impitoyablement analysés et fauchés par le vipassana [2], le bannissement ou autre stratégie similaire.
Physiologique : les réactions anxieuses du rythme cardiaque, du tonus musculaire et de la pression sanguine. Le corps doit être apaisé par la relaxation et le Pranayama [3].
Comportemental : ce que nous devons faire (et plus souvent, ce que nous ne faisons pas). D’ordinaire, notre comportement obsessionnel est inapproprié et potentiellement nuisible aux autres. Il est généralement nécessaire que d’autres personnes nous le fassent remarquer. Des techniques analytiques comme le I Ching ou le Tarot peuvent être utiles.
La colère du monstre me fait sursauter, me coupe le souffle, je me sens pris au piège. Tous les chemins envisageables sont jonchés de verre brisé. Le désespoir me conduit chez un ami. Il y a de la magie, en tout cas suffisamment, dans le fait d’aller demander de l’aide à quelqu’un. Un tirage du I Ching me conseille à la fois l’action et la non-action, de refuser le piège permanent du manque de confiance en soi. L’exercice du Pranayama me permet de me débarrasser de la tension physique (enfin, en grande partie). Le monstre rapetisse en flageolant sur ses jambes maigrelettes au travers des souvenirs gelés du passé, se dissolvant enfin en un tas de débris miroitants.
Indice : je continue à les ajuster les unes aux autres, mais les images générées ne m’effraient plus.
NOTES
[1] Walter Mitty est le héros de The Secret Life of Walter Mitty, un texte de James Thurber (1941) dont a été adapté le film éponyme. Il est en quelque sorte l’équivalent américain de notre Madame Bovary. NDT.
[2] Vipassana bhavana, ou « développement de la vision supérieure » est une méthode de méditation découverte par le Bouddha. Elle consiste à prêter attention de façon intense à la réalité. NDT. [3] Pranayama : connaissance et maîtrise des énergies vitales, particulièrement par la respiration. NDT.
HURLEMENT
Le Babillage : un dérèglement délibéré des significations – orchestrant une cacophonie personnelle, une descente dans les profondeurs du subconscient, afin de s’y confronter à ses « habitants » et les brider.
Ceci est un bref compte rendu d’une exploration personnelle des « démons » de ma propre psyché. Plutôt que me baser sur des protocoles existants, pour les raisons déjà explicitées, j’ai préféré développer une approche toute personnelle. Je ne livre pas ce compte rendu pour imposer aux autres cette approche, mais dans l’espoir qu’il aidera ceux qui expérimentent de leur côté diverses techniques. Je ne souhaite pas non plus critiquer ou invalider les systèmes traditionnels de la goétie, je dirais simplement qu’ils ne sont pas pour moi.
Ce travail débuta de façon plutôt inoffensive, par la compilation d’un « Livre Noir », une dissection de la personnalité, en termes d’habitude, de défauts, de fautes, d’idéaux, tout ce que j’étais, voulais être, ou refusais d’être. Inclinaisons, aversions, attirances et dégoûts. Puis les autoportraits, rédigés à la troisième personne : portrait positif, portrait neutre, portrait négatif. Un CV, une notice nécrologique. À tout cela fut ajouté un « Livre des Gaffes » compilant toute erreur, tout souvenir gênant, des extraits de livrets scolaires, lettres et photographies faisant resurgir de douloureux souvenirs.
Des extraits choisis furent enregistrés sur cassette, puis les cassettes assemblées de façon à donner une série de cut-up. Une forme délibérée de chirurgie psychique : casser le vase pour le mouler de nouveau.
Puis les inévitables aménagements sociaux ; se tenir à l’écart des autres, une si vieille nécessité, pour que vos démons ne dérangent point l’imprudent, mais également pour éviter qu’un quidam vous tombant dessus par mégarde, ne vous prenne pour un psychotique et ne vous enferme dans un asile.
Je décidai de me contenter d’une nourriture simple, riche, facile à préparer. Avec une réserve d’herbe pour un coup de pouce chimique. Des drogues ? Qui en a besoin ? En attendant, quelques substances naturelles peuvent aider à faire avancer les choses.
Le temple : noir, sans fenêtres, sans ornements, mais pas vide ! Sur les pourtours de la pièce, j’entassai tout un bric-à-brac. Des planches, un seau d’argile, des bouteilles, des postes de radio cassés, des rebuts provenant d’un terrain en construction, des pots de peintures, des outils, un pistolet à peinture, tout ce dont je pourrais avoir besoin, et quelques trucs supplémentaires.
Mettre à jour l’Habitant Intérieur : Légion est son nom.
Je me préparais à une descente dans le labyrinthe, afin d’y faire la connaissance des « Oubliés », avec seulement le plus petit des fils d’Ariane pour m’y retrouver. Pourquoi prendre de tels risques psychologiques ? C’est le voyage intérieur, le ventre de la baleine, la fête des Prédateurs. Pourquoi partir seul, sans la sécurité de rituels et bannissements testés et approuvés ? Eh bien, je n’ai aucune confiance en tous ces vieux livres, ces moines fous, leurs Nécronomicons et Sceaux blasphématoires. À quel prix, la connaissance interdite ? Environ 7€ en édition de poche, voilà. Ridicule ! Je décidai donc de compiler un grimoire vivant. Un produit de l’ère technocratique, dont j’allais employer les débris pour façonner mes rêves. « Le Hurlement » – le sifflement, la vocifération, les cris parasites de radios captant des ondes mortes.
À présent, au travail ! Une structure lâche étant requise (c’était du moins mon parti-pris), je mis au point une hiérarchie basée sur les travaux du psychologue Abraham Maslow, incluant les démons de « survie » – faim, soif, etc., les démons de « l’Ego » (amour-propre, image de soi, etc.), et des conceptions plus abstraites telle la soif de connaissance ou de sagesse. Plus bas se situe le niveau hiérarchique, plus primitifs sont les désirs qui s’y trouvent.
Les techniques : inonder et vomir (manger et excréter) – inonder la conscience d’images données, mettre bas (évoquer) le démon, lui donner forme, corps, et pour finir un nom ou un sceau. Les cassettes cut-up de la personnalité avaient pour rôle d’agir comme des sceaux auditifs – des orages émotionnels suscités par la remise en mémoire intense (répétition) de groupes de souvenirs – lâcher les hyènes du cynisme sur un but ou une idée qui vous est chère.
Les moyens de la Gnose : surcharge sensorielle, hyperventilation, de vieilles fréquentations comme la faim, la soif ou l’épuisement. 120 heures sans sommeil parent la conscience d’un beau « liseré » paranoïde.
Rendre les images cohérentes : peindre avec ses doigts, façonner de l’argile mélangée à des fluides corporels et des excréments, sculpter à l’aide de verre brisé, et les méthodes plus classiques : sceaux, écriture automatique, dessins effectués d’un seul trait.
Ce sont les moyens par lesquels prennent forme les « Oubliés » – ces « psychographes », accumulés dans les coins du temple, qui lui donnent l’aspect chaotique d’une œuvre de Spare. Mais hélas, ils sont bien en dessous des images et des visions qui dansent autour de moi. Je hurle : « Un autre tas de merde pour le Grand Livre ? » et tape dessus à coups de marteau, puis m’effondre, épuisé, avec des haut-le-cœur, sur le sol du temple. Les lignes rouges du yantra-circuit sur le sol sur le sol me semblent particulièrement moqueuses et indifférentes à mes efforts. Il y a dans ma tête comme une sensation de « violente torsion », le craquement de mes vertèbres brisées, animal impuissant dont on tord le cou, et des noms jaillissent de ma gorge :
ZZZNNNAAAAAAA SHKAAA GNAAAAA IIAAAA
Et les chacals font irruption pour se nourrir, et je me mets à rire, car tous ont mon visage.
J’émerge de ce moment dans une sorte de détachement serein, momentanément vidé de toute autre sensation. Je fais le tour du temple, comme si je voyais tous ces détritus pour la première fois, en examinant soigneusement le désordre, en considérant chaque œuvre à demi achevée, comme si elle ne me concernait en rien. Je peux même donner des noms à certaines de ces œuvres : « Tu es Uul – la peur de l’échec, tu es Hamal – la culpabilité qui n’a pas disparu ». Ces noms, et leurs sceaux, constituent la base d’un alphabet des contraintes.
La seconde partie de cette opération consista à expérimenter avec l’alphabet obtenu – assujettir les démons pour en faire des armes magiques destinées à un usage ultérieur. La phase initiale terminée, je dormis environ dix-huit heures, et me réveillai affranchi du délire frénétique que j’avais élaboré. Au cours des six mois qui suivirent, je traversai des accès périodiques de dépression, de paranoïa et de dégoût de moi-même. Lorsque cela survenait, l’emploi des sceaux et des noms appropriés permettait de bannir ces démons, de les renvoyer dans leurs bouteilles.
EXTASE TECHNIQUE
La plupart des techniques magiques destinées à engendrer un état modifié de conscience (EMC) peuvent être rangées dans l’une de ces deux formes de Gnose physiologique : Inhibitrice ou Excitatrice. Au cours des deux dernières décennies, bon nombre de ces techniques ont été étudiées dans des conditions de laboratoire, et deux facteurs importants ont été isolés, connus respectivement comme la Réaction d’Accoutumance et de la Réaction de Désaccoutumance.
La réaction d’Accoutumance concerne les processus neurologiques qui surviennent lorsqu’un individu se concentre sur une seule donnée, à l’exclusion des autres, autant qu’il est possible de le faire. Ainsi, toute technique visant à concentrer la conscience sur une unité, comme le mantra-yoga, le contrôle du souffle, le chant, le tournoiement ou la danse, oriente l’esprit vers un point focal choisi. Cet exercice a un effet particulier sur une région du pédoncule cérébral connue sous le nom de Formation Réticulaire. La Formation Réticulaire est, en quelque sorte, un système de censure qui « décide » quel stimulus sensoriel sera transmis aux centres supérieurs. C’est, par exemple, l’action de la Formation Réticulaire qui permet à une personne endormie de ne pas être réveillée par des bruits familiers, alors qu’un bruit inconnu la tirera de son sommeil.
Du fait que la Formation Réticulaire module l’expérience perceptive du cortex cérébral, une seule donnée, toujours la même, peut servir à « amortir » l’activité de la Formation Réticulaire. Ce phénomène inhibe en retour l’activité du cortex cérébral, centrant ainsi la conscience sur l’objet désiré. De cet « endormissement » cortical, semble résulter un « haut degré de cohérence neuronale » (comme l’a postulé Karl Pribram). Une hypothèse affirme que la quiétude engendrée dans le cerveau par la réaction d’accoutumance réduit la quantité de « bruit » cérébral, à savoir les signaux neuronaux incohérents. Des schémas d’habitude indistincts les uns des autres se rendent clairs à la conscience, de sorte que nous devenons plus conscients du monde extérieur et que pouvons percevoir des aspects plus subtils de nos expériences. Ainsi, plus l’activité neurologique se fait ordonnée et cohérente dans le cortex, plus nous accédons à une conscience plus vaste et plus englobante de nos expériences.
À l’inverse, si le cortex cérébral est surstimulé, du « bruit » est engendré dans nos structures neuronales, de sorte que notre conscience de l’environnement s’en trouve réduite.
D’autres types d’exercices magiques ne cherchent pas à centrer la conscience sur un point unique, mais à l’élargir jusqu’à ce que l’individu puisse avoir en permanence conscience du champ total de l’expérience – à la fois intérieure et extérieure. On trouve des exemples de ces techniques dans le Vipasana du tantrisme, l’Attention du Zen, ou la technique de « rappel à soi » de Gurdjieff. Des recherches montrent que les pratiquants avancés ne s’habituent jamais aux bruits de fond, et qu’ils gardent pleinement conscience d’actes normalement automatiques. De telles techniques sont généralement connues sous le nom de Métanoïa – apprendre à regarder le monde de diverses manières. Il semble que les modifications dans le schéma neuronal produites par ces processus servent à « désaccoutumer » la Formation Réticulaire aux stimuli. Ainsi, après une séance de méditation, le monde semble plus vif ou plus neuf, parce que la fréquence des impulsions neuronales se trouvant à la base de l’expérience consciente a tout d’abord été « ralentie », puis de nouveau stimulée, de façon à ce que ces impulsions « s’enflamment » ensuite à un rythme plus intense que la normale.
Le physicien David Bohm pense que si nous parvenions à envisager l’univers sur un mode holistique plutôt que fragmenté, alors nos esprits commenceraient à fonctionner de manière similaire, et il en découlerait « une action coordonnée » dirigée vers ce tout. C’est certainement le cas pour moi, ayant appris par l’expérience que nous vivons dans un univers Magique.
Au sujet de la Folie et des Voyages Mystiques
Les travaux d’antipsychiatres comme David Cooper et R. D. Laing ont popularisé l’idée que le syndrome complexe appelé schizophrénie est semblable, en de nombreux aspects, à un voyage mystique, et entretient des rapports étroits avec les voyages intérieurs des chamans et les odyssées des héros présents dans les mythes culturels du monde entier. Cependant, une chose est certaine : le chaman ou l’initié est un agent actif – sans peur, ce qui est rarement vrai des individus en proie à la schizophrénie.
Tout comme l’initié « en transe », les schizophrènes expriment souvent un sentiment d’impuissance sur le monde qui les entoure, la dissolution des frontières de l’ego, et la sensation d’être – d’une manière ou d’une autre – « différent » ou isolé. Il semble que nombre d’entre eux échouent à trier les stimuli significatifs de leur environnement, et éprouvent la sensation d’être écrasés par ce qui se passe autour d’eux. Il existe un large panel de théories s’attachant aux « causes » de la schizophrénie, depuis des approches purement génétiques jusqu’aux perspectives exclusivement écologistes.
Dans la perspective neurologique, une thérapie connue sous le nom d’Intégration Sensorielle a conduit à des spéculations intéressantes sur la nature de l’expérience transcendantale. Des recherches au cours de la dernière décennie ont montré que certains désagréments vécus par les schizophrènes étaient inhérents au processus de sélection des informations – c’est-à-dire trier les données importantes. Ce trouble viendrait du fonctionnement anormal d’une région du pédoncule cérébral connue sous le nom de Noyau Vestibulaire, elle aussi reliée à la Formation Réticulaire. Le Noyau Vestibulaire intègre les informations provenant des sens ; par conséquent, un problème à ce niveau de fonctionnement subcortical se manifestera par une forme ou une autre de « confusion » dans la conscience. Le déficit neurologique peut être dû à des anomalies génétiques, menant à une évolution atypique du cerveau, ou provenir de réactions au stress.
L’activité du niveau subcortical, qui achemine l’information destinée à devenir le contenu de l’expérience consciente, est selon certains neurologistes, la clé des EMC. Des chercheurs ont postulé que de tels vécus pouvaient être programmés à un niveau génétique, mais que c’est l’expérience individuelle qui décide en fin de compte si le programme va se manifester comme expérience évolutive (menant à une capacité de survie accrue) ou si le système aura plutôt tendance à « planter ».
Illumination
« L’Illumination… l’inspiration, l’éveil et la libération dépendent du succès de ces méthodes [de Gnose] » Pete Carroll, Liber Null.
L’illumination est l’objectif ardemment désiré par des milliers de personnes dans le monde, lesquelles ont employé diverses psychotechnologies et développé leurs propres psychocosmes. L’illumination a également été liée à l’emploi du LSD et d’autres drogues similaires, et – chose peut-être la plus mystérieuse entre toutes – il semblerait qu’elle puisse se produire spontanément chez des gens qui ne l’espéraient ni n’en connaissaient l’existence.
Qu’est-ce qui caractérise l’expérience de l’Illumination ? Nona Coxhead, un chercheur spécialisé dans les « États de Béatitude » recense certains facteurs prédominants :
1. Unité – affaiblissement de la frontière moi/l’autre.
2. Dépassement de l’espace et du temps comme barrières limitant l’expérience.
3. Sensations positives.
4. La conscience du numineux.
5. Un sentiment de certitude – la « réalité » de l’expérience.
6. Intuitions paradoxales.
7. Caractère transitoire de cette expérience – elle ne dure pas.
8. Changements qui en découlent dans l’attitude et le comportement.
En termes neurologiques, de telles expériences correspondent à une réorganisation de l’activité cérébrale dans son ensemble. La disparition des limites de l’ego et l’implication de toutes les perceptions laissent à penser que la Formation Réticulaire est influencée de telle sorte que les processus cérébraux donnant la sensation d’être enraciné dans l’espace-temps sont momentanément inhibés. La sensation de « flottement » souvent associée à la projection astrale et autres phénomènes de ce type, suggère que le système limbique du pédoncule cérébral (qui traite les informations proprioceptives relatives à la position du corps dans l’espace) se comporte également de manière inhabituelle.
Nous sommes les fruits de cette expérience – les intuitions, perceptions et messages ramenés sur terre par les illuminés ? L’évolution de la conscience, par le biais de ces moyens, pourrait bien constituer un important programme de survie – une façon d’aller plus loin que l’information donnée, une manière d’apprendre comment modifier le biosystème humain via l’environnement. La théorie des « structures dissipatives » d’Ilya Prigojine montre comment l’instabilité des systèmes ouverts leur permet d’être autotransformants. À la base de cette théorie, réside l’idée que le mouvement de l’énergie à travers un système y cause des fluctuations ; ces fluctuations, si elles atteignent un niveau critique (le point cuspide catastrophe), engendrent de nouvelles interactions, jusqu’à ce qu’un nouvel ensemble soit engendré. Le système se réorganise alors en un « ordre supérieur », plus complet que le précédent et réclamant plus d’énergie pour se maintenir. Il est en outre plus facilement disposé à une future transformation. Cette théorie peut également s’appliquer à l’évolution neurologique, où une psychotechnologie (ancienne ou moderne) sera utilisée comme outil de changement.
Les principales étapes du changement semblent être :
1. Changement.
2. Crise.
3. Dépassement.
4. Transformation.
5. Prédisposition à des changements ultérieurs.
Le Réflexe Conditionné
Les recherches au sein des nouvelles Sciences du Chaos commençant à saper les fondements de la réalité post-Newtonienne, toutes les disciplines basées sur cette vision du monde devront finalement être reconsidérées. Des révolutions dans les sciences commencent à se produire, impliquant un changement d’orientation d’une perspective réductionniste vers une perspective intégrationniste. Cela va de pair avec la prise de conscience de plus en plus forte qu’une révolution dans les esprits est en train de s’accomplir.
La fragmentation de la culture occidentale montre assez clairement comment la loi « diviser pour régner » est à l’oeuvre dans tous les aspects de notre expérience. Notre culture est profondément égocentrique – l’attitude prosaïque de singes brandissant des outils. Notre boucle comportementale « nous sommes supérieurs/vous êtes inférieurs » a dominé nos relations culturelles entre humains et avec les autres espèces de la planète, et il est également à la source de notions telles que le libre arbitre ou la spiritualité.
Au tournant du siècle, le passage de la religion à la science comme approche dominante pour définir la réalité, démontra que nous les singes avions besoin d’une dimension ontologique de l’acte afin de nous sentir en sécurité dans un monde de plus en plus perçu comme hostile. L’espace laissé vacant par le déclin de la religion fut rapidement comblé par les cultes de la psyché : la psychanalyse, et diverses liturgies mystiques/magiques. Ce qui offrit un mode de pensée confortable aux classes moyennes en cours de développement. L’illumination devint une façon supplémentaire de montrer qu’on valait mieux que ses voisins. Cette attitude a fini par devenir prédominante au cours des dernières décennies. Une magie pouvant être acceptée par la culture de masse perd toute sa puissance transformatrice, devient un agent du statu quo. Explorez par tous les moyens vos « mondes intérieurs », mais ne faites pas de vagues. L’évolution est sacrifiée à la sécurité. Dans un monde de chenilles, le papillon est un ennemi redoutable pour la stabilité.
L’Ego
Le concept d’Ego, provenant des cultes psychanalytiques et fermement incorporé dans notre champ d’expérience, sert à maintenir la séparation corps/esprit tellement ancrée dans notre vécu. La soi-disant pensée New Age semble préoccupée de se débarrasser de l’Ego ou de le transcender – Ego derrière lequel se trouverait, cela est sous-entendu, un Moi Supérieur. Cette fiction de Moi Inférieur/Moi Supérieur maintient la scission entre « spiritualité » et vie de tous les jours. Personnellement, je préfère l’idée que nous sommes une multiplicité de personnalités ou, comme l’affirme le Tantra une boule de corps entrelacés de Shaktis (désirs-complexes) interagissant – mais pas toutes à la fois, avec Shiva (ou Kia), la divine étincelle de conscience. Une autre idée utile est que, plutôt que « vaincre » l’Ego, il est possible de passer d’une condition Ego-centrée à une condition Exo-centrée. Dans le premier cas, le moi, maintenu dans sa cohésion par le rejet de tout ce qui n’est pas lui, est séparé des autres. Dans le second, le moi est constamment renouvelé et modifié par ses relations avec les autres.
Comme nous l’avons montré, les différentes pratiques psycho-technologiques comme la magie produisent des changements dans le système nerveux – la base des EMC et de l’apprentissage accéléré. L’un des moyens les plus anciens – et les plus controversés, d’induire de tels états est la drogue. L’utilisation, par des cultures « primitives », d’agents comme la Mescaline ou le Peyotl a longtemps été un sujet d’intérêt pour les Sciences Humaines, alors même que l’expansion de la culture des drogues à l’Ouest se heurtait à la répression et à la criminalisation. Des drogues contrôlées par ceux qui détenaient le pouvoir social furent autorisées : le tabac, l’alcool et les barbituriques – des choix de consommation considérés comme acceptables.
Il serait naïf de minimiser l’influence des drogues dans la magie occidentale, cependant l’abondance des discours moralisateurs sur le sujet va de pair avec cette idée que les EMC obtenus via les drogues ne sont pas aussi valides que ceux atteints par d’autres itinéraires. Les recherches sur l’usage et l’abus des agents psychotropes montrent que leurs utilisateurs expérimentent les mêmes effets que lors d’une Illumination obtenue par d’autres techniques. Cependant, un chercheur américain, W. N. Pankhe, a souligné que le risque le plus sérieux pouvant se présenter après l’expérience, réside dans l’effort devant être effectué pour l’intégrer dans la vie quotidienne. Pour preuve, par exemple, le nombre de victimes de l’Acide qui finirent Chrétiens Régénérés. Le LSD fut, après tout, étudié par la CIA dans les années 50 comme éventuel moyen de « lavage de cerveau ». Si vous désirez lire quelques-unes des recherches modernes sur l’Illumination via les Psychotropes, consultez les travaux de Stanislas Grof.
AUTRES LECTURES
Thundersqueak – Angerford & Lea
Magick, The Book of Lies – Aleister Crowley
Liber Null & Psychonaut – Pete Carroll
Liber Kaos – Pete Carroll
The Book of Results – Ray Sherwin
Cosmic Trigger – Robert Anton Wilson
Illuminatus ! – Robert Anton Wilson & Robert Shea
Principia Discordia – Malaclypse le Jeune
La Chasse au Snark – Lewis Carroll
The Book of Pleasure – Austin Osman Spare
Liber Cyber – Charlie Brewster
Metamagical Themas – D. R. Hofstadter
Tantra Magick – Mandrake of Oxford
IMPRO – Keith Johnstone
Practical Sigil Magick – Fra. U.D.
Secrets of the German Sex-Magicians – Fra. U.D.
Chaos Servitors : A User Guide – Phil Hine
The Spirit of Shamanism – Roger Walsh
Escape Attempts – Stan Cohen & Laurie Taylor
Chaos – James Gleick
SSOTBME – Ramsey Dukes
Azoetia – Andrew D. Chumbley
Stealing the Fire from Heaven – Stephen Mace
DU MEME AUTEUR :
Prime Chaos, disponible auprès de Chaos International Publications, BM Sorcery, London WC1N 3XX, UK
Condensed Chaos, disponible auprès de New Falcon Publications, 1739 East Broadway Rd, Suite 1-277, Tempe, AZ 85282, USA.
The Pseudonomicon, disponible auprès de Dagon Productions, PO Box 17995, Irvine, CA 92713, USA.
Un choix d’articles de Phil Hine (et d’autres auteurs) est disponible à l’adresse suivante : Chaos Matrix & Le site de Phil Hine.
Par Phil Hine
ANNEXES
Les essais qui suivent ont été choisis, car il s’agit de textes pouvant intéresser et inspirer les lecteurs désirant avoir un autre éclairage sur la Magie du Chaos, et non pour étoffer un ouvrage plutôt mince. Beaucoup sont déjà parus dans la revue Nox, ou ailleurs… Donc, si vous les avez déjà lus, allez regarder une vidéo ou faire autre chose.
LIGNES DE FRACTURE
« Si la Volonté s’arrête et s’écrie Pourquoi, invoquant Parce Que, alors la Volonté s’arrête et ne fait rien ». Liber AL, II, 30.
Je me retrouve possédé par un démon. Obsession. Lacéré par des serres, l’amour et la haine de moi nouant mes entrailles. Hurlant ma frustration dans la nuit, le rêve brisé s’éparpillant autour du lit.
Plus tard.
Un rai de lumière traverse la nuit oppressante ; mon manteau de nuit, mon suaire auto-cousu. Connaissance. Intuition. Rire sauvage. Une voie étrange menant à la gnose. Une blessure auto-infligée me rattrape dans le présent. Je rampe à l’intérieur de mon centre, mon cercle, y grave un triangle avec ma plume. Je force le monstre à y entrer, délie les écheveaux de la forme ; moments de fragilité, de fièvre et d’attente, le désir enflammé par l’imagination. Je crée ma propre came, ma propre addiction.
S’il faut patauger dans le « fumier qliphotique », alors qu’il en soit ainsi. Mais hors de ce fumier, j’ai entamé une conversation, une histoire qui n’a pas la moindre chance de connaître une fin heureuse. Qui a voilé ma volonté, empli mes yeux de larmes. C’est moi qui ai créé ce monstre ; un golem né de mes convoitises et de mes manques, et à présent, voilà que je le démonte, pièce par pièce, évacuant le pus des passions frustrées.
Nous ne sommes que des nœuds dans une corde. Dénouons-les et nous glissons facilement au travers des éons, dans des rêves nébuleux.
Mécanismes émotionnels
Nous sommes entravés par notre passé, condamnés à répéter des schémas, des programmes écrits il y a bien longtemps ; ébauchés par la main crispée d’un enfant, confus comme une pelote de laine aux fils emmêlés ; une dialectique de moments critiques dans notre histoire personnelle. Des années plus tard, une brèche s’ouvre dans le monde, et nous qui pensions être des créatures dotées de libre arbitre et de volonté, sommes surpris par notre soudaine vulnérabilité. Pris au dépourvu, nous hésitons, et, durant ce silence, des doigts innocents, venus des profondeurs du passé, pincent des cordes ; nous nous retrouvons alors à sursauter maladroitement, sous l’emprise de monstres se multipliant d’eux-mêmes – obsessions.
Mécanismes de défense
Plus nous octroyons de valeur à un schéma émotionnel donné, plus il est probable que les informations ambiguës seront interprétées comme le corroborant. À l’inverse, les éléments qui le contredisent seront négligés ou rationalisés pour devenir plus malléables. Le conflit survient lorsque se produit une dissonance entre les désirs et les constructions mentales (n’avez-vous jamais eu peur de la puissance de vos propres désirs ?). Pour faire face à ces conflits, divers systèmes de défense peuvent être adoptés :
Agressivité :
L’agressivité est une réponse classique aux désirs frustrés et à la perte de contrôle ; à la faillite des rêves dévorants. Elle peut être dirigée contre la source de la frustration, ou contre les autres.
Apathie :
Perte de contrôle – perte de la personnalité et du soi. La machine s’arrête.
Régression :
Adulte, moi ? Retour à une posture infantile. Pleurons assez fort et quelqu’un viendra nous réconforter. Peut-être avons-nous appris que nous pouvions contrôler les autres grâce aux larmes.
Sublimation :
En d’autres termes, il s’agit de faire bonne figure. De rediriger l’énergie vers une forme plus acceptable. Mais les démons sont rusés. Évacuez-les par la porte d’entrée et ils reviendront en douce par-derrière, attendant avec toute la patience d’une araignée que vous laissiez entrebâillée la porte de votre esprit.
Intellectualisation :
Déplacer l’affect grâce aux mots. Un petit mensonge à visée esthétique devient rapidement une source de revenus pour le psychanalyste. De telles stratégies sont normales, jusqu’à ce qu’elles deviennent obsessionnelles : une boucle fermée, fonctionnant de manière aussi automatique que la respiration. Hors de contrôle.
Fantasme :
Le fantasme est la pierre d’angle de l’obsession, l’imagination s’y retrouve ficelée comme un poulet élevé en batterie ; la catharsis peut devenir catastrophique. Walter Mitty vit en chacun de nous, dans des recoins de tailles diverses [1]. Nous usons de fantasmes « de mise en marche » pour tisser du sens dans une situation neuve, de fantasmes « de maintenance » afin de poursuivre une tâche ennuyeuse, et de fantasmes « obturateurs » afin de nous persuader qu’il vaudrait mieux ne pas…
Un fantasme possède un immense pouvoir, et dans les phases de grande anxiété, nous pouvons imaginer des milliers de résultats, bons et mauvais (surtout bons) relatifs à ce qui est craint/espéré sur le moment. Le fantasme se maintient dans une tension continuelle entre l’envie de le réaliser et celui de le maintenir en tant que fantasme – pour éviter de le perdre. Car, évidemment, toute tentative pour le réaliser menace son existence. Il en résulte une boucle autarcique, consolidée par nos mécanismes de défense favoris, flagellée par notre peur de l’échec et notre désir de résultat. L’obsession embrume la raison, entrave notre capacité d’agir, au point que tout le reste semble dénué d’importance. C’est une lutte de traction de corde, assortie d’une double contrainte. Le désir de maintenir le fantasme en tant que tel peut être plus fort que le désir de le réaliser.
En termes occultes classiques, je décrirais une forme-pensée comme étant un monstre engendré des viscères les plus sombres de l’esprit, nourri d’énergie psychique, revêtu d’imaginaire et alimenté via des cordons ombilicaux qui se sont entrelacés durant les années de croissance. Nous possédons tous nos propres Tunnels de Set, établis en nous par l’habitude et l’élaboration de schémas psychiques, s’amoncelant les uns sur les autres. La forme-pensée nous chevauche comme un singe ; sa queue est fermement entortillée autour de la colonne vertébrale d’un moi perdu de vue depuis de longues années déjà ; une version antérieure de nous-mêmes fonctionnant machinalement à un stade de peur, de souffrance ou de désir.
Ainsi sommes-nous faits ; dans les moments d’égarement, nous sentons le souffle chaud du monstre sur notre nuque, ses griffes labourant nos muscles et nos chairs ; nous dansons comme des marionnettes dont les ficelles sont là depuis des années. Dans un éclair aveuglant de perspicacité, ou mieux, sur les douces remontrances d’un ami, nous pouvons discerner le mensonge : le programme. Il est tout d’abord nécessaire de voir qu’il y a un programme. Pour pouvoir dire peut-être que cette créature est mienne, mais qu’elle n’est pas totalement moi.
De là, la proie devient le chasseur, déchirant l’obsession en petits morceaux, nommant ses fragments, recherchant des bribes de sens dans ses entrailles. Les amoindrissant, les dévorant, ôtant une par une les pelures de l’oignon.
C’est en soi une magie aussi puissante que n’importe quelle sorcellerie. Dénouer les nœuds que nous avons entrelacés et emmêlés ; débrouiller les fils de l’expérience et repérer grâce aux couleurs les chaînes du hasard. Cela peut nous rendre plus libres, plus à même d’agir efficacement, et moins susceptibles de répéter les vieilles erreurs.
Tout cela a un côté casse-tête chinois. Nous ne pouvons appréhender que le présent, et il faut un intense effort de mémoire pour percevoir l’échafaudage sous-jacent.
L’emprise de l’obsession se compose de trois éléments :
Cognitif : nos pensées et nos sentiments relatifs à la situation. Ils doivent être impitoyablement analysés et fauchés par le vipassana [2], le bannissement ou autre stratégie similaire.
Physiologique : les réactions anxieuses du rythme cardiaque, du tonus musculaire et de la pression sanguine. Le corps doit être apaisé par la relaxation et le Pranayama [3].
Comportemental : ce que nous devons faire (et plus souvent, ce que nous ne faisons pas). D’ordinaire, notre comportement obsessionnel est inapproprié et potentiellement nuisible aux autres. Il est généralement nécessaire que d’autres personnes nous le fassent remarquer. Des techniques analytiques comme le I Ching ou le Tarot peuvent être utiles.
La colère du monstre me fait sursauter, me coupe le souffle, je me sens pris au piège. Tous les chemins envisageables sont jonchés de verre brisé. Le désespoir me conduit chez un ami. Il y a de la magie, en tout cas suffisamment, dans le fait d’aller demander de l’aide à quelqu’un. Un tirage du I Ching me conseille à la fois l’action et la non-action, de refuser le piège permanent du manque de confiance en soi. L’exercice du Pranayama me permet de me débarrasser de la tension physique (enfin, en grande partie). Le monstre rapetisse en flageolant sur ses jambes maigrelettes au travers des souvenirs gelés du passé, se dissolvant enfin en un tas de débris miroitants.
Indice : je continue à les ajuster les unes aux autres, mais les images générées ne m’effraient plus.
NOTES
[1] Walter Mitty est le héros de The Secret Life of Walter Mitty, un texte de James Thurber (1941) dont a été adapté le film éponyme. Il est en quelque sorte l’équivalent américain de notre Madame Bovary. NDT.
[2] Vipassana bhavana, ou « développement de la vision supérieure » est une méthode de méditation découverte par le Bouddha. Elle consiste à prêter attention de façon intense à la réalité. NDT. [3] Pranayama : connaissance et maîtrise des énergies vitales, particulièrement par la respiration. NDT.
HURLEMENT
Le Babillage : un dérèglement délibéré des significations – orchestrant une cacophonie personnelle, une descente dans les profondeurs du subconscient, afin de s’y confronter à ses « habitants » et les brider.
Ceci est un bref compte rendu d’une exploration personnelle des « démons » de ma propre psyché. Plutôt que me baser sur des protocoles existants, pour les raisons déjà explicitées, j’ai préféré développer une approche toute personnelle. Je ne livre pas ce compte rendu pour imposer aux autres cette approche, mais dans l’espoir qu’il aidera ceux qui expérimentent de leur côté diverses techniques. Je ne souhaite pas non plus critiquer ou invalider les systèmes traditionnels de la goétie, je dirais simplement qu’ils ne sont pas pour moi.
Ce travail débuta de façon plutôt inoffensive, par la compilation d’un « Livre Noir », une dissection de la personnalité, en termes d’habitude, de défauts, de fautes, d’idéaux, tout ce que j’étais, voulais être, ou refusais d’être. Inclinaisons, aversions, attirances et dégoûts. Puis les autoportraits, rédigés à la troisième personne : portrait positif, portrait neutre, portrait négatif. Un CV, une notice nécrologique. À tout cela fut ajouté un « Livre des Gaffes » compilant toute erreur, tout souvenir gênant, des extraits de livrets scolaires, lettres et photographies faisant resurgir de douloureux souvenirs.
Des extraits choisis furent enregistrés sur cassette, puis les cassettes assemblées de façon à donner une série de cut-up. Une forme délibérée de chirurgie psychique : casser le vase pour le mouler de nouveau.
Puis les inévitables aménagements sociaux ; se tenir à l’écart des autres, une si vieille nécessité, pour que vos démons ne dérangent point l’imprudent, mais également pour éviter qu’un quidam vous tombant dessus par mégarde, ne vous prenne pour un psychotique et ne vous enferme dans un asile.
Je décidai de me contenter d’une nourriture simple, riche, facile à préparer. Avec une réserve d’herbe pour un coup de pouce chimique. Des drogues ? Qui en a besoin ? En attendant, quelques substances naturelles peuvent aider à faire avancer les choses.
Le temple : noir, sans fenêtres, sans ornements, mais pas vide ! Sur les pourtours de la pièce, j’entassai tout un bric-à-brac. Des planches, un seau d’argile, des bouteilles, des postes de radio cassés, des rebuts provenant d’un terrain en construction, des pots de peintures, des outils, un pistolet à peinture, tout ce dont je pourrais avoir besoin, et quelques trucs supplémentaires.
Mettre à jour l’Habitant Intérieur : Légion est son nom.
Je me préparais à une descente dans le labyrinthe, afin d’y faire la connaissance des « Oubliés », avec seulement le plus petit des fils d’Ariane pour m’y retrouver. Pourquoi prendre de tels risques psychologiques ? C’est le voyage intérieur, le ventre de la baleine, la fête des Prédateurs. Pourquoi partir seul, sans la sécurité de rituels et bannissements testés et approuvés ? Eh bien, je n’ai aucune confiance en tous ces vieux livres, ces moines fous, leurs Nécronomicons et Sceaux blasphématoires. À quel prix, la connaissance interdite ? Environ 7€ en édition de poche, voilà. Ridicule ! Je décidai donc de compiler un grimoire vivant. Un produit de l’ère technocratique, dont j’allais employer les débris pour façonner mes rêves. « Le Hurlement » – le sifflement, la vocifération, les cris parasites de radios captant des ondes mortes.
À présent, au travail ! Une structure lâche étant requise (c’était du moins mon parti-pris), je mis au point une hiérarchie basée sur les travaux du psychologue Abraham Maslow, incluant les démons de « survie » – faim, soif, etc., les démons de « l’Ego » (amour-propre, image de soi, etc.), et des conceptions plus abstraites telle la soif de connaissance ou de sagesse. Plus bas se situe le niveau hiérarchique, plus primitifs sont les désirs qui s’y trouvent.
Les techniques : inonder et vomir (manger et excréter) – inonder la conscience d’images données, mettre bas (évoquer) le démon, lui donner forme, corps, et pour finir un nom ou un sceau. Les cassettes cut-up de la personnalité avaient pour rôle d’agir comme des sceaux auditifs – des orages émotionnels suscités par la remise en mémoire intense (répétition) de groupes de souvenirs – lâcher les hyènes du cynisme sur un but ou une idée qui vous est chère.
Les moyens de la Gnose : surcharge sensorielle, hyperventilation, de vieilles fréquentations comme la faim, la soif ou l’épuisement. 120 heures sans sommeil parent la conscience d’un beau « liseré » paranoïde.
Rendre les images cohérentes : peindre avec ses doigts, façonner de l’argile mélangée à des fluides corporels et des excréments, sculpter à l’aide de verre brisé, et les méthodes plus classiques : sceaux, écriture automatique, dessins effectués d’un seul trait.
Ce sont les moyens par lesquels prennent forme les « Oubliés » – ces « psychographes », accumulés dans les coins du temple, qui lui donnent l’aspect chaotique d’une œuvre de Spare. Mais hélas, ils sont bien en dessous des images et des visions qui dansent autour de moi. Je hurle : « Un autre tas de merde pour le Grand Livre ? » et tape dessus à coups de marteau, puis m’effondre, épuisé, avec des haut-le-cœur, sur le sol du temple. Les lignes rouges du yantra-circuit sur le sol sur le sol me semblent particulièrement moqueuses et indifférentes à mes efforts. Il y a dans ma tête comme une sensation de « violente torsion », le craquement de mes vertèbres brisées, animal impuissant dont on tord le cou, et des noms jaillissent de ma gorge :
ZZZNNNAAAAAAA SHKAAA GNAAAAA IIAAAA
Et les chacals font irruption pour se nourrir, et je me mets à rire, car tous ont mon visage.
J’émerge de ce moment dans une sorte de détachement serein, momentanément vidé de toute autre sensation. Je fais le tour du temple, comme si je voyais tous ces détritus pour la première fois, en examinant soigneusement le désordre, en considérant chaque œuvre à demi achevée, comme si elle ne me concernait en rien. Je peux même donner des noms à certaines de ces œuvres : « Tu es Uul – la peur de l’échec, tu es Hamal – la culpabilité qui n’a pas disparu ». Ces noms, et leurs sceaux, constituent la base d’un alphabet des contraintes.
La seconde partie de cette opération consista à expérimenter avec l’alphabet obtenu – assujettir les démons pour en faire des armes magiques destinées à un usage ultérieur. La phase initiale terminée, je dormis environ dix-huit heures, et me réveillai affranchi du délire frénétique que j’avais élaboré. Au cours des six mois qui suivirent, je traversai des accès périodiques de dépression, de paranoïa et de dégoût de moi-même. Lorsque cela survenait, l’emploi des sceaux et des noms appropriés permettait de bannir ces démons, de les renvoyer dans leurs bouteilles.
EXTASE TECHNIQUE
La plupart des techniques magiques destinées à engendrer un état modifié de conscience (EMC) peuvent être rangées dans l’une de ces deux formes de Gnose physiologique : Inhibitrice ou Excitatrice. Au cours des deux dernières décennies, bon nombre de ces techniques ont été étudiées dans des conditions de laboratoire, et deux facteurs importants ont été isolés, connus respectivement comme la Réaction d’Accoutumance et de la Réaction de Désaccoutumance.
La réaction d’Accoutumance concerne les processus neurologiques qui surviennent lorsqu’un individu se concentre sur une seule donnée, à l’exclusion des autres, autant qu’il est possible de le faire. Ainsi, toute technique visant à concentrer la conscience sur une unité, comme le mantra-yoga, le contrôle du souffle, le chant, le tournoiement ou la danse, oriente l’esprit vers un point focal choisi. Cet exercice a un effet particulier sur une région du pédoncule cérébral connue sous le nom de Formation Réticulaire. La Formation Réticulaire est, en quelque sorte, un système de censure qui « décide » quel stimulus sensoriel sera transmis aux centres supérieurs. C’est, par exemple, l’action de la Formation Réticulaire qui permet à une personne endormie de ne pas être réveillée par des bruits familiers, alors qu’un bruit inconnu la tirera de son sommeil.
Du fait que la Formation Réticulaire module l’expérience perceptive du cortex cérébral, une seule donnée, toujours la même, peut servir à « amortir » l’activité de la Formation Réticulaire. Ce phénomène inhibe en retour l’activité du cortex cérébral, centrant ainsi la conscience sur l’objet désiré. De cet « endormissement » cortical, semble résulter un « haut degré de cohérence neuronale » (comme l’a postulé Karl Pribram). Une hypothèse affirme que la quiétude engendrée dans le cerveau par la réaction d’accoutumance réduit la quantité de « bruit » cérébral, à savoir les signaux neuronaux incohérents. Des schémas d’habitude indistincts les uns des autres se rendent clairs à la conscience, de sorte que nous devenons plus conscients du monde extérieur et que pouvons percevoir des aspects plus subtils de nos expériences. Ainsi, plus l’activité neurologique se fait ordonnée et cohérente dans le cortex, plus nous accédons à une conscience plus vaste et plus englobante de nos expériences.
À l’inverse, si le cortex cérébral est surstimulé, du « bruit » est engendré dans nos structures neuronales, de sorte que notre conscience de l’environnement s’en trouve réduite.
D’autres types d’exercices magiques ne cherchent pas à centrer la conscience sur un point unique, mais à l’élargir jusqu’à ce que l’individu puisse avoir en permanence conscience du champ total de l’expérience – à la fois intérieure et extérieure. On trouve des exemples de ces techniques dans le Vipasana du tantrisme, l’Attention du Zen, ou la technique de « rappel à soi » de Gurdjieff. Des recherches montrent que les pratiquants avancés ne s’habituent jamais aux bruits de fond, et qu’ils gardent pleinement conscience d’actes normalement automatiques. De telles techniques sont généralement connues sous le nom de Métanoïa – apprendre à regarder le monde de diverses manières. Il semble que les modifications dans le schéma neuronal produites par ces processus servent à « désaccoutumer » la Formation Réticulaire aux stimuli. Ainsi, après une séance de méditation, le monde semble plus vif ou plus neuf, parce que la fréquence des impulsions neuronales se trouvant à la base de l’expérience consciente a tout d’abord été « ralentie », puis de nouveau stimulée, de façon à ce que ces impulsions « s’enflamment » ensuite à un rythme plus intense que la normale.
Le physicien David Bohm pense que si nous parvenions à envisager l’univers sur un mode holistique plutôt que fragmenté, alors nos esprits commenceraient à fonctionner de manière similaire, et il en découlerait « une action coordonnée » dirigée vers ce tout. C’est certainement le cas pour moi, ayant appris par l’expérience que nous vivons dans un univers Magique.
Au sujet de la Folie et des Voyages Mystiques
Les travaux d’antipsychiatres comme David Cooper et R. D. Laing ont popularisé l’idée que le syndrome complexe appelé schizophrénie est semblable, en de nombreux aspects, à un voyage mystique, et entretient des rapports étroits avec les voyages intérieurs des chamans et les odyssées des héros présents dans les mythes culturels du monde entier. Cependant, une chose est certaine : le chaman ou l’initié est un agent actif – sans peur, ce qui est rarement vrai des individus en proie à la schizophrénie.
Tout comme l’initié « en transe », les schizophrènes expriment souvent un sentiment d’impuissance sur le monde qui les entoure, la dissolution des frontières de l’ego, et la sensation d’être – d’une manière ou d’une autre – « différent » ou isolé. Il semble que nombre d’entre eux échouent à trier les stimuli significatifs de leur environnement, et éprouvent la sensation d’être écrasés par ce qui se passe autour d’eux. Il existe un large panel de théories s’attachant aux « causes » de la schizophrénie, depuis des approches purement génétiques jusqu’aux perspectives exclusivement écologistes.
Dans la perspective neurologique, une thérapie connue sous le nom d’Intégration Sensorielle a conduit à des spéculations intéressantes sur la nature de l’expérience transcendantale. Des recherches au cours de la dernière décennie ont montré que certains désagréments vécus par les schizophrènes étaient inhérents au processus de sélection des informations – c’est-à-dire trier les données importantes. Ce trouble viendrait du fonctionnement anormal d’une région du pédoncule cérébral connue sous le nom de Noyau Vestibulaire, elle aussi reliée à la Formation Réticulaire. Le Noyau Vestibulaire intègre les informations provenant des sens ; par conséquent, un problème à ce niveau de fonctionnement subcortical se manifestera par une forme ou une autre de « confusion » dans la conscience. Le déficit neurologique peut être dû à des anomalies génétiques, menant à une évolution atypique du cerveau, ou provenir de réactions au stress.
L’activité du niveau subcortical, qui achemine l’information destinée à devenir le contenu de l’expérience consciente, est selon certains neurologistes, la clé des EMC. Des chercheurs ont postulé que de tels vécus pouvaient être programmés à un niveau génétique, mais que c’est l’expérience individuelle qui décide en fin de compte si le programme va se manifester comme expérience évolutive (menant à une capacité de survie accrue) ou si le système aura plutôt tendance à « planter ».
Illumination
« L’Illumination… l’inspiration, l’éveil et la libération dépendent du succès de ces méthodes [de Gnose] » Pete Carroll, Liber Null.
L’illumination est l’objectif ardemment désiré par des milliers de personnes dans le monde, lesquelles ont employé diverses psychotechnologies et développé leurs propres psychocosmes. L’illumination a également été liée à l’emploi du LSD et d’autres drogues similaires, et – chose peut-être la plus mystérieuse entre toutes – il semblerait qu’elle puisse se produire spontanément chez des gens qui ne l’espéraient ni n’en connaissaient l’existence.
Qu’est-ce qui caractérise l’expérience de l’Illumination ? Nona Coxhead, un chercheur spécialisé dans les « États de Béatitude » recense certains facteurs prédominants :
1. Unité – affaiblissement de la frontière moi/l’autre.
2. Dépassement de l’espace et du temps comme barrières limitant l’expérience.
3. Sensations positives.
4. La conscience du numineux.
5. Un sentiment de certitude – la « réalité » de l’expérience.
6. Intuitions paradoxales.
7. Caractère transitoire de cette expérience – elle ne dure pas.
8. Changements qui en découlent dans l’attitude et le comportement.
En termes neurologiques, de telles expériences correspondent à une réorganisation de l’activité cérébrale dans son ensemble. La disparition des limites de l’ego et l’implication de toutes les perceptions laissent à penser que la Formation Réticulaire est influencée de telle sorte que les processus cérébraux donnant la sensation d’être enraciné dans l’espace-temps sont momentanément inhibés. La sensation de « flottement » souvent associée à la projection astrale et autres phénomènes de ce type, suggère que le système limbique du pédoncule cérébral (qui traite les informations proprioceptives relatives à la position du corps dans l’espace) se comporte également de manière inhabituelle.
Nous sommes les fruits de cette expérience – les intuitions, perceptions et messages ramenés sur terre par les illuminés ? L’évolution de la conscience, par le biais de ces moyens, pourrait bien constituer un important programme de survie – une façon d’aller plus loin que l’information donnée, une manière d’apprendre comment modifier le biosystème humain via l’environnement. La théorie des « structures dissipatives » d’Ilya Prigojine montre comment l’instabilité des systèmes ouverts leur permet d’être autotransformants. À la base de cette théorie, réside l’idée que le mouvement de l’énergie à travers un système y cause des fluctuations ; ces fluctuations, si elles atteignent un niveau critique (le point cuspide catastrophe), engendrent de nouvelles interactions, jusqu’à ce qu’un nouvel ensemble soit engendré. Le système se réorganise alors en un « ordre supérieur », plus complet que le précédent et réclamant plus d’énergie pour se maintenir. Il est en outre plus facilement disposé à une future transformation. Cette théorie peut également s’appliquer à l’évolution neurologique, où une psychotechnologie (ancienne ou moderne) sera utilisée comme outil de changement.
Les principales étapes du changement semblent être :
1. Changement.
2. Crise.
3. Dépassement.
4. Transformation.
5. Prédisposition à des changements ultérieurs.
Le Réflexe Conditionné
Les recherches au sein des nouvelles Sciences du Chaos commençant à saper les fondements de la réalité post-Newtonienne, toutes les disciplines basées sur cette vision du monde devront finalement être reconsidérées. Des révolutions dans les sciences commencent à se produire, impliquant un changement d’orientation d’une perspective réductionniste vers une perspective intégrationniste. Cela va de pair avec la prise de conscience de plus en plus forte qu’une révolution dans les esprits est en train de s’accomplir.
La fragmentation de la culture occidentale montre assez clairement comment la loi « diviser pour régner » est à l’oeuvre dans tous les aspects de notre expérience. Notre culture est profondément égocentrique – l’attitude prosaïque de singes brandissant des outils. Notre boucle comportementale « nous sommes supérieurs/vous êtes inférieurs » a dominé nos relations culturelles entre humains et avec les autres espèces de la planète, et il est également à la source de notions telles que le libre arbitre ou la spiritualité.
Au tournant du siècle, le passage de la religion à la science comme approche dominante pour définir la réalité, démontra que nous les singes avions besoin d’une dimension ontologique de l’acte afin de nous sentir en sécurité dans un monde de plus en plus perçu comme hostile. L’espace laissé vacant par le déclin de la religion fut rapidement comblé par les cultes de la psyché : la psychanalyse, et diverses liturgies mystiques/magiques. Ce qui offrit un mode de pensée confortable aux classes moyennes en cours de développement. L’illumination devint une façon supplémentaire de montrer qu’on valait mieux que ses voisins. Cette attitude a fini par devenir prédominante au cours des dernières décennies. Une magie pouvant être acceptée par la culture de masse perd toute sa puissance transformatrice, devient un agent du statu quo. Explorez par tous les moyens vos « mondes intérieurs », mais ne faites pas de vagues. L’évolution est sacrifiée à la sécurité. Dans un monde de chenilles, le papillon est un ennemi redoutable pour la stabilité.
L’Ego
Le concept d’Ego, provenant des cultes psychanalytiques et fermement incorporé dans notre champ d’expérience, sert à maintenir la séparation corps/esprit tellement ancrée dans notre vécu. La soi-disant pensée New Age semble préoccupée de se débarrasser de l’Ego ou de le transcender – Ego derrière lequel se trouverait, cela est sous-entendu, un Moi Supérieur. Cette fiction de Moi Inférieur/Moi Supérieur maintient la scission entre « spiritualité » et vie de tous les jours. Personnellement, je préfère l’idée que nous sommes une multiplicité de personnalités ou, comme l’affirme le Tantra une boule de corps entrelacés de Shaktis (désirs-complexes) interagissant – mais pas toutes à la fois, avec Shiva (ou Kia), la divine étincelle de conscience. Une autre idée utile est que, plutôt que « vaincre » l’Ego, il est possible de passer d’une condition Ego-centrée à une condition Exo-centrée. Dans le premier cas, le moi, maintenu dans sa cohésion par le rejet de tout ce qui n’est pas lui, est séparé des autres. Dans le second, le moi est constamment renouvelé et modifié par ses relations avec les autres.
Comme nous l’avons montré, les différentes pratiques psycho-technologiques comme la magie produisent des changements dans le système nerveux – la base des EMC et de l’apprentissage accéléré. L’un des moyens les plus anciens – et les plus controversés, d’induire de tels états est la drogue. L’utilisation, par des cultures « primitives », d’agents comme la Mescaline ou le Peyotl a longtemps été un sujet d’intérêt pour les Sciences Humaines, alors même que l’expansion de la culture des drogues à l’Ouest se heurtait à la répression et à la criminalisation. Des drogues contrôlées par ceux qui détenaient le pouvoir social furent autorisées : le tabac, l’alcool et les barbituriques – des choix de consommation considérés comme acceptables.
Il serait naïf de minimiser l’influence des drogues dans la magie occidentale, cependant l’abondance des discours moralisateurs sur le sujet va de pair avec cette idée que les EMC obtenus via les drogues ne sont pas aussi valides que ceux atteints par d’autres itinéraires. Les recherches sur l’usage et l’abus des agents psychotropes montrent que leurs utilisateurs expérimentent les mêmes effets que lors d’une Illumination obtenue par d’autres techniques. Cependant, un chercheur américain, W. N. Pankhe, a souligné que le risque le plus sérieux pouvant se présenter après l’expérience, réside dans l’effort devant être effectué pour l’intégrer dans la vie quotidienne. Pour preuve, par exemple, le nombre de victimes de l’Acide qui finirent Chrétiens Régénérés. Le LSD fut, après tout, étudié par la CIA dans les années 50 comme éventuel moyen de « lavage de cerveau ». Si vous désirez lire quelques-unes des recherches modernes sur l’Illumination via les Psychotropes, consultez les travaux de Stanislas Grof.
AUTRES LECTURES
Thundersqueak – Angerford & Lea
Magick, The Book of Lies – Aleister Crowley
Liber Null & Psychonaut – Pete Carroll
Liber Kaos – Pete Carroll
The Book of Results – Ray Sherwin
Cosmic Trigger – Robert Anton Wilson
Illuminatus ! – Robert Anton Wilson & Robert Shea
Principia Discordia – Malaclypse le Jeune
La Chasse au Snark – Lewis Carroll
The Book of Pleasure – Austin Osman Spare
Liber Cyber – Charlie Brewster
Metamagical Themas – D. R. Hofstadter
Tantra Magick – Mandrake of Oxford
IMPRO – Keith Johnstone
Practical Sigil Magick – Fra. U.D.
Secrets of the German Sex-Magicians – Fra. U.D.
Chaos Servitors : A User Guide – Phil Hine
The Spirit of Shamanism – Roger Walsh
Escape Attempts – Stan Cohen & Laurie Taylor
Chaos – James Gleick
SSOTBME – Ramsey Dukes
Azoetia – Andrew D. Chumbley
Stealing the Fire from Heaven – Stephen Mace
DU MEME AUTEUR :
Prime Chaos, disponible auprès de Chaos International Publications, BM Sorcery, London WC1N 3XX, UK
Condensed Chaos, disponible auprès de New Falcon Publications, 1739 East Broadway Rd, Suite 1-277, Tempe, AZ 85282, USA.
The Pseudonomicon, disponible auprès de Dagon Productions, PO Box 17995, Irvine, CA 92713, USA.
Un choix d’articles de Phil Hine (et d’autres auteurs) est disponible à l’adresse suivante : Chaos Matrix & Le site de Phil Hine.