Les occultistes contemporains, & plus particulièrement les magiciens modernes œuvrant dans les courants de la Magick de Thelema ou de la Magie du Chaos, semblent littéralement fascinés par les mythes issus du Necronomicon de H.P. Lovecraft. Le point central de cette fascination, outre le panthéon des Grands Anciens, est & demeure Choronzon que Lovecraft connaissait sous le nom de « Yog-Sothoth ».
Mais, en vérité, d’où vient ce démon, ou cacodémon selon Dee, nouvel avatar du Mal, séducteur des faibles d’esprit & autres fols des Ténèbres ?
Chroronzon, parfois orthographié Coronzon (Dee) ou Choronzom, dont le nombre est 333 — comme celui de Ténèbres (’Hoshekhah – חשכה) — le Seigneur de l’Illusion, le Roi du Mensonge, le Gardien des Abysses, le Prince de l’Ego, l’Ayatollah de la Peur, le George W. Bush de l’Armageddon magicke — est plutôt connu aujourd’hui au travers des écrits de Crowley & des magiciens du Chaos.
Aleister Crowley en parle, d’ailleurs, longuement dans ses écrits, comme le Liber 418, & il le définit comme étant « le Briseur de Toutes les Pensées & de Toutes les Formes », gardien de la porte de Daath & gardien des Abysses.
Crowley et Victor Neuburg l’évoqueront d’ailleurs en 1904 dans le désert saharien : « Je suis-je. Je me suis enfermé moi-même afin d’échapper aux prodigues, Mon or est sain & sauf dans Ma chambre aux trésors, & J’ai fait de tous les êtres Ma concubine, & nul ne les touchera, si ce n’est Moi. Et cependant Je suis brûlé même si Je virevolte dans le vent. Il me hait & me tourmente. Il m’aurait dérobé à Moi-même, mais Je me suis enfermé & Je me moque de lui, quand bien même il Me tourmente. De Moi viennent la lèpre & la syphilis & la peste & le cancer & le choléra & la maladie. Ah ! Je m’élèverai jusqu’aux genoux du Très Haut & j’arracherai son phallus avec Mes dents, & Je broierai ses testicules dans un mortier & j’en ferai un poison afin de tuer les fils de l’homme. » Crowley, Liber 418 : La Vision & la Voix, 10e Aether, ZAX (1)
Crowley soutient que lui & Victor Neuburg évoquèrent Choronzon dans le Désert du Sahara & selon son récit, il est peu clair si Choronzon fut invoqué dans un triangle salomonique tandis que Crowley se tenait à l’extérieur ou si Crowley lui-même fut le médium par lequel le démon fut invoqué. Le récit décrit le démon projetant du sable sur le triangle de protection dans l’espoir de le détruire, avant d’attaquer Neuburg sous la forme d’un sauvage nu, le forçant à le repousser en dehors du cercle avec sa dague. Ce récit fut souvent critiqué comme étant une invention ou du moins une réécriture de l’expérimentation initiale afin de cadrer avec & de soutenir le système de croyances de Crowley.
Dans ses Confessions (chapitre 66), Crowley nous dit de ce démon : « Le Nom de Celui qui habite les Abysses est Choronzon, mais il n’est pas réellement un individu. L’Abysse est vide de toute vie ; il est empli de toutes les formes possibles, toutes vides, toutes maléfiques dans le sens véritable du terme – c’est-à-dire, insignifiantes mais malignes dans leur volonté à devenir réelles. Ces formes se meuvent stupidement & hasardeusement comme des démons de poussière & si par chance ils réussissent à s’agréger sous la forme d’un individu, ils s’écrient « Je suis Je ! » bien qu’ils sachent toujours que leurs éléments constitutifs n’ont aucune substance, si bien que le moindre dérangement les dissout. »
Le démon Choronzon provient, en fait, des écrits de l’occultiste anglais John Dee qui le mentionne dans l’un de ses journaux où il relate une communication avec les anges concernant l’expulsion d’Adam du Jardin d’Eden : « Mais, Coronzon (car c’est le nom de ce puissant démon), enviant la félicité de l’homme, & percevant que la substance la plus inférieure de l’homme était fragile & imparfaite par rapport à sa véritable essence, commença à l’assaillir & l’emporta. Par cette offense, l’homme fut maudit par Dieu & ainsi perdit-il la Félicité & son intelligence, mais ne perdit-il point totalement la faveur de Dieu. » Dans ce contexte, Choronzon est à identifier avec le Serpent de la Genèse & avec l’Ange rebelle Samaël. En ce sens, Choronzon est-il un avatar du Mal, mais d’un mal archétypal bien antérieur à sa définition par le christianisme.
De nos jours, le courant magique moderne pluri-éoniques, celui de la Magie du Chaos pour être plus précis, considère toujours Choronzon comme un être négatif, malsain, démoniaque, un avatar de tous les mauvais penchants que l’adepte doit détruire afin d’avancer dans sa voie & dépasser ainsi les illusions de son ego. Mais, si, comme tous bons magiciens du Chaos, nous pensons que « Rien est Vrai » alors, il n’est de toute façon qu’une illusion, dans la même veine que ce concept hindou de Maya. Et alors, dans une chaotique transvaluation de toutes les valeurs (si chère à Nietzsche), Choronzon, le Seigneur de l’Hallucination, devient la seule & unique Réalité Manifeste & Manifestée, & Gardien des Abysses car celles-ci ne sont que les portes du Néant dont toutes les Formes sont issues. Il devient ainsi le façonneur de Formes, le Maître de la Matière & de la Manifestation de l’Être.
La Magicien du Chaos doit se libérer & se jouer des dogmes & donc, il devrait rejeter les idoles religieuses, les cohortes moralisantes des dieux agonisants & de leurs religions afin de se dégager de la boue lénifiante de l’interdit & de la dichotomique équation « esprit = bien & matière = mal ». En ce sens, il devrait dépouiller Choronzon des oripeaux puants dont il fut habillé par les générations de magiciens chrétiens « en creux ou en relief ». Nous voulons dire, que les magiciens du Chaos devraient enfin aller par delà le « bien & le mal » tels que définis par nos aïeux & tenter de percevoir Choronzon comme un Potentiel espace-temps de Tout ce qui peut Advenir. La matière n’étant vile que sous l’angle d’une morale insane, la matière étant, si l’on comprend bien la Genèse, insufflée d’Esprit pour advenir à la Vie.
Regardons la numération associée à Choronzon : 333, & tentons de voir ce qu’elle veut nous signifier. La Kabbale nous enseigne que la Création est le Monde de la division car enfant du Beth (ב initiale du mot bereshit, commencement, premier mot de la Torah). Or, le Beth a pour valeur le deux qui est bien le chiffre de la division, de la dualité, de la création. Tandis que le 3 est le symbole de la résolution des contraires, une union née de deux polarités contraires apportant de nouvelles potentialités par le jeu continuel des associations-divisions. Voici sans doute un indice quant à l’origine de l’un des noms de Choronzon, Prince de la Dispersion ; car le 3 issu du 2 marque la dispersion, l’expansion, sans fin, ad infinitum. Cette dispersion n’est-elle pas le signe le plus évident de la Vie & de sa lutte pour trouver sans cesse de nouvelles voies à son développement ? Des êtres unicellulaires à l’homme, de l’homme à l’intelligence « artificielle », la vie se meut par multiplications, essais, mais aussi par illusions (l’amour, la sexualité ne pas autre chose et que dire du jeu de la séduction ?). L’Univers lui-même n’est pas Dispersion dans son sens le plus absolu ? Les Étoiles, les Galaxies s’éloignant les unes des autres dans une course incompréhensible vers leur destin merveilleux ? L’observation du Cosmos & des dieux, des hommes & de la nature nous enseigne bien que la Vie est fille du mouvement & non de la stagnation.
Si Choronzon est l’avatar d’Hybris, l’on devrait comprendre cela sous la lumière du Chaos & donc dépasser la peur, cette « petite mort de l’esprit », & affronter notre propre reflet dans le miroir magique. Choronzon ne peut être piège que pour ceux qui, refusant de détruire les idoles passées & mortes, restent accrochés aux illusions du Moi & des autres fantasmes, antiques ou modernes, qui ne seront jamais phares que pour les sots papillons confondant lumière & lumière… Si les mages aiment à se définir comme des papillons (symbole de l’être libre) ayant brisé le cocon (symbole des liens sociaux & moraux), ils devraient également apprendre que dans la liberté se dissimulent les pièges les plus dangereux. Cesser de se réinventer, de muter, de changer, cesser de se mouvoir dans la danse cosmique des êtres, des idées & des choses, c’est mourir, c’est stagner & devenir comme cette eau boueuse & saumâtre des marais de la conventionalité bien-pensante de soi, là où se noient les espoirs de maints mages.
Choronzon est ce que nous désirons qu’il soit. Il peut revêtir les Horreurs de la Peur ou les Délices de la Joie, &, en ce sens, le Magicien du Chaos, délaissant les dogmes anciens, peut oser librement invoquer & bannir Choronzon, aussi souvent qu’il le veut & sans peur comme l’abeille butinant la Dionaea muscipula.
Le Démon Choronzon 333. Spartakus FreeMann, nadir de Libertalia, septembre 2007 e.v. Extrait de « Notes pour la compréhension du futur antérieur » de Spartakus FreeMann.
Notes :
(1) « Zax », Aethyr de nature abyssale. C’est au fond de l’Abysse que règne Choronzon.
Illustration :Choronzon at lunch, Aleister Crowley.
Par Spartakus FreeMann
Les occultistes contemporains, & plus particulièrement les magiciens modernes œuvrant dans les courants de la Magick de Thelema ou de la Magie du Chaos, semblent littéralement fascinés par les mythes issus du Necronomicon de H.P. Lovecraft. Le point central de cette fascination, outre le panthéon des Grands Anciens, est & demeure Choronzon que Lovecraft connaissait sous le nom de « Yog-Sothoth ».
Mais, en vérité, d’où vient ce démon, ou cacodémon selon Dee, nouvel avatar du Mal, séducteur des faibles d’esprit & autres fols des Ténèbres ?
Chroronzon, parfois orthographié Coronzon (Dee) ou Choronzom, dont le nombre est 333 — comme celui de Ténèbres (’Hoshekhah – חשכה) — le Seigneur de l’Illusion, le Roi du Mensonge, le Gardien des Abysses, le Prince de l’Ego, l’Ayatollah de la Peur, le George W. Bush de l’Armageddon magicke — est plutôt connu aujourd’hui au travers des écrits de Crowley & des magiciens du Chaos.
Aleister Crowley en parle, d’ailleurs, longuement dans ses écrits, comme le Liber 418, & il le définit comme étant « le Briseur de Toutes les Pensées & de Toutes les Formes », gardien de la porte de Daath & gardien des Abysses.
Crowley et Victor Neuburg l’évoqueront d’ailleurs en 1904 dans le désert saharien : « Je suis-je. Je me suis enfermé moi-même afin d’échapper aux prodigues, Mon or est sain & sauf dans Ma chambre aux trésors, & J’ai fait de tous les êtres Ma concubine, & nul ne les touchera, si ce n’est Moi. Et cependant Je suis brûlé même si Je virevolte dans le vent. Il me hait & me tourmente. Il m’aurait dérobé à Moi-même, mais Je me suis enfermé & Je me moque de lui, quand bien même il Me tourmente. De Moi viennent la lèpre & la syphilis & la peste & le cancer & le choléra & la maladie. Ah ! Je m’élèverai jusqu’aux genoux du Très Haut & j’arracherai son phallus avec Mes dents, & Je broierai ses testicules dans un mortier & j’en ferai un poison afin de tuer les fils de l’homme. » Crowley, Liber 418 : La Vision & la Voix, 10e Aether, ZAX (1)
Crowley soutient que lui & Victor Neuburg évoquèrent Choronzon dans le Désert du Sahara & selon son récit, il est peu clair si Choronzon fut invoqué dans un triangle salomonique tandis que Crowley se tenait à l’extérieur ou si Crowley lui-même fut le médium par lequel le démon fut invoqué. Le récit décrit le démon projetant du sable sur le triangle de protection dans l’espoir de le détruire, avant d’attaquer Neuburg sous la forme d’un sauvage nu, le forçant à le repousser en dehors du cercle avec sa dague. Ce récit fut souvent critiqué comme étant une invention ou du moins une réécriture de l’expérimentation initiale afin de cadrer avec & de soutenir le système de croyances de Crowley.
Dans ses Confessions (chapitre 66), Crowley nous dit de ce démon : « Le Nom de Celui qui habite les Abysses est Choronzon, mais il n’est pas réellement un individu. L’Abysse est vide de toute vie ; il est empli de toutes les formes possibles, toutes vides, toutes maléfiques dans le sens véritable du terme – c’est-à-dire, insignifiantes mais malignes dans leur volonté à devenir réelles. Ces formes se meuvent stupidement & hasardeusement comme des démons de poussière & si par chance ils réussissent à s’agréger sous la forme d’un individu, ils s’écrient « Je suis Je ! » bien qu’ils sachent toujours que leurs éléments constitutifs n’ont aucune substance, si bien que le moindre dérangement les dissout. »
Le démon Choronzon provient, en fait, des écrits de l’occultiste anglais John Dee qui le mentionne dans l’un de ses journaux où il relate une communication avec les anges concernant l’expulsion d’Adam du Jardin d’Eden : « Mais, Coronzon (car c’est le nom de ce puissant démon), enviant la félicité de l’homme, & percevant que la substance la plus inférieure de l’homme était fragile & imparfaite par rapport à sa véritable essence, commença à l’assaillir & l’emporta. Par cette offense, l’homme fut maudit par Dieu & ainsi perdit-il la Félicité & son intelligence, mais ne perdit-il point totalement la faveur de Dieu. » Dans ce contexte, Choronzon est à identifier avec le Serpent de la Genèse & avec l’Ange rebelle Samaël. En ce sens, Choronzon est-il un avatar du Mal, mais d’un mal archétypal bien antérieur à sa définition par le christianisme.
De nos jours, le courant magique moderne pluri-éoniques, celui de la Magie du Chaos pour être plus précis, considère toujours Choronzon comme un être négatif, malsain, démoniaque, un avatar de tous les mauvais penchants que l’adepte doit détruire afin d’avancer dans sa voie & dépasser ainsi les illusions de son ego. Mais, si, comme tous bons magiciens du Chaos, nous pensons que « Rien est Vrai » alors, il n’est de toute façon qu’une illusion, dans la même veine que ce concept hindou de Maya. Et alors, dans une chaotique transvaluation de toutes les valeurs (si chère à Nietzsche), Choronzon, le Seigneur de l’Hallucination, devient la seule & unique Réalité Manifeste & Manifestée, & Gardien des Abysses car celles-ci ne sont que les portes du Néant dont toutes les Formes sont issues. Il devient ainsi le façonneur de Formes, le Maître de la Matière & de la Manifestation de l’Être.
La Magicien du Chaos doit se libérer & se jouer des dogmes & donc, il devrait rejeter les idoles religieuses, les cohortes moralisantes des dieux agonisants & de leurs religions afin de se dégager de la boue lénifiante de l’interdit & de la dichotomique équation « esprit = bien & matière = mal ». En ce sens, il devrait dépouiller Choronzon des oripeaux puants dont il fut habillé par les générations de magiciens chrétiens « en creux ou en relief ». Nous voulons dire, que les magiciens du Chaos devraient enfin aller par delà le « bien & le mal » tels que définis par nos aïeux & tenter de percevoir Choronzon comme un Potentiel espace-temps de Tout ce qui peut Advenir. La matière n’étant vile que sous l’angle d’une morale insane, la matière étant, si l’on comprend bien la Genèse, insufflée d’Esprit pour advenir à la Vie.
Regardons la numération associée à Choronzon : 333, & tentons de voir ce qu’elle veut nous signifier. La Kabbale nous enseigne que la Création est le Monde de la division car enfant du Beth (ב initiale du mot bereshit, commencement, premier mot de la Torah). Or, le Beth a pour valeur le deux qui est bien le chiffre de la division, de la dualité, de la création. Tandis que le 3 est le symbole de la résolution des contraires, une union née de deux polarités contraires apportant de nouvelles potentialités par le jeu continuel des associations-divisions. Voici sans doute un indice quant à l’origine de l’un des noms de Choronzon, Prince de la Dispersion ; car le 3 issu du 2 marque la dispersion, l’expansion, sans fin, ad infinitum. Cette dispersion n’est-elle pas le signe le plus évident de la Vie & de sa lutte pour trouver sans cesse de nouvelles voies à son développement ? Des êtres unicellulaires à l’homme, de l’homme à l’intelligence « artificielle », la vie se meut par multiplications, essais, mais aussi par illusions (l’amour, la sexualité ne pas autre chose et que dire du jeu de la séduction ?). L’Univers lui-même n’est pas Dispersion dans son sens le plus absolu ? Les Étoiles, les Galaxies s’éloignant les unes des autres dans une course incompréhensible vers leur destin merveilleux ? L’observation du Cosmos & des dieux, des hommes & de la nature nous enseigne bien que la Vie est fille du mouvement & non de la stagnation.
Si Choronzon est l’avatar d’Hybris, l’on devrait comprendre cela sous la lumière du Chaos & donc dépasser la peur, cette « petite mort de l’esprit », & affronter notre propre reflet dans le miroir magique. Choronzon ne peut être piège que pour ceux qui, refusant de détruire les idoles passées & mortes, restent accrochés aux illusions du Moi & des autres fantasmes, antiques ou modernes, qui ne seront jamais phares que pour les sots papillons confondant lumière & lumière… Si les mages aiment à se définir comme des papillons (symbole de l’être libre) ayant brisé le cocon (symbole des liens sociaux & moraux), ils devraient également apprendre que dans la liberté se dissimulent les pièges les plus dangereux. Cesser de se réinventer, de muter, de changer, cesser de se mouvoir dans la danse cosmique des êtres, des idées & des choses, c’est mourir, c’est stagner & devenir comme cette eau boueuse & saumâtre des marais de la conventionalité bien-pensante de soi, là où se noient les espoirs de maints mages.
Choronzon est ce que nous désirons qu’il soit. Il peut revêtir les Horreurs de la Peur ou les Délices de la Joie, &, en ce sens, le Magicien du Chaos, délaissant les dogmes anciens, peut oser librement invoquer & bannir Choronzon, aussi souvent qu’il le veut & sans peur comme l’abeille butinant la Dionaea muscipula.
Notes :
(1) « Zax », Aethyr de nature abyssale. C’est au fond de l’Abysse que règne Choronzon.