Esotérisme, politique et philosophie

Discours du Sous-Commandant Marcos à son Disciple sur les Barricades

Flag of the EZLN - Discours du Sous-Commandant Marcos à son Disciple sur les Barricades

Par A. R. Königstein

I

Or, tandis que la colère me tourmentait devant la souffrance et l’injustice de ce monde imparfait, et tandis que je maudissais ceux qui s’en satisfaisaient et ceux qui n’en pouvaient m’expliquer la cause, je m’abandonnai tout au fiel de mon âme en projetant à la face du policier étourdi par les coups qu’il avait auparavant reçu, un large pavé qui acheva de le laisser inconscient au milieu de la rue. Mais la fureur et les tempêtes de mon âme n’avaient pas moins été atténuées par ce sacrifice, et je demeurai tout enivré de la fièvre qui m’était monté aux tempes. Nous étions acculés au reste de notre barricade et nombres de mes frères et de mes soeurs aux drapeaux noirs et rouges gisaient sur le flanc, demandant grâce à leurs bourreaux, ou roulés dans la mêlée comme des fétus dans un torrent. Je m’arrêtai alors, le coeur frappant à tout rompre et le désespoir et la fureur à son comble, et m’abritai au pied d’un marronnier. Alors, je m’adressai, d’une voix forte couvrant les cris et les bruits de la bataille, au divin démiurge qui avait laissé faire la souffrance, les inégalités, l’exploitation de l’homme par l’homme, la déchéance de la vieillesse et le Grand Capital ; et je lui tins ces propos en brandissant mon poing vers les nuées incandescentes :

II

« – Ô, toi qui contient les vérités éternelles comme une pleine jarre de miel à l’allure modeste et au grès rugueux et irrégulier, archonte de tous les mondes et organisateur des vies humaines, rends-moi compte de la raison pour laquelle le monde est ainsi retourné ? Pourquoi y a-t-il le Mal qui règne en Prince de ce monde, dans les banques, parmi les marchands de canons et parmi les plus riches d’entre les riches ? Pourquoi les hommes et les femmes qui sont faits pour l’amour s’entre-déchirent-ils, aveugles, sous les ordres des puissants au service du Mal ? Quelle secrète impuissance te ronge pour que tu laisses ainsi ceux que tu formas, et que tu les abandonnes à la corruption et à l’esclavage ? Qui donc mine ainsi ton oeuvre ? Le Mal t’est-il, à la longue, devenu supportable ? Quant à nous, à jamais, nous avons déclaré sa perte ; mais quoi faire pour lutter contre l’empire de l’inacceptable ? Comment faire revenir les orbes célestes qui sont notre première patrie, où le Bien, le Beau, le Bon, règnent en maîtres et sans partage ? Nous avons fait tous le serment d’aider les astres en leur course divine pour qu’ils reviennent à la position juste, mais depuis que nous oeuvrons pour cette Révolution, les Dieux eux-mêmes semblent retarder l’échéance du retour dans le Plérôme. Dis-moi la raison de toutes ces choses, Ô, souverain maître de tout ce qui est dans la Nature. »

Puis devant le mutisme de celui que j’invoquai, il me vint une grande colère, telle que ma face se congestionna, et je poussai un grand cri et fis ce serment que tu vas lire ci-après :

« Je jure à l’instant, ô divin Archonte, de ne jamais séparer mon flanc du tronc de cet arbre citadin, dussé-je périr sous les matraques des valets du Capital, mon image dusse-t-elle être détournée par les faiseurs d’images et d’opinion au service des diables qui nous entretiennent dans l’illusion et le faux monde qu’ils ont créé, je jure de ne pas quitter cet arbre tant qu’il ne me sera pas révélé la raison de l’ignoble, des ordures et de l’immonde et des moyens d’y remédier. »

III

Or, à cet instant, il advint quelque chose comme un bruit foudroyant et beaucoup de nuées très sombres m’enserrèrent comme un serpent douloureux, et voici ce qu’il arriva :

La brume poussa un cri qui me fit perdre pied, et apparut tout soudain devant moi le Sous-Commandant Marcos, qui me dépassait de mille lieues. Sa stature était immense et noble ; son profil hiératique était caché à mes yeux d’homme par un voile d’étoffe purpurine tressée par la Vieille dans la Montagne. Et l’écran des fumées des encens qui s’échappaient de sa pipe noire comme une tête de corbeau l’enveloppait d’une brume bleutée mystérieuse de telle sorte que je ne savais plus s’il était homme encore, ou démon échappé du Tartare, ou métallurgiste sorti de sa forge. Et sur son front l’Etoile Rouge – qu’Elle me soit clémente – flamboyait de mille feux, comme une braise ou un joyau sans âge. Sa pipe charbonnait terriblement, comme s’il avait dans sa gueule tous les démons des enfers. Et cependant tout cela m’était agréable et mes cheveux ne s’étaient pas dressés sur ma tête à cette apparition, car je savais qu’il repoussait ainsi par tout cet équipage les loups qui terrifiaient les hommes. Il portait fièrement sur sa peau la couleur des Indiens et de tous les Peaux-Rouges, comme on brandit un étendard pour la victoire, et son regard était d’amour et ses lèvres m’accueillirent par ces mots :

« Ô Néo-Spartakiste, Rose Mystique et Luxembourgeoise, ton tourment est sincère et il m’a touché, comme il a touché le Seigneur Etranger à ce Monde, qui, de la huitième Ogdoade contemple la terre et tout ce qui vit à sa surface et qui en a la prévarication. C’est pourquoi il m’a demandé de mettre fin à tes tourments en te délivrant le très saint et très secret enseignement de la juste Révolution afin que tu puisses dès aujourd’hui répandre cette sagesse dans les coeurs de tous les hommes, et qu’elle les rende meilleurs et plus purs, et qu’ainsi tu secondes l’Archonte dans ses travaux de purification de l’Âme de l’Humanité. Mais avant, ô, mon disciple, promets-moi de ne jamais rien révéler de ce que je te dévoilerai à quiconque n’a pas le coeur assez pur pour en comprendre le sens. Car il est plusieurs sens, mais les maudits et les sourds s’arrêtent à l’apparence, ne mangeant de la noix que la coque, alors que nous, qui sommes sages, dégageons un plus haut sens, plus suave et qui ne blesse pas les dents. Que cette sagesse que par ta bouche je dévoile aux hommes, qu’aucun impur ou impie, qu’aucun homme ayant commis le meurtre ou qui a eu ses hanches souillé par l’adultère ou sa bouche par le mensonge, qu’aucuns de ceux-là ne soit mis dans le secret, car alors le monde irait vers sa fin comme tu irais toi, vers les régions où les démons t’arracheraient les viscères et te rendraient aveugle et tourmenteraient ta femme. En fais-tu ici la promesse ? »

Je répondis comme un enfant :

« – J’en fais la promesse, ô Sous-Commandant Marcos, Vainqueur de l’Oppresseur et de ses Serpents. »

IV

Alors le sous-commandant Marcos dit :

« – Cela est bien. Alors écoute mes paroles et bois-les comme un lait délicieux avec du miel, comme un petit enfançon au sein de sa mère. Sache, ô Insurgé Post-Moderne, que tu apprendras ici le secret de la théorie et de la pratique révolutionnaire qui est connue par les Sages sous un nom qui ne peut être dit, qui est un nom très saint et très secret utilisé par eux pour désigner cette sagesse délivrée aux hommes par les Dieux et qui remonte au temps où sur la terre d’Egypte les Dieux foulaient le sol que foulait le pied des hommes. En ces temps, les Dieux allaient libres parmi les hommes, ils s’unissaient à leurs femmes, et leur enseignaient les secrets de la Beauté, de la Magie et de l’Astrologie, ainsi qu’il est dit par Hénoch. La terre était en partage parmi les hommes, les grains nombreux qui y levaient étaient pris par chacun selon ses besoins, et les Dieux allaient libres au milieu des hommes, et ils conversaient librement avec eux, et les hommes pouvaient librement monter aux cieux leur rendre visite et jouer avec eux. En ces temps-là, les bêtes féroces allaient en paix au milieu des troupeaux qui étaient à tous et n’appartenaient à personne car tous appartenaient à la terre. Or, il advint qu’un jour un homme ravit la femme d’un Dieu et qu’il ourdit un complot pour lui ravir cette femme qui était fort belle car elle était une Déesse de la lune et de la terre. Il y eut alors une guerre, et les gens du Voleur s’assemblèrent autour de lui en brandissant des branches qu’ils arrachèrent aux arbres. » Voilà, dirent-ils, nous voulons aller sans crainte d’être poursuivis et attaqués. C’est pourquoi nous voulons une terre à nous, avec des vergers, et une source, et des prés pour les bêtes qui y viendront pâturer, et des hommes qui les soigneront et ramasseront la récolte tandis que nous, nous surveillerons la femme de l’un des nôtres, qui est une Déesse. « Quand ils eurent ouï ce qui fut dit, les hommes et les Dieux rièrent ensemble de la folie du Voleur de la Déesse. » Comment ? dirent-ils au Voleur, mais la terre nous donne tout, les mamelles des vaches sont si pleines de lait qu’elles se portent à nos lèvres pour que nous les soulagions ! Et la Déesse n’appartient à personne, elle se donne à qui elle aime et la veut prendre. Cesse donc de jouer ainsi, car ce jeu ne sied guère à des Dieux ni à des hommes. « 

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Or lui, le Voleur, ne voulait pas entendre les rires et les plaisantes moqueries. Il rassembla ses hommes qui renversèrent la Déesse à l’abri des regards des hommes et des Dieux ; et lui avança sur elle et la couvrit. Et eux n’entendirent rien ni ne virent rien car les hommes du Voleur faisaient par leurs corps un voile impénétrable.

Mais, les Dieux et les hommes furent lassés par ce jeu auquel ils ne voulaient jouer, et ils voulaient se réjouir ensemble de la Déesse qui était avenante et gracile. Ils étaient innocents, ne connaissaient ni la colère ni la justice, car ils vivaient en état de paix perpétuelle, et ils concédèrent au Voleur de la Déesse une terre et des hommes qui se désignèrent pour travailler pour lui à condition qu’il relâche la Déesse. En effet, en ces temps, la Nature était bonne, elle donnait ses fruits sans retenue, et les bêtes venaient auprès de l’homme lui offrir sa chaleur, sa toison et son lait, et les abeilles n’avaient pas de dard. Les hommes rièrent avec les Dieux et tous voulurent bien travailler pour cet homme voleur car en vérité, le travail n’existait pas en ces temps-là. L’homme rendit la Déesse et gagna une terre. Mais bientôt celle-ci ne voulut plus se joindre aux hommes, dont elle apprit à se méfier. Triste et solitaire depuis son enlèvement, elle conserva ses secrets de la terre et des lunaisons, prisonniers dans son ventre depuis que le Voleur l’avait couverte. Et la terre donna moins, et il fallut que les hommes donnassent plus pour avoir autant, et c’est ainsi que survint le travail. Les hommes et les Dieux virent que la folie du Voleur était une grande ruse, car il fallait désormais travailler, et lui seul s’épargnait ce fardeau grâce à ceux qui s’étaient désignés et qui travaillaient à sa place. Et tandis que les hommes étaient aux champs et aux prés, leurs femmes s’enlaidissèrent à la tâche et elles devinrent répugnantes aux Dieux qui leur dirent un jour : « Femmes des hommes, vous n’êtes plus si belles, nous vous répudions et ne vous dirons plus les secrets des Cosmétiques et de la Magie. » Il s’en suivit une grande séparation entre les hommes et les Dieux qui repartirent vers les cieux en emportant les cordes qui permettaient aux hommes d’aller les fréquenter. Et le Voleur et ses gens dirent à leurs travailleurs : « Maintenant, il faudra travailler dur, car la terre se dérobe au soc de nos charrues, les bêtes fuient quand nous venons, et nous sommes nombreux et armés, et si vous ne voulez pas travailler, nous brisons vos os avec ces pierres que vous avez taillés pour nous. Tremblants, les hommes cueillirent les fruits et firent les moissons sur une terre qui ne leur appartenait plus. Alors, quand ils eurent accumulés de quoi tous les nourrir, les hommes du Voleur leur prirent tout et leur dirent : » La terre est à nous, ce qu’elle produit aussi est à nous aussi. Prenez seulement de quoi conserver la Flamme de Vie, puisque le reste ne vous appartient pas et qu’il nous est dû car nous le possédons. Et nous, nous vivrons dans le luxe, pour nous consoler de la perte de la Déesse. « 

V

J’interrompis alors le Sous-Commandant Marcos car tout ce qu’il m’avait dit, je l’avais vu comme si cela avait été devant moi. Les images sortant de sa bouche m’avaient étourdi et je lui dis :

« – Ô, Avatar de Che Guevara, Saint Père des Hussites, Lumière de l’Orient, Faucon vengeur qui tombe sur les Valets de l’Impérialisme, Sous-Commandant Marcos, les hommes libres seront-ils à jamais soumis aux possédants, les Dieux déserteront-ils encore la terre ? N’y a-t-il pas moyen de rendre la terre à tous afin que la Déesse pardonne et que les Dieux défassent leurs cordes et qu’elles redescendent jusqu’au sol ? Ce que tu m’as dit, ô Défenseur des Opprimés m’a contrit car je ne vois pas comment renverser cette malédiction et revenir à la norme. »

 Le sous-commandant Marcos répondit :

« – Patience Spartakus, attends la fin de mon discours et tu sauras ce qu’il est advenu, et tu apprendras que rien n’est perdu. » Or il y avait un Dieu bon, qui avait pris les hommes en pitié, et qui s’était mêlé aux autres quand il fallu se désigner pour être échanger contre la Déesse. Ce Dieu avait la face humaine, toujours souriante, et il portait bien sûr la barbe, comme Bakhounine, et Marx, et Lénine, et Jaurès, mais elle était taillée en pointe, comme Faust, comme Satan, comme Trotsky, comme Lucifer. Car c’était en vérité bien de Lucifer dont il s’agissait, et dans l’enclos où il était avec les autres hommes occupés à creuser la terre, il leur délivra un message, qui est le secret de toute Révolution, que nous appelons d’un nom secret, et qui est la panacée contre le mal et la corruption, et qui rendra au monde sa forme ronde et pleine grâce au retour des Dieux. « Et, voyant mon impatience, il continua avant que je parvinsse à l’interrompre encore pour lui demander la nature de cette sagesse antique : » – Cet enseignement était oral. Mais les temps sont mûrs pour qu’il soit aujourd’hui écrit sur des tablettes et imprimé en des livres, peint sur des murs et reproduit sur des tracts. Tu as été choisi, toi, Néo-Spartakus, en ce temps de fin du monde, à la veille de l’Apocalypse pour porter témoignage du Tarot Initiatique et Subversif dans la pratique révolutionnaire, afin que, tel un raz de marée, il emporte tout du monde ancien, lave les terres polluées et prépare la venue du temps des justes et des dieux. Néo-Spartakus, ô mon disciple aimé, la Révolution n’est plus pour demain, elle est enfin pour l’instant immédiat, car tu seras celui par qui Lucifer, l’éternel exclus, va délivrer à tous les coeurs brûlants l’essence de la Révolution. Il est temps d’en finir avec la Révolution comme moyen théorique et pratique d’arriver au bonheur, il est temps de faire de la Révolution une voie de l’illumination et un chemin de Sagesse.

Et c’est toi, Néo-Spartakus, qui a été choisi pour donner à tes semblables qui souffrent de l’injustice et de l’aliénation et aux Dieux mêlés à eux cet art de la Révolution comme Sagesse et Théurgie.

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Pour ce faire, tu écouteras mes oracles en consultant les Lames du Tarot. Car c’est en lui qu’ont été compulsées toutes les Arcanes de la Réversion des Mondes. Lis-le en te remémorant les vingt-deux axiômes de la Révolution Initiatique et Libertaire. « 

VI

Je revins dans mon corps tout éperdu d’amour pour les visions que j’avais eu et pour le Sous-Commandant Marcos qui me les avait dispensées si généreusement. Tout alentour, la lutte avait fini, et les casques de C.R.S gisaient, éventrés aux côtés des pneus enflammés. La soldatesque à la solde du pouvoir avait pris la fuite et les partisans de la liberté chantaient leur victoire par les rues et préparaient les agapes. Je m’éclipsai discrètement et retournai à ma demeure d’un pas rapide car je voulais avant la nuit coucher sur le papier le récit des révélations que j’avais eu au pied de la barricade.

C’est donc pour toi lecteur, que j’écris ces enseignements sur le Tarot initiatique et subversif, selon la volonté du Sous-Commandant Marcos, afin que tu puisses toi-aussi être un Porteur de Lumière, que tu connaisses le Grand Renversement qui nous rendra la terre, les moyens de production, et surtout l’amour de la Déesse. « 

Le Fol

Le Bourgeois rend raison de ses actes. Il aime ce qui sert à quelque chose ; il déteste ce qui n’est pas efficace. Le Bourgeois reste ainsi déterminé, comme peut l’être une bête, par ses seuls besoins élémentaires auxquels il s’efforce de répondre. Le Révolutionnaire n’est pas un bourgeois, car comme le Saint ou le Martyr, il sait dire non à la nature et agir, au delà de sa propre pérennité, pour des fins gratuites et inaliénables, sans compensation d’aucune sorte. Se faisant Révolutionnaire, l’homme se hisse hors des nécessités naturelles et il s’écarte des déterminations de sa nature animale. C’est pourquoi l’horizon de la Révolution est la Sainteté – qui n’est autre que la Folie du bourgeois.

1

Le Bateleur

Le scandale est une nécessité catégorique de la Révolution. Le scandale doit demeurer gratuit, indécryptable et mystérieux, car ainsi il ne s’explique pas par des besoins. Il dévoile alors la liberté inhérente à l’action révolutionnaire.

2

La Papesse

Plus le scandale est gratuit, plus il provoque sans renvoyer à d’autres fins qu’à lui même, moins il s’explique dans le projet d’une préparation effective d’un mieux-être, plus il est révolutionnaire. C’est en cela qu’il est triomphe de la Femme, énigme charnelle, puits obscur et porte sans retour.

3

L’Impératrice

L’opulence appelle la Révolution nécessaire, plus que la faim ou l’injustice. Se méfier des bonnes récoltes, là germinent l’appel et le vertige.

4

L’Empereur

La morale révolutionnaire obéit à un impératif catégorique, pas à une nécessité limitée à une situation donnée. Plus l’acte révolutionnaire est détaché des contingences sociales et des urgences contractuelles, plus il est scandaleux, gratuit, et révolutionnaire. Les émeutes du petit peuple de Paris qui gronde affamé sous les fenêtre de Marie-Antoinette ne sont pas révolutionnaires ; la prise de la Bastille est révolutionnaire. La Révolution se dévoile donc par des actes plus symboliques que tactiques.

Ta Puissance réside donc en cela : Le panache et l’inutilité, l’avant-garde et l’improductif sont des manifestations de l’expression symbolique de l’action révolutionnaire.

5

Le Pape

Ta foi : « La raison révolutionnaire n’accepte pas les raisons. »

6

L’Amoureux

Le scandale révèle l’absoluité de la Révolution, comme le Christ témoigne l’infini amour de Dieu pour les hommes. Mais Christ est mort.

7

Le Chariot

Dans l’Emeute, il faut deux choses pour qu’elle devienne une Révolution : sentir le degré de vitalité de la Réaction, et deviner les intentions des forces armées en présence. Mais ces deux choses se ramènent à une : prendre l’initiative et toujours la conserver.

Il en est de même dans la pratique révolutionnaire individuelle. Il faut comprendre la philosophie de l’adversaire et estimer sa virulence, juger de la force d’âme de sa personnalité. Et toujours prendre l’initiative dans la charge.

8

La Justice

On ne prend bien l’initiative qu’en sentant le rythme de l’adversaire, en connaissant ses cadences et la fréquence de son souffle, de sa reptation, sa vitesse de réaction… Chaque adversaire a son rythme propre. Lorsqu’il est perçu, il faut agir au creux de ces rythmes, dans le silence entre les coups frappés par la cadence. Il faut agir entre l’inspir et l’expir de l’adversaire.

Au plus fort de la Révolution, on habituera l’adversaire à des capitulations périodiques, des replis, puis des contre-attaques foudroyantes qui l’habitueront à prendre un rythme qui lui est étranger. Le corps de la Réaction est gros, et poussif. Ses coups tuent quand ils portent, mais il portent lentement. A l’inverse, la brigade révolutionnaire pique rapidement, de la pointe de sa rapière, à un rythme très rapproché, de telle sorte que la Réaction qui cherche à répondre aussi vite, s’essouffle d’elle même, et tombe sans qu’il ne soit nécessaire de lui briser le crâne.

9

L’Ermite

Le cadre vend du vide. Il ne produit rien. Le capitalisme technicien produisait des marchandises et des ouvriers. Le néo-capitalisme produit des services, et des cadres. L’ouvrier savait le poids de sa production, la soupesait, et la sentait meurtrissant sa chair. Le cadre demande l’exploitation, l’invoque et admire son maître. Il défend le capitalisme de service jusqu’à 49 ans, âge à partir duquel, pressé comme un citron, il est jeté par ses maîtres. Il est donc expulsé comme un corps non-productif au même âge qu’un mineur au siècle passé. L’infection des voies pulmonaires laisse la place à la dépression nerveuse. Mais c’est la même exploitation qui dure.

Seulement, l’ouvrier haïssait les puissants.

Le cadre les singe et les vénère.

Le Révolutionnaire de jadis était ami de ceux qu’il secourait ; le Révolutionnaire post-moderne doit apprendre à se méfier de ceux qu’il défend et ne jamais tourner le dos à un cadre ou à un informaticien. Il devra faire l’apprentissage de la solitude. Sa force ne sera plus jamais dans la masse, – fut-elle populaire -, mais dans la lampe éternelle encagée dans sa propre carcasse.

10

La Roue de Fortune

La gloire du capitalisme n’est pas d’avoir triomphé de la Révolution. Il est d’avoir su troquer l’autocontrôle contre la hiérarchie. Cette réforme s’est faire depuis l’après-guerre ; et elle est affichée comme telle depuis la Fin du Mur.

La victoire ne s’est pas faite par les armes, dans une débauche nucléaire. Elle s’est faite par les âmes, en dressant les cadres à se faire leurs propres contrôles, à façonner leurs propres chaînes.

Le miracle du capitalisme d’autocontrôle, c’est que les sujets s’assujettissent seul, sans pouvoir extérieur coercitif.

La roue tourne, mais les eclaves restent des esclaves. Aujourd’hui seulement ils défilent fièrement et revendiquent librement leur droit au licoul et au coup de pied au cul.

11

La Force

Sache que le Révolutionnaire est la sève du chêne. Il s’écoule et circule donc, visitant les profondeurs de la terre et montant jusqu’aux jeunes pousses. Il est tout à la fois, Terre et Ciel, Tradition et Révolution. Il est le Tao. C’est pourquoi je dis qu’il emprunte une Voie. Voie rouge, voie noire, qu’importe. Toutes deux sont blanches pareillement.

Celui qui voudrait ne pas plonger sous terre se couperait de ses racines et perdrait son âme. Il serait tout extériorité, corps parmi les corps.

Or si tu veux changer l’ordre des choses, sache que la matière n’agit pas sur la matière. Il faut l’esprit.

C’est pourquoi descends dans les profondeur de la terre. C’est là qu’est la Force supraphysique qui modèle la Forme historique.

12

Le Pendu

La matière jamais ne changera la matière. La matière roule, aveugle, vers sa propre fin, elle va vers son refroidissement et sa cristallisation. Le Révolutionnaire qui croit aux forces du Prolétariat est un imbécile. Car la matière n’engendre pas autre chose que la matière, une matière alentie, épaisse et inerte.

Le bouleversement doit provenir d’un influx supérieur, car la matière est réformée et agie par l’esprit. Le moteur de la matière est l’esprit. Si tu veux donc révolutionner l’ordre social, commence par chercher au-delà les principes spirituels qui l’animent.

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Moque-toi donc des Révolutionnaires qui invoquent le Prolétariat, moque-toi des réformistes qui invoquent la gestion économique, et laisse-les oeuvrer parmi la matière. Gausse-toi de leur bagarre d’ingénieurs et de technologues. Et toi, cherche au-delà de l’usine, l’égrégore ; au-delà de la classe sociale, la caste sacrée ; au-delà de la production, l’inspiration et la grâce.

La Mort

Il y a plus d’humanité dans un aborigène qui, pendant une chasse rituelle à son animal-totem, lappe une flaque parce qu’il ignore les récipients, que dans un syndicaliste qui, pendant la grêve,veut sauver une usine parce qu’il ignore son âme.

Choisis donc bien entre la Vie qui n’est plus toi et la non-vie où tu demeures.

14

Tempérance

La Révolution est d’abord celle des Orbes Célestes. Les Astres sont des corps divins et ceux qui les animent sont des principes spirituels. Comment se pourra faire la Révolution terrestre sans le concours de l’Âme du Monde ?

15

Le Diable

La Révolution quantitative s’appelle l’Abolition de l’Etat et la fin du salariat. Elle se fait à travers un déterminisme économique, voire une fatalité sociale.

C’est normal, car ceux qui la font sont des êtres quantitatifs, matériels, emportés par les déterminismes matérialistes. C’est une morale pour les faîbles, qui se battent pour accroître leur empire, et celui de la classe qu’ils vénèrent – le Prolétariat -, dans le monde matériel, économique et social. Ils sont donc en définitive plus conservateurs que la Réaction. Une bataille de chiens galeux pour un os sec, voilà la conscience de classe ouvrière dans la Révolution quantitative.

Toi qui m’écoute et souhaite connaître la Voie Révolutionnaire, sache que tu auras deux ennemis : les forces de la Réaction, et celle de la Révolution historique. Garde ta droite et ta gauche, car tu es l’Adversaire.

16

La Maison-Dieu

La Révolution qualitative pose qu’il y a des forces supéreures à toutes les déterminations sociales, économiques, matérielles et matérialistes. Elle ne s’adresse pas à ceux qui se battent pour leur condition de vie, elle s’adresse à ceux qui savent que la vie n’est qu’une introduction à la dépersonnalisation. C’est une morale pour les forts qui sont prêts à rencontrer l’Invisible et à postuler qu’il est la seule réalité vivable.

La Révolution qualitative s’adresse à des âmes que la Réaction n’a pas encore façonné pour qu’elles répondent à ses sollicitations. Ces âmes doivent être au-dessus des déterminations socio-historiques, car elles doivent avoir été initiées à la transcendance absolue. Ce sont des âmes fortes, recrutées dans toutes les classes sociales, ayant en partage la rencontre ineffable avec l’Invisible. Celles-là ont su briser le toit de la maison.

17

L’Etoile

La société post-industrielle sait que c’est l’esprit qui informe la matière. Pour agir sur le corps social, elle façonne des âmes. La société du spectacle n’est pas une marchandise matérielle, c’est l’outil par lequel agissent les forces de la Réaction pour crééer des âmes qui agissent des corps.

Les âmes construites par la Réaction sont des petites âmes fragiles et incertaines au service de la marchandise. Elles ont peur de la paix, de l’arrêt, du silence. Elles sont les âmes du désir toujours alimenté par la propagande réactionnaire de la consommation. Elles ne connaîtront jamais le repos, le non-agir.

Les âmes construites par la Réaction sont des âmes creuses car elles ne savent plus cueillir leurs propres images, les images de leur vitalité intrinsèque ; et elles boivent, assoiffées, les images des médias qui remplissent ainsi leur propre vacuité.

18

La Lune

Le Révolutionnaire anticlérical est un imbécile. L’Eglise a depuis longtemps déserté le pouvoir spirituel ; elle est, comme le syndicalisme, d’abord soucieuse de conserver ses seuls acquis matériels. L’esclavage spirituel n’est plus ordonné par l’Eglise, il est ordonné par ces nouveaux prêtres que sont les Hommes du Spectacle. Ce sont eux qui crééent les nouveaux mythes et les nouveaux influx spirituels qui orientent la société matérielle.

Ils savent que la matière sociale est agie par les archétypes rêvés qu’ils distillent dans le cosmodrame du spectacle. Le Monde est ton rêve, Tchang-Tchéou, mais c’est Hollywood qui te rêve.

19

Le Soleil

Pendant ce temps, le Révolutionnaire s’agite autour de l’Eglise, du travail et du salariat… Il devrait plutôt retrouver son âme. Mais à force de vouloir nier son âme, il l’a bien perdu. Et les forces de la Réaction, irradiantes et triomphantes, lui en ont donné une toute faite :

Voilà, mon petit adversaire, tu ne croiras qu’à la réalité matérielle, et tu ne te battras qu’à la périphérie et à la surface des choses. Pendant ce temps, tu me laisseras agir au coeur du monde et infusant des âmes par moi façonnées. Je tuerai les anciens hommes, qui savaient qu’ils étaient Invisibles et duraient cinq mille ans. Je créérai une nouvelle race d’hommes faits de désirs factices et infantiles, et sans miroir pour voir leur dévastation intérieure. Et toi, brave chien docile, tu te battras pour que leur corps aient un toit. « 

20

Le Jugement

Le Révolutionnaire vrai laisse aux âmes végétatives le soin de se battre pour vivre dignement.

Lui a su mourir dignement, il vit maintenant parmi les âmes de feu qui crépitent silencieusement, droites au milieu des terres plates.

21

Le Monde

La Voie Révolutionnaire se soucie beaucoup de la famine. Ceux qui ont faim aujourd’hui ne sont pas les pays du Sud. La famine spirituelle est au Nord. Le tiers-monde a sa farine de manioc pour tromper le vide de son estomac. Le monde moderne a sa farine d’images pour cacher la béance de son âme. Et maintenant le Nord exporte sa famine spirituelle sur la famine corporelle du Sud.

Quand la Révolution n’était pas une Sagesse de l’Invisible Matérialisé mais une Science du Matérialisme Scientifique, il fallait donner au Prolétariat sa conscience de classe. Grâce à elle, le Prolétariat pouvait s’accaparer les outils de production, mettre à bas l’ancienne société bourgeoise, détruire enfin l’Etat, – en se l’appropriant un temps au passage dirent et firent les naïfs et les bourreaux-.

Aujourd’hui que la Révolution quantitative est morte et que naît la Révolution Animique, il faut rendre aux hommes la conscience de leur béance. Pour cela, il faut former des âmes à l’indécryptable, au secret, à l’énigme. En un mot, au Sacré. Cette caste sacerdotale, élevée seule à l’Invisible, devra s’accaparer les outils médiatiques, et instiller les Spectres et les Anges dans l’ancienne société bourgeoise. Le moteur de la vie sociale ne sera plus rationalisable, quantifiable et numérisable. Il sera en opposition radicale avec l’idéologie de la production, – véhiculée par les Réactionnaires et les Révolutionnaires de jadis -, et de la raison économique. Le contrat social, raisonnable et pragmatique sera échangé contre un lien tribal, mystérieux et spirituel. Ce sera alors, enfin, la fin du monde.

Le Révolutionnaire Post-Moderne devra être un Théurge. Il saura lier les Anges et les Démons et les faire descendre dans le lit des hommes. Il devra donc avoir été initié aux secrets traditionnels, et c’est au nom d’eux qu’il sera en révolte contre le monde moderne.

L’erreur aura été de croire à une fin de l’Histoire. L’Histoire ne s’arrête pas. Mais le Mythe revient, éternellement. C’est pourquoi il faut préférer le mythe. Lui seul pourra nous rendre le temps éternel qui coule, celui du saumon pendant le frai, du chaman pendant sa kamlénie, du Révolutionnaire pendant sa pratique.

L’Internationale Initiatique, telle est la dernière chance du Monde.

Discours du Sous-Commandant Marcos à son Disciple sur les Barricades © A. R. Königstein & Les Gouttelettes de Rosée. 1° édition Hriliu 1996, 2° édition Les Gouttelettes de Rosée 1997

Inachis02 - Discours du Sous-Commandant Marcos à son Disciple sur les Barricades 

Illustration : Paon du jour, photo par Michael Appel, 2007. Licence CC.

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Nouvelle version de KAosphOruS, le WebZine Chaote francophone. Ce projet est né en 2002 suite à une discussion avec un ami, Prospéro, qui fut à la source d’Hermésia, la Tortuga de l’Occulte. Le webzine alors n’était pas exclusivement dédié à la Magie du Chaos, mais après la disparition de son fondateur, il a évolué vers la version que vous pouvez aujourd’hui lire. L’importance de la Chaos Magic(k) ou Magie du Chaos grandit au sein de la scène magique francophone. Nous espérons apporter notre clou au cercueil… Melmothia & Spartakus FreeMann

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