Il y a fort longtemps, lorsque je militais dans un cercle d’étudiants anarchistes à l’Université de Nanterre , j’eus l’idée de poser aux « anciens » du mouvement, la question suivante :
« D’après vous, qu’y a t’il de commun entre Michel BAKOUNINE, Francisco FERRER, Pierre Joseph PROUDHON, Elisée RECLUS, Jules VALLES et Louise MICHEL ? – Ce sont tous des théoriciens de l’anarchisme, me répondirent-ils en chœur ! « Et savez-vous qu’ils étaient aussi franc-maçons ? »
Ma réponse les embarrassa plus qu’autre chose et je me rendis compte à quel point ce fait était ignoré dans le milieu libertaire … voire tabou.
Pour répondre à la question « Dans quelles conditions et pourquoi Louise Michel est entrée dans la Franc-maçonnerie ? » il a fallu que je replace l’évènement dans le contexte maçonnique de l’époque.
J’ai structuré le présent texte en trois parties : en essayant de faire court :
1°/ La Franc-maçonnerie mixte française du début du siècle :
La Loge « Les Libres Penseurs » à l’Orient du Pecq de la Grande Loge Symbolique Écossaise (GLSE 1880 – 1895)
La Grande Loge Symbolique Écossaise mixte de France « Le Droit Humain » (1893-1901) qui deviendra L’Ordre Maçonnique Mixte International « Le Droit Humain » le 12 Juin 1901.
La Grande Loge Symbolique Écossaise « maintenue et mixte » (GLSE II) (1897-1911)
2°/ L’initiation de Louise Michel le 13 Septembre 1903 ( à la Loge « La Philosophie Sociale » G.L.S.E. II « maintenue et mixte » ) suivie de sa première conférence le 14 septembre 1903 ( à la Loge « Diderot ») sur le thème du féminisme.
3°/ La courte vie maçonnique de Louise Michel (1903-1905)
1°/ La Franc-maçonnerie mixte française du début du siècle
1.1 – La Loge « Les Libres Penseurs » à l’Orient du Pecq de la Grande Loge Symbolique Écossaise (GLSE) 1880 – 1895
Vers la fin du 19ème siècle en France, la maçonnerie écossaise (masculine) était regroupée au sein d’une obédience (aujourd’hui disparue) appelée Suprême Conseil De France (SCDF)
La dénonciation des statuts monarchiques du SCDF , par certains de ses Ateliers provoqua une dissidence de 12 loges , qui fondèrent le 11 Juillet 1880 La Grande Loge Symbolique Écossaise (GLSE).
Elle se réclama, selon l’expression de Goumain-Cornille, du principe du « Franc-Maçon libre dans la loge libre » c’est-à-dire débarrassée de la tutelle d’un Suprême Conseil… et d’un Grand Architecte de l’Univers
Il évoque les principes de la nouvelle Obédience : aux Suprêmes Conseils, l’administration des hauts grades, aux Grandes Loges, le gouvernement des Ateliers symboliques. Cette obédience resta modeste, ne comportant guère plus de 37 loges, mais joua un rôle déterminant :
C’est au sein d’un atelier de la GLSE : la Loge « Les Libres Penseurs » à l’Orient du Pecq ; qu’une certaine Maria Deraismes fut initiée le 14 janvier 1882.
Contre l’avis des députés des loges de la GLSE (qui souhaitaient fusionner avec le Grand Orient) la Loge « Les Libres Penseurs » inscrivit le principe de l’initiation féminine dans son règlement intérieur et se proclama Loge autonome le 9 Janvier 1882, quelques jours avant l’initiation de Maria Deraismes (le 14 janvier 1882) en présence de George Martin membre de la Commission exécutive de la GLSE.
Cette première tentative de constitution d’une loge mixte n’eut pas de suite et la loge se mit en sommeil.
La GLSE fusionnera avec quelques loges du SCDF pour donner La Grande Loge de France (GLDF) en 1895.
1.2 – La Grande Loge Symbolique Écossaise mixte de France « Le Droit Humain » (1893-1901)
Deux ans avant la dissolution de la GLSE , le 14 Mars 1893 : Maria Deraismes initie 17 femmes.
Parmi elles : Marie Bequet, Clémence Royer, Maria Martin, Anna Feresse-Deraismes, Marie Pierre, Marie-Georges Martin.
Le 1er avril 1893, ces dernières ayant atteint la maîtrise (sic), Maria Deraismes affilie Georges Martin et crée une loge mixte.
Le 4 avril 1893, est déposée au Ministère de l’Intérieur la charte de La Grande Loge Symbolique Écossaise « Le Droit Humain », obédience qui se veut mixte et internationale selon le dessein de sa fondatrice.
Le rayonnement de la GLSE mixte de France « Le Droit Humain » est important et de nombreux féministes, hommes et femmes demandent à y entrer.
La tradition de l’Ecossisme est basée sur l’existence d’un Suprême Conseil, chargé de délivrer les patentes constitutives d’ateliers travaillant jusqu’au 33e degré.
Décembre Allonier, féministe convaincu et 33e du Grand Collège des Rites du GODF, élève plusieurs membres de la nouvelle obédience au 33e degré, dont Georges Martin (qui ne possédait que le 30e degré, obtenu à la GLSE).
Le Suprême Conseil Universel Mixte International est proclamé le 11 Mai 1899.
Les Constitutions de l’Ordre indiquent que les membres travailleront au Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA).
La Grande Loge Symbolique Écossaise mixte de France « Le Droit Humain » ne devient L’Ordre
Maçonnique Mixte International « Le Droit Humain » que le 12 Juin 1901.
Une maçonnerie mixte s’étend à travers les continents, sous la (pesante) houlette d’un Suprême Conseil International.
En France, les Ateliers du Droit Humain sont généralement féministes et rationalistes.
En terre anglo-saxonne (avec Annie Besant) ils servent de support à la théosophie.
1.3 – La Grande Loge Symbolique Ecossaise « maintenue et mixte » (GLSE II) (1897-1911)
En novembre1895 un « Congrès de la fusion écossaise » réunit les Loges bleues du SCDF et la GLSE.
La réunification n’aboutira pas immédiatement, mais la Grande Loge de France (GLDF) sera créée.
Deux loges de l’ancienne GLSE refuseront cette union : La n°24 « Diderot » et la n°42 « Les Inséparables de l’Arc-en-ciel ». Le 23 Juin 1897 se tiendra une réunion « dans le but de réorganiser l’obédience de la GLSE »
La GLSE « maintenue » (GLSE II) conservera la Constitution de la première GLSE.
Le premier président élu est Raoul Urbain (1837/1902), ancien membre du Conseil de la Commune condamné aux travaux forcés à perpétuité mais libéré par l’amnistie.
La Constitution définitive est votée le 10 Juin 1901. La déclaration de principes, placée en préambule, présente la nouvelle devise de l’obédience « Liberté Egalité Fraternité Solidarité ».
Elle se réfère explicitement au rationalisme et se veut anti-religieuse.
Une obédience originale venait de naître : « La GLSE, maintenue et mixte »
L’autre originalité de cette obédience est l’attitude d’ouverture, voire d’alliance envers la GLSE mixte de France « Le Droit Humain » (réception de membres du DH)
Le 20 décembre 1899, le Vénérable Haas de la Loge « La Philosophie Sociale » déclare dans son allocution de bienvenue que sa loge (je le cite) « fondée sur les idées socialistes libertaires, devait arriver forcément à admettre les S.’. maçonnes à participer à ses travaux… »
C’est dans une Loge de la GLSE « maintenue et mixte » que sera initiée Louise Michel le 13 Septembre 1904.
Entre-temps, une crise provoqua la rupture entre la GLSE II et le Droit Humain.
Si les deux obédiences sont mixtes et féministes, elles sont de sensibilité politico-philosophiques différente.
La GLSE II est majoritairement libertaire, le Droit Humain est plutôt radicalisant (proche du parti radical.ndlr).
Les membres de la première prônent l’union libre et l’avortement, les adhérents de la seconde défendent une vision plus « bourgeoise » de la famille, des moeurs et de la société.
La GLSE « maintenue et mixte » se disloquera vers 1911 à la suite de dissensions internes.
2°/ L’initiation de Louise Michel le 13 Septembre 1903 , suivie de sa première conférence le lendemain sur le thème du féminisme.
2.1 – L’initiation – 13 Septembre 1903 à la Loge « La Philosophie Sociale » de la GLSE II
Dans une lettre, Madeleine Pelletier revendique l’honneur d’avoir conduit Louise Michel jusqu’à la Maçonnerie : « Deux mois après mon initiation, je faisais entrer Louise Michel afin de me servir de sa notoriété universelle comme d’un puissant levier pour la propagande de mes idées et j’organisais seule, pendant le Convent de 1904, des tenues exceptionnelles qui eurent, grâce à Louise Michel , un succès sans précédent. »
En effet, le 13 Septembre 1904, la loge n°3 « La Philosophie sociale » initie trois profanes devant plus de 500 maçons dans le petit Temple de la rue Rondelet :
– Henri Jacob,
– Louise Michel
– Charlotte Vauvelle, libertaire, amie, accompagnatrice et compagne de Louise Michel depuis 1895.
Elle est accueillie par Charles Malato de Cornet (1857/1938) déporté en Nouvelle Calédonie avec ses parents, écrivain, journaliste et militant libertaire.
Au moment de son initiation, Louise Michel a 74 ans révolus. Sa réception est relatée dans le « Bulletin trimestriel de la GLSE II ». (n°9, 20 Juillet 1904, pp. 58/59) par Madeleine Pelletier :
Je cite cette dernière :
« N’est-ce pas une honte pour la maçonnerie qu’une telle femme ait pu répondre à son âge et sous le bandeau des initiés : « Je serais entrée avec plaisir dans la maçonnerie et depuis longtemps ; mais on m’a toujours dit que la femme n’y a pas une place égale à celle de l’homme. » ?
Point n’est besoin d’ajouter que l’illustre profane a subi avec courage et sincérité les épreuves morales ; dans la vie d’une femme comme elle une initiation pèse d’un poids bien mince.
Dans ses réponses se dégageait nettement la citoyenne courageuse qu’elle a été toute sa vie, et à un Frère plutôt hostile qui lui demandait si elle croyait devoir tuer les gens qui ne pensent pas comme elle, elle a Répondu : « Toute vie est sacrée et j’éprouverais la plus grande douleur à verser le sang d’autrui ; mais si nous étions en période révolutionnaire et qu’un meurtre fût la condition du triomphe de mes idées, je n’hésiterais pas une minute ».
2.2 – La conférence – 14 Septembre 1903 à la Loge « Diderot » de la GLSE II
Le lendemain, la jeune Apprentie participa à une tenue consacrée au féminisme, en compagnie de cinq autres conférenciers, dont Isabelle Gatti de Gamon (écrivain et féministe), Paul-Maurice Legraind, M. Soulez-Darqué et Madeleine Pelletier.
Voici l’intégralité de la conférence que fit Louise Michel au lendemain de son initiation, à l’atelier
« Diderot » de la GLSE II :
LA FEMME DANS LA MACONNERIE
« Il y a longtemps que j’aurais été des vôtres si j’eusse connu l’existence des loges mixtes, mais je croyais que, pour entrer dans un milieu maçonnique, il fallait être un homme.
Selon moi, devant le grand idéal de liberté et de justice, il n’y a point de différence d’hommes et de femmes ; à chacun son oeuvre.
Ce n’est pas pour conquérir des privilèges que nous devons nous réunir, car, des privilèges, nous n’en avons pas besoin. Nous allons à la conquête du monde avec ses richesses multipliées par la science et le travail, avec pour horizons la liberté sans limites.
Le vieux monde craque de toutes parts : à Rome, en Russie, il montre ses pourritures. Pour arriver nous tous, hommes et femmes, à instaurer la cité nouvelle de lumière et de bonheur, nous avons à vaincre l’ignorance et la misère qui rendent mauvais. C’est nous, qui savons, qui sommes des criminels si, en égoïstes, nous gardons pour nous-mêmes nos connaissances. On manque d’enthousiasme : il ne suffit pas de savoir, il faut vouloir et agir.
On s’est défié des femmes, qui sont pourtant une grande force. La femme est un terrain facile à cultiver, c’est un compagnon et non un esclave.
C’est à la femme d’essayer de faire des hommes. Qu’elle n’ait plus rien de caché, qu’elle renonce aux puérilités et aux petites ruses qui sont une marque de faiblesse ; qu’elle aille comme l’homme à visage découvert ; elle sera heureuse.
Il faut que la femme refuse de se prostituer plus longtemps d’âme lorsque ce n’est pas de corps.
Elle-même doit être l’artisan de son émancipation.
Que la femme refuse de demeurer l’être inférieur que la vieille société a prétendu faire d’elle à perpétuité !
Et que les hommes, armés contre d’autres hommes pour la défense du vieux monde d’iniquités, refusent de se faire assassins ! Que des militaires préfèrent se faire fusiller que tirer ! Ayons, hommes et femmes, la force de la volonté, car nous n’avons pas celle des baïonnettes !
Nous sommes à une époque de l’évolution universelle où la lumière commence à rayonner : sachons en profiter !
Eveillons, aidons les forces latentes. Je me rappelle la Bretagne, que j’ai parcourue il n’y a pas longtemps pour y faire des conférences. C’est une province qui possède de grandes ressources d’énergie et qui est impulsive comme tous les convertis. Il s’y passera de grandes choses lorsque nous aurons su prendre cette province.
Elle-même s’insurgera contre ses religions et détruira ses églises. Les prêtres y sont plus arriérés qu’ailleurs et, à cause de cela, il faut que les paysans bretons libérés deviennent un peu savants.
Les groupements humains et les individus suivent les mêmes lois d’évolution naturelle : hier l’esclavage, la misère morale et matérielle ; aujourd’hui le premier éveil ; demain l’entrée dans le bonheur et la liberté.
On n’a rien fait de mieux que les universités populaires où la femme va s’instruire à côté de l’homme, son camarade, où des prolétaires s’efforcent de s’assimiler des vérités naturelles et des lambeaux de savoir.
Il nous faut multiplier ces universités, les vivifier, consolider leur méthode d’enseignement. On doit y apprendre ce que sont la Matière, l’Homme, la Société, les rapports existant entre eux, ce que fut l’homme, ce qu’il sera. Il faut que rien ne nous fatigue, que rien ne nous abatte.
Le Moyen Age, lui aussi, à un moment, semblait prêt à faire triompher les idées généreuses. Mais le clergé recouvrit de son ombre le mouvement qui se dessinait et, pour des siècles, l’erreur domina la vérité.
Nous devons profiter de l’heure présente et ne pas nous attarder aux choses mesquines, aux rivalités de clans, aux vanités ridicules : la femme ne doit pas singer l’homme dans ses erreurs.
Le duel des sexes serait ridicule et odieux : il n’y a pas la Femme contre l’Homme ; il y a l’Humanité.
Nous n’avons pas à mendier ces choses mesquines qu’on appelle des droits politiques et qui vont disparaître avec la politique elle-même dans cette grande refonte faisant de l’humanité une vie toute nouvelle.
Qu’est-ce que le droit de déléguer tous les quatre ans un pouvoir nominal à des mandataires en comparaison du droit naturel de penser et de vivre sans maître en puisant dans la richesse devenue le patrimoine de tous.
Il faut prendre, pour en faire le bien commun de l’humanité sans distinction de sexe, ce qui donne la vie, la vie de la pensée comme celle du corps. Il faut prendre la science, prendre les arts, se les approprier et que chacun soit soi-même.
Etre soi-même ! Que la femme qui poursuit son émancipation cesse d’être un écho, un reflet ! Qu’elle s’affirme sans vanité comme sans peur, telle qu’elle est. Ce qui fait que les peintres qui sont prix de Rome n’ont jamais rien valu, c’est qu’ils ont pris l’habitude de copier au lieur de créer.
Agissons et marchons vite, car nous ne sommes pas seuls et il nous faut songer aux autres. Laissons les réactionnaires se cramponner au passé, à leurs institutions qui s’effondreront avec eux, les tenant captifs comme des rats dans leurs trous. Ils veulent vivre dans l’ornière ; pour nous, créons les larges routes où nous ferons passer les petits enfants. En ouvrant ces routes-là, on peut mourir : ne le cachons pas, on ne meurt qu’une fois et ce n’est pas grand-chose. Ceux qui passeront les premiers seront les plus exposés : qu’importe, toute avant-garde est faite pour être sacrifiée.
Il ne faut pas regarder, lorsqu’on fait une découverte, si l’on est suivi, il faut soi-même la poursuivre.
Il y a longtemps que le progrès serait le maître si on avait eu plus de volonté, mais nous osons à peine nous affranchir du joug du passé. Nous avons partout des attaches qui nous enserrent, des hérédités qui, d’hommes à hommes, ont passé aux enfants. Rome et Fouilly-les-Oies ont pesé également sur les esprits.
Il faut s’affranchir de l’une comme de l’autre.
Il nous faut transformer quelque chose de plus important que les constitutions : la société, où toutes les misères découlent les unes des autres ; la faim, l’ignorance, la prostitution, la haine. Chez l’être humain roulé dans toutes ces misères, qui l’enveloppent comme les replis d’un suaire, il peut substituer quelque chose de bon.
Les apaches (vieux mot désignant les truands) eux-mêmes ont leurs qualités : ils ne se trahissent pas.
Le pouvoir abêtit les hommes ; aussi devons-nous, non point le conquérir et nous l’arracher entre hommes et femmes, mais l’éliminer de la société en faisant de celle-ci une grande famille libre, égalitaire et fraternelle, selon la belle devise maçonnique. Les hommes de la Commune étaient individuellement énergiques, d’une grande valeur. Membres de la Commune, ils ne furent pas à la hauteur de leur tâche. Ce n’est pas le gouvernement qui possède la grande force, c’est le reflux de revendications ouvrières qui pousse le pouvoir dans le dos et le force à exécuter quelques réformes indispensables. Il faut donc que notre action active celle des pouvoirs.
Ce ne sera pas chose facile, car la réaction se remue pour conserver ses privilèges.
Nous allons vers l’avenir, elle veut ramener l’humanité au passé.
Peut-être la violence devra-t-elle trancher ce conflit. J’ai assisté à Londres à une réunion de nihilistes.
Il était curieux de voir ces hommes, non pas se réjouir de la mort de Plewhe, mais être satisfaits que l’humanité fût débarrassée d’un obstacle entravant sa marche en avant.
Il nous faut dépouiller l’humanité de ses laideurs et de ses tares. En ce moment souffle, tantôt en harmonie tantôt en tempête, un esprit véritablement nouveau. Il y a des grèves où on entend les colères monter, il y a une certaine chaleur dans les cerveaux, on cherche quelque chose, c’est une autre orientation de l’espèce humaine, des troupeaux qui vont vers l’idéal. Ils veulent rompre avec le passé ; il faut que le passé soit mort. Il appartient aux maçons et aux maçonnes de créer la religion nouvelle, la religion sans dieu et sans dogmes.
3°/ La courte vie maçonnique de Louise Michel (1903-1905)
Après son initiation, Louise Michel fit, durant les quelques mois de sa vie maçonnique, une très active propagande dans tous le midi de la France en faveur de l’admission des femmes dans les Loges du GODF et de la GLDF.
Grâce à la propagande que lui assurent les maçons et maçonnes, elle donne, à Rouen, une conférence devant douze cent auditeurs. Elle y tient des propos anti-militaristes, dont il faut bien croire qu’ils ne manquent pas d’impact puisque, aussitôt après, le directeur général en personne de la sécurité publique en Italie télégraphie en toute hâte à son homologue français pour savoir dans quelle mesure on peut craindre au-delà des Alpes, une visite de la redoutable agitatrice.
Louise Michel meurt à Marseille le 10 janvier 1905 ,durant une tournée de conférences dans le Midi.
Son corps fut ramené à Paris et ses obsèques furent suivies par une foule évaluée à 100.000 personnes.
Plusieurs dossiers des archives de la préfecture de police narrèrent la cérémonie d’enterrement ainsi que « l’incident des emblèmes maçonniques », épinglés sur le cercueil par le Vénérable de « La Philosophie Sociale » ; que des anarchistes arrachèrent, prétextant que Louise Michel n’appartenait à personne.
« Ce qui est sûr, c¹est que l’esprit libertaire de Louise Michel soufflait où il voulait »
Par Yann LE GIGAN
BIBLIOGRAPHIE :
Boyau, Rémy Histoire de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain.
– Bordeaux : Jarlet, 1975 . – 563 p. Charpentier de Coysevox, Noélle
La franc-maçonnerie mixte et le Droit Humain. – Paris : EDIMAF, 1998 . – 128 p.
Combes, André Les trois siècles de la franc-maçonnerie française. – Paris : EDIMAF, 1989 . – 223 p.
De La Fournière, Xavier Louise Michel – Matricule 2182. – Paris : Perrin, 1986 (p.300)
Hivert-Messeca, Gisèle et Yves Comment la franc-Maçonnerie vint aux femmes. – Paris : Dervy, 1997 . – 392 p.
Bulletin mensuel de la Fédération Française du Droit Humain N° 37, oct-nov. 1966 (Extraits du Bulletin de la G.’.L.’.S.’.E.’. , 8, rue Rondelet, Paris. 1ère année, n°3, série 2, 20 mars 1905, p. 36)
L’Admission dans la Maçonnerie de Louise Michel.
Il y a fort longtemps, lorsque je militais dans un cercle d’étudiants anarchistes à l’Université de Nanterre , j’eus l’idée de poser aux « anciens » du mouvement, la question suivante :
« D’après vous, qu’y a t’il de commun entre Michel BAKOUNINE, Francisco FERRER, Pierre Joseph PROUDHON, Elisée RECLUS, Jules VALLES et Louise MICHEL ? – Ce sont tous des théoriciens de l’anarchisme, me répondirent-ils en chœur ! « Et savez-vous qu’ils étaient aussi franc-maçons ? »
Ma réponse les embarrassa plus qu’autre chose et je me rendis compte à quel point ce fait était ignoré dans le milieu libertaire … voire tabou.
Pour répondre à la question « Dans quelles conditions et pourquoi Louise Michel est entrée dans la Franc-maçonnerie ? » il a fallu que je replace l’évènement dans le contexte maçonnique de l’époque.
J’ai structuré le présent texte en trois parties : en essayant de faire court :
1°/ La Franc-maçonnerie mixte française du début du siècle :
La Loge « Les Libres Penseurs » à l’Orient du Pecq de la Grande Loge Symbolique Écossaise (GLSE 1880 – 1895)
La Grande Loge Symbolique Écossaise mixte de France « Le Droit Humain » (1893-1901) qui deviendra L’Ordre Maçonnique Mixte International « Le Droit Humain » le 12 Juin 1901.
La Grande Loge Symbolique Écossaise « maintenue et mixte » (GLSE II) (1897-1911)
2°/ L’initiation de Louise Michel le 13 Septembre 1903 ( à la Loge « La Philosophie Sociale » G.L.S.E. II « maintenue et mixte » ) suivie de sa première conférence le 14 septembre 1903 ( à la Loge « Diderot ») sur le thème du féminisme.
3°/ La courte vie maçonnique de Louise Michel (1903-1905)
1°/ La Franc-maçonnerie mixte française du début du siècle
1.1 – La Loge « Les Libres Penseurs » à l’Orient du Pecq de la Grande Loge Symbolique Écossaise (GLSE) 1880 – 1895
Vers la fin du 19ème siècle en France, la maçonnerie écossaise (masculine) était regroupée au sein d’une obédience (aujourd’hui disparue) appelée Suprême Conseil De France (SCDF)
La dénonciation des statuts monarchiques du SCDF , par certains de ses Ateliers provoqua une dissidence de 12 loges , qui fondèrent le 11 Juillet 1880 La Grande Loge Symbolique Écossaise (GLSE).
Elle se réclama, selon l’expression de Goumain-Cornille, du principe du « Franc-Maçon libre dans la loge libre » c’est-à-dire débarrassée de la tutelle d’un Suprême Conseil… et d’un Grand Architecte de l’Univers
Il évoque les principes de la nouvelle Obédience : aux Suprêmes Conseils, l’administration des hauts grades, aux Grandes Loges, le gouvernement des Ateliers symboliques. Cette obédience resta modeste, ne comportant guère plus de 37 loges, mais joua un rôle déterminant :
C’est au sein d’un atelier de la GLSE : la Loge « Les Libres Penseurs » à l’Orient du Pecq ; qu’une certaine Maria Deraismes fut initiée le 14 janvier 1882.
Contre l’avis des députés des loges de la GLSE (qui souhaitaient fusionner avec le Grand Orient) la Loge « Les Libres Penseurs » inscrivit le principe de l’initiation féminine dans son règlement intérieur et se proclama Loge autonome le 9 Janvier 1882, quelques jours avant l’initiation de Maria Deraismes (le 14 janvier 1882) en présence de George Martin membre de la Commission exécutive de la GLSE.
Cette première tentative de constitution d’une loge mixte n’eut pas de suite et la loge se mit en sommeil.
La GLSE fusionnera avec quelques loges du SCDF pour donner La Grande Loge de France (GLDF) en 1895.
1.2 – La Grande Loge Symbolique Écossaise mixte de France « Le Droit Humain » (1893-1901)
Deux ans avant la dissolution de la GLSE , le 14 Mars 1893 : Maria Deraismes initie 17 femmes.
Parmi elles : Marie Bequet, Clémence Royer, Maria Martin, Anna Feresse-Deraismes, Marie Pierre, Marie-Georges Martin.
Le 1er avril 1893, ces dernières ayant atteint la maîtrise (sic), Maria Deraismes affilie Georges Martin et crée une loge mixte.
Le 4 avril 1893, est déposée au Ministère de l’Intérieur la charte de La Grande Loge Symbolique Écossaise « Le Droit Humain », obédience qui se veut mixte et internationale selon le dessein de sa fondatrice.
Le rayonnement de la GLSE mixte de France « Le Droit Humain » est important et de nombreux féministes, hommes et femmes demandent à y entrer.
La tradition de l’Ecossisme est basée sur l’existence d’un Suprême Conseil, chargé de délivrer les patentes constitutives d’ateliers travaillant jusqu’au 33e degré.
Décembre Allonier, féministe convaincu et 33e du Grand Collège des Rites du GODF, élève plusieurs membres de la nouvelle obédience au 33e degré, dont Georges Martin (qui ne possédait que le 30e degré, obtenu à la GLSE).
Le Suprême Conseil Universel Mixte International est proclamé le 11 Mai 1899.
Les Constitutions de l’Ordre indiquent que les membres travailleront au Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA).
La Grande Loge Symbolique Écossaise mixte de France « Le Droit Humain » ne devient L’Ordre
Maçonnique Mixte International « Le Droit Humain » que le 12 Juin 1901.
Une maçonnerie mixte s’étend à travers les continents, sous la (pesante) houlette d’un Suprême Conseil International.
En France, les Ateliers du Droit Humain sont généralement féministes et rationalistes.
En terre anglo-saxonne (avec Annie Besant) ils servent de support à la théosophie.
1.3 – La Grande Loge Symbolique Ecossaise « maintenue et mixte » (GLSE II) (1897-1911)
En novembre1895 un « Congrès de la fusion écossaise » réunit les Loges bleues du SCDF et la GLSE.
La réunification n’aboutira pas immédiatement, mais la Grande Loge de France (GLDF) sera créée.
Deux loges de l’ancienne GLSE refuseront cette union : La n°24 « Diderot » et la n°42 « Les Inséparables de l’Arc-en-ciel ». Le 23 Juin 1897 se tiendra une réunion « dans le but de réorganiser l’obédience de la GLSE »
La GLSE « maintenue » (GLSE II) conservera la Constitution de la première GLSE.
Le premier président élu est Raoul Urbain (1837/1902), ancien membre du Conseil de la Commune condamné aux travaux forcés à perpétuité mais libéré par l’amnistie.
La Constitution définitive est votée le 10 Juin 1901. La déclaration de principes, placée en préambule, présente la nouvelle devise de l’obédience « Liberté Egalité Fraternité Solidarité ».
Elle se réfère explicitement au rationalisme et se veut anti-religieuse.
Une obédience originale venait de naître : « La GLSE, maintenue et mixte »
L’autre originalité de cette obédience est l’attitude d’ouverture, voire d’alliance envers la GLSE mixte de France « Le Droit Humain » (réception de membres du DH)
Le 20 décembre 1899, le Vénérable Haas de la Loge « La Philosophie Sociale » déclare dans son allocution de bienvenue que sa loge (je le cite) « fondée sur les idées socialistes libertaires, devait arriver forcément à admettre les S.’. maçonnes à participer à ses travaux… »
C’est dans une Loge de la GLSE « maintenue et mixte » que sera initiée Louise Michel le 13 Septembre 1904.
Entre-temps, une crise provoqua la rupture entre la GLSE II et le Droit Humain.
Si les deux obédiences sont mixtes et féministes, elles sont de sensibilité politico-philosophiques différente.
La GLSE II est majoritairement libertaire, le Droit Humain est plutôt radicalisant (proche du parti radical.ndlr).
Les membres de la première prônent l’union libre et l’avortement, les adhérents de la seconde défendent une vision plus « bourgeoise » de la famille, des moeurs et de la société.
La GLSE « maintenue et mixte » se disloquera vers 1911 à la suite de dissensions internes.
2°/ L’initiation de Louise Michel le 13 Septembre 1903 , suivie de sa première conférence le lendemain sur le thème du féminisme.
2.1 – L’initiation – 13 Septembre 1903 à la Loge « La Philosophie Sociale » de la GLSE II
Dans une lettre, Madeleine Pelletier revendique l’honneur d’avoir conduit Louise Michel jusqu’à la Maçonnerie : « Deux mois après mon initiation, je faisais entrer Louise Michel afin de me servir de sa notoriété universelle comme d’un puissant levier pour la propagande de mes idées et j’organisais seule, pendant le Convent de 1904, des tenues exceptionnelles qui eurent, grâce à Louise Michel , un succès sans précédent. »
En effet, le 13 Septembre 1904, la loge n°3 « La Philosophie sociale » initie trois profanes devant plus de 500 maçons dans le petit Temple de la rue Rondelet :
– Henri Jacob,
– Louise Michel
– Charlotte Vauvelle, libertaire, amie, accompagnatrice et compagne de Louise Michel depuis 1895.
Elle est accueillie par Charles Malato de Cornet (1857/1938) déporté en Nouvelle Calédonie avec ses parents, écrivain, journaliste et militant libertaire.
Au moment de son initiation, Louise Michel a 74 ans révolus. Sa réception est relatée dans le « Bulletin trimestriel de la GLSE II ». (n°9, 20 Juillet 1904, pp. 58/59) par Madeleine Pelletier :
Je cite cette dernière :
« N’est-ce pas une honte pour la maçonnerie qu’une telle femme ait pu répondre à son âge et sous le bandeau des initiés : « Je serais entrée avec plaisir dans la maçonnerie et depuis longtemps ; mais on m’a toujours dit que la femme n’y a pas une place égale à celle de l’homme. » ?
Point n’est besoin d’ajouter que l’illustre profane a subi avec courage et sincérité les épreuves morales ; dans la vie d’une femme comme elle une initiation pèse d’un poids bien mince.
Dans ses réponses se dégageait nettement la citoyenne courageuse qu’elle a été toute sa vie, et à un Frère plutôt hostile qui lui demandait si elle croyait devoir tuer les gens qui ne pensent pas comme elle, elle a Répondu : « Toute vie est sacrée et j’éprouverais la plus grande douleur à verser le sang d’autrui ; mais si nous étions en période révolutionnaire et qu’un meurtre fût la condition du triomphe de mes idées, je n’hésiterais pas une minute ».
2.2 – La conférence – 14 Septembre 1903 à la Loge « Diderot » de la GLSE II
Le lendemain, la jeune Apprentie participa à une tenue consacrée au féminisme, en compagnie de cinq autres conférenciers, dont Isabelle Gatti de Gamon (écrivain et féministe), Paul-Maurice Legraind, M. Soulez-Darqué et Madeleine Pelletier.
Voici l’intégralité de la conférence que fit Louise Michel au lendemain de son initiation, à l’atelier
« Diderot » de la GLSE II :
LA FEMME DANS LA MACONNERIE
« Il y a longtemps que j’aurais été des vôtres si j’eusse connu l’existence des loges mixtes, mais je croyais que, pour entrer dans un milieu maçonnique, il fallait être un homme.
Selon moi, devant le grand idéal de liberté et de justice, il n’y a point de différence d’hommes et de femmes ; à chacun son oeuvre.
Ce n’est pas pour conquérir des privilèges que nous devons nous réunir, car, des privilèges, nous n’en avons pas besoin. Nous allons à la conquête du monde avec ses richesses multipliées par la science et le travail, avec pour horizons la liberté sans limites.
Le vieux monde craque de toutes parts : à Rome, en Russie, il montre ses pourritures. Pour arriver nous tous, hommes et femmes, à instaurer la cité nouvelle de lumière et de bonheur, nous avons à vaincre l’ignorance et la misère qui rendent mauvais. C’est nous, qui savons, qui sommes des criminels si, en égoïstes, nous gardons pour nous-mêmes nos connaissances. On manque d’enthousiasme : il ne suffit pas de savoir, il faut vouloir et agir.
On s’est défié des femmes, qui sont pourtant une grande force. La femme est un terrain facile à cultiver, c’est un compagnon et non un esclave.
C’est à la femme d’essayer de faire des hommes. Qu’elle n’ait plus rien de caché, qu’elle renonce aux puérilités et aux petites ruses qui sont une marque de faiblesse ; qu’elle aille comme l’homme à visage découvert ; elle sera heureuse.
Il faut que la femme refuse de se prostituer plus longtemps d’âme lorsque ce n’est pas de corps.
Elle-même doit être l’artisan de son émancipation.
Que la femme refuse de demeurer l’être inférieur que la vieille société a prétendu faire d’elle à perpétuité !
Et que les hommes, armés contre d’autres hommes pour la défense du vieux monde d’iniquités, refusent de se faire assassins ! Que des militaires préfèrent se faire fusiller que tirer ! Ayons, hommes et femmes, la force de la volonté, car nous n’avons pas celle des baïonnettes !
Nous sommes à une époque de l’évolution universelle où la lumière commence à rayonner : sachons en profiter !
Eveillons, aidons les forces latentes. Je me rappelle la Bretagne, que j’ai parcourue il n’y a pas longtemps pour y faire des conférences. C’est une province qui possède de grandes ressources d’énergie et qui est impulsive comme tous les convertis. Il s’y passera de grandes choses lorsque nous aurons su prendre cette province.
Elle-même s’insurgera contre ses religions et détruira ses églises. Les prêtres y sont plus arriérés qu’ailleurs et, à cause de cela, il faut que les paysans bretons libérés deviennent un peu savants.
Les groupements humains et les individus suivent les mêmes lois d’évolution naturelle : hier l’esclavage, la misère morale et matérielle ; aujourd’hui le premier éveil ; demain l’entrée dans le bonheur et la liberté.
On n’a rien fait de mieux que les universités populaires où la femme va s’instruire à côté de l’homme, son camarade, où des prolétaires s’efforcent de s’assimiler des vérités naturelles et des lambeaux de savoir.
Il nous faut multiplier ces universités, les vivifier, consolider leur méthode d’enseignement. On doit y apprendre ce que sont la Matière, l’Homme, la Société, les rapports existant entre eux, ce que fut l’homme, ce qu’il sera. Il faut que rien ne nous fatigue, que rien ne nous abatte.
Le Moyen Age, lui aussi, à un moment, semblait prêt à faire triompher les idées généreuses. Mais le clergé recouvrit de son ombre le mouvement qui se dessinait et, pour des siècles, l’erreur domina la vérité.
Nous devons profiter de l’heure présente et ne pas nous attarder aux choses mesquines, aux rivalités de clans, aux vanités ridicules : la femme ne doit pas singer l’homme dans ses erreurs.
Le duel des sexes serait ridicule et odieux : il n’y a pas la Femme contre l’Homme ; il y a l’Humanité.
Nous n’avons pas à mendier ces choses mesquines qu’on appelle des droits politiques et qui vont disparaître avec la politique elle-même dans cette grande refonte faisant de l’humanité une vie toute nouvelle.
Qu’est-ce que le droit de déléguer tous les quatre ans un pouvoir nominal à des mandataires en comparaison du droit naturel de penser et de vivre sans maître en puisant dans la richesse devenue le patrimoine de tous.
Il faut prendre, pour en faire le bien commun de l’humanité sans distinction de sexe, ce qui donne la vie, la vie de la pensée comme celle du corps. Il faut prendre la science, prendre les arts, se les approprier et que chacun soit soi-même.
Etre soi-même ! Que la femme qui poursuit son émancipation cesse d’être un écho, un reflet ! Qu’elle s’affirme sans vanité comme sans peur, telle qu’elle est. Ce qui fait que les peintres qui sont prix de Rome n’ont jamais rien valu, c’est qu’ils ont pris l’habitude de copier au lieur de créer.
Agissons et marchons vite, car nous ne sommes pas seuls et il nous faut songer aux autres. Laissons les réactionnaires se cramponner au passé, à leurs institutions qui s’effondreront avec eux, les tenant captifs comme des rats dans leurs trous. Ils veulent vivre dans l’ornière ; pour nous, créons les larges routes où nous ferons passer les petits enfants. En ouvrant ces routes-là, on peut mourir : ne le cachons pas, on ne meurt qu’une fois et ce n’est pas grand-chose. Ceux qui passeront les premiers seront les plus exposés : qu’importe, toute avant-garde est faite pour être sacrifiée.
Il ne faut pas regarder, lorsqu’on fait une découverte, si l’on est suivi, il faut soi-même la poursuivre.
Il y a longtemps que le progrès serait le maître si on avait eu plus de volonté, mais nous osons à peine nous affranchir du joug du passé. Nous avons partout des attaches qui nous enserrent, des hérédités qui, d’hommes à hommes, ont passé aux enfants. Rome et Fouilly-les-Oies ont pesé également sur les esprits.
Il faut s’affranchir de l’une comme de l’autre.
Il nous faut transformer quelque chose de plus important que les constitutions : la société, où toutes les misères découlent les unes des autres ; la faim, l’ignorance, la prostitution, la haine. Chez l’être humain roulé dans toutes ces misères, qui l’enveloppent comme les replis d’un suaire, il peut substituer quelque chose de bon.
Les apaches (vieux mot désignant les truands) eux-mêmes ont leurs qualités : ils ne se trahissent pas.
Le pouvoir abêtit les hommes ; aussi devons-nous, non point le conquérir et nous l’arracher entre hommes et femmes, mais l’éliminer de la société en faisant de celle-ci une grande famille libre, égalitaire et fraternelle, selon la belle devise maçonnique. Les hommes de la Commune étaient individuellement énergiques, d’une grande valeur. Membres de la Commune, ils ne furent pas à la hauteur de leur tâche. Ce n’est pas le gouvernement qui possède la grande force, c’est le reflux de revendications ouvrières qui pousse le pouvoir dans le dos et le force à exécuter quelques réformes indispensables. Il faut donc que notre action active celle des pouvoirs.
Ce ne sera pas chose facile, car la réaction se remue pour conserver ses privilèges.
Nous allons vers l’avenir, elle veut ramener l’humanité au passé.
Peut-être la violence devra-t-elle trancher ce conflit. J’ai assisté à Londres à une réunion de nihilistes.
Il était curieux de voir ces hommes, non pas se réjouir de la mort de Plewhe, mais être satisfaits que l’humanité fût débarrassée d’un obstacle entravant sa marche en avant.
Il nous faut dépouiller l’humanité de ses laideurs et de ses tares. En ce moment souffle, tantôt en harmonie tantôt en tempête, un esprit véritablement nouveau. Il y a des grèves où on entend les colères monter, il y a une certaine chaleur dans les cerveaux, on cherche quelque chose, c’est une autre orientation de l’espèce humaine, des troupeaux qui vont vers l’idéal. Ils veulent rompre avec le passé ; il faut que le passé soit mort. Il appartient aux maçons et aux maçonnes de créer la religion nouvelle, la religion sans dieu et sans dogmes.
3°/ La courte vie maçonnique de Louise Michel (1903-1905)
Après son initiation, Louise Michel fit, durant les quelques mois de sa vie maçonnique, une très active propagande dans tous le midi de la France en faveur de l’admission des femmes dans les Loges du GODF et de la GLDF.
Grâce à la propagande que lui assurent les maçons et maçonnes, elle donne, à Rouen, une conférence devant douze cent auditeurs. Elle y tient des propos anti-militaristes, dont il faut bien croire qu’ils ne manquent pas d’impact puisque, aussitôt après, le directeur général en personne de la sécurité publique en Italie télégraphie en toute hâte à son homologue français pour savoir dans quelle mesure on peut craindre au-delà des Alpes, une visite de la redoutable agitatrice.
Louise Michel meurt à Marseille le 10 janvier 1905 ,durant une tournée de conférences dans le Midi.
Son corps fut ramené à Paris et ses obsèques furent suivies par une foule évaluée à 100.000 personnes.
Plusieurs dossiers des archives de la préfecture de police narrèrent la cérémonie d’enterrement ainsi que « l’incident des emblèmes maçonniques », épinglés sur le cercueil par le Vénérable de « La Philosophie Sociale » ; que des anarchistes arrachèrent, prétextant que Louise Michel n’appartenait à personne.
« Ce qui est sûr, c¹est que l’esprit libertaire de Louise Michel soufflait où il voulait »
Par Yann LE GIGAN
BIBLIOGRAPHIE :
Boyau, Rémy Histoire de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain.
– Bordeaux : Jarlet, 1975 . – 563 p. Charpentier de Coysevox, Noélle
La franc-maçonnerie mixte et le Droit Humain. – Paris : EDIMAF, 1998 . – 128 p.
Combes, André Les trois siècles de la franc-maçonnerie française. – Paris : EDIMAF, 1989 . – 223 p.
De La Fournière, Xavier Louise Michel – Matricule 2182. – Paris : Perrin, 1986 (p.300)
Hivert-Messeca, Gisèle et Yves Comment la franc-Maçonnerie vint aux femmes. – Paris : Dervy, 1997 . – 392 p.
Bulletin mensuel de la Fédération Française du Droit Humain N° 37, oct-nov. 1966 (Extraits du Bulletin de la G.’.L.’.S.’.E.’. , 8, rue Rondelet, Paris. 1ère année, n°3, série 2, 20 mars 1905, p. 36)