Par Phil Hine
Quiconque a examiné en détail l’histoire des mouvements occultes réalise que les schismes, les désordres « les divergences magiques » y sont monnaies courantes. C’est un fait dont se lamentent les magiciens contemporains & l’on s’étonne grandement que cela continue encore de nos jours.
Les racines du mouvement occulte moderne plongent dans le 19e siècle & il n’est pas surprenant par conséquent que certains ordres magiques contemporains se façonnent selon les schémas « traditionnels » établis. Des groupes tels que l’Ordre Hermétique de l’Aube Dorée & l’Ordo Templi Orientis doivent beaucoup quant à leur dynamique et à leur organisation à la Franc-Maçonnerie. L’Aube Dorée, en particulier, semble avoir servi de modèle pour de nombreux ordres magiques subséquents.
L’élément clé à comprendre n’est pas tant que l’Aube Doré se voulait hiérarchisée mais plutôt que les grades hiérarchiques avaient pour but de refléter une forme d’autorité « spirituelle ». Le problème avec l’autorité « spirituelle » est qu’elle est rarement ouverte à l’introspection ou à l’inspection par les autres & qu’il est assez facile pour une personne charismatique & volontaire de proclamer sa supériorité morale sur les autres sur la base d’une « plus haute initiation ». Telle était la façon de procéder de MacGregor Mathers & des autres chefs de l’Aube Dorée, comme de nombre de leurs imitateurs depuis. N’importe qui peut prétendre, suite à une illumination divine, être détenteur d’un mandat pour diriger & informer les autres (je lis une bonne quantité de lettres contenant ce genre de choses tous les mois), même si peu sont ceux qui peuvent le faire au sein de tout un groupe. L’Ordre Magique, bien sûr, est le lieu idéal pour de telles prétentions & ainsi un bon nombre d’apprentis gourous & de mages ont réussi à duper au moins quelques personnes pendant un certain temps.
Le problème lorsque l’on a ainsi « Dieu de son côté », c’est la tendance à l’absolutisme qui en découle. La paranoïa en est une conséquence inévitable, probablement due à cette idée que celui qui ose critiquer questionne l’authenticité de l’initiation du chef & par conséquent son autorité. De là, une polarisation des membres du groupe en « suiveurs » & « ennemis » – qui ne remettent pas seulement en cause le leadership mais l’Ordre en lui-même.
Les failles vont apparaître selon un processus de dissonance – les occultistes participant à un système commun de croyance, tendent vers un consensus sur les types de comportements en consonance avec un grade « spirituel » spécifique. Lorsque le chef commence à manifester des comportements qui appellent le questionnement, alors l’insatisfaction apparaît & grandit. Le chef sent alors que son autorité & son authenticité sont remises en question, ce qui, tôt ou tard, se terminera par des cris & des larmes.
Un schisme interne au sein d’un Ordre est, d’une certaine façon, auto-régulant en ceci qu’il développe la polarisation entre les « suiveurs » & les « ennemis ». Un groupe d’ex-membres, que l’Ordre peut à présent catégoriser en tant qu’ennemis, tend à resserrer les liens entre les membres grâce au ciment de la paranoïa mutuelle. La suite des actions est connue : attaques psychiques, batailles magiques, découpage de lettres dans les pages de la presse occulte etc.
Si les membres sentent qu’ils possèdent la « Vérité », « Dieu » ou le « Grand Œuvre » de leur côté alors les ennemis potentiels deviennent automatiquement des magiciens noirs ou des satanistes. La crainte d’avoir à gérer des contradictions internes au groupe peut disparaître tandis que les membres relèvent leurs manches pour la tâche importante de la défense de la Vérité Cosmique contre le Mal, de la même manière que les politiciens utilisent la guerre afin de distraire la populace des problèmes internes au pays. L’étude de groupes religieux indique que ces groupes sont remarquablement élastiques lorsqu’il s’agit de défendre leurs croyances communes face à ce qui menace la continuation de leur existence.
Les années soixante ont vu émerger une critique du modèle de la hiérarchie spirituelle tant favorisée par les anciens ordres occultes. Cette attaque a conduit à l’idée que les hiérarchies elles-mêmes étaient pourries & qu’aucun chef n’était nécessaire pour diriger le groupe. Cette vision a ses forces & ses faiblesses, mais malheureusement elle n’a reçu que peu d’analyses critiques & est devenue une affaire de croyance dogmatique de la même manière que le modèle précédent s’est englué dans la croyance occultiste qui tend également vers les absolus.
Alors que les occultistes ont évolué dans un vide conceptuel, uniquement balisé par les théories largement incohérentes pérorées par les auteurs successifs – il y a eu depuis bon nombre de recherches conduites dans le domaine de la dynamique organisationnelle, de la thérapie de groupe, dont les résultats livrent des indications intéressantes pour comprendre le fonctionnement des hiérarchies et du leadership).
La première remarque que l’on peut faire, concernant les hiérarchies est que pour certaines tâches elles fonctionnent de manière efficace – plus que dans les systèmes où tout le monde assume le même statut. Un exemple assez connu est l’effet « Bystander » : un groupe de personnes n’engagera aucune action dans une situation donnée avant que quelqu’un ne se manifeste pour prendre les choses en main & organiser le groupe selon les tâches à effectuer. Ceci est particulièrement important lorsque des décisions doivent être prises & menées à bien de manière efficace. Cependant, cela ne signifie pas qu’un groupe qui revêt une organisation hiérarchique est contraint de se comporter uniquement sur un mode hiérarchique. En d’autres circonstances, les membres peuvent agir & interagir de manière tout à fait différente. Ainsi, la hiérarchie est une forme d’organisation qu’un groupe peut utiliser dans des situations appropriées avec la plus grande prudence toutefois.
De la même manière, la question du leadership est plus complexe qu’elle n’apparaît de prime abord. Les textes modernes sur la dynamique de groupe se réfèrent au leadership en tant que rôle. Dans les groupes dits « consensuels », qui ne possèdent apparemment pas de chefs, il n’y a aucune évaluation critique de la manière dont le rôle du leadership peut apparaître. Il arrive souvent que des personnes charismatiques deviennent des chefs, en vertu de leur capacité à influencer les autres, plutôt qu’en fonction d’un choix rationnel. Pour un certain nombre de personnes, ce leadership basé sur l’autorité « « spirituelle » n’est pas véritablement désirable. Par ailleurs, les personnes charismatiques, bien que perçues comme étant de véritables chefs, ont tendance à considérer leur position comme un « droit » inaliénable – car ils ont écrit un nombre x de livres ou sont passés à la télévision. La fascination d’être perçu comme une « star » tend à laisser croire que l’on possède un droit absolu à diriger.
Une manière plus efficace de traiter la question du leadership est de l’envisager comme un rôle. Si le leadership est un rôle, alors ce que recouvre sa réalité dépend de la définition de ce rôle plutôt que d’être le privilège d’un individu particulier sans aucune définition claire. Si les qualités de leadership sont explorées & définies par le groupe, alors deux points essentiels émergent. Le premier est que tout le monde peut aspirer à prendre le rôle de chef dans le groupe – si elle démontre ou acquiert les aptitudes nécessaires. Le second point est que quiconque endosse le rôle de chef est responsable vis-à-vis des autres membres de l’organisation. Si la tâche d’un chef est définie & connue, alors il est plus facile pour les autres de demander des comptes si celui-ci n’agit pas de manière appropriée. De plus, puisque le chef est tout autant responsable du succès du groupe que les autres membres, alors il est moins tentant pour les chefs de se placer « au-dessus » des autres au sein de l’organisation.
Ce fut une dure leçon à apprendre pour un grand nombre d’organisations. L’absence de définition claire & la confiance en une autorité absolutiste ne pouvant être remise en cause ou critiquée tend à mener à des systèmes branlants. Les occultistes sont des proies particulièrement faciles pour ce genre de problèmes lorsqu’ils essayent de maintenir la cohésion d’un groupe, en devant faire face à l’absolutisme d’assertions se changeant rapidement en dogmes sur la base de la « Vérité » légitimée par une autorité spirituelle. Si la « Vérité » est considérée comme une chose relative plutôt qu’absolue, comme le dit si bien l’aphorisme d’Hassan I Sabbah : « Rien est Vrai, Tout est Permis », alors la voie est libre pour modeler une organisation magique pour les générations futures sur la base de procédures rationnelles & de choix.
Le Roi du Château – Ordres Magiques & Schismes Internes. Phil Hine. Titre original : « King of The Castle – paranoia & schism in magical groups ». Texte original consultable en ligne sur le site de Phil Hine. Traduction par Spartakus FreeMann, Nadir de Libertalia, juillet 2005 e.v.
Par Phil Hine
Quiconque a examiné en détail l’histoire des mouvements occultes réalise que les schismes, les désordres « les divergences magiques » y sont monnaies courantes. C’est un fait dont se lamentent les magiciens contemporains & l’on s’étonne grandement que cela continue encore de nos jours.
Les racines du mouvement occulte moderne plongent dans le 19e siècle & il n’est pas surprenant par conséquent que certains ordres magiques contemporains se façonnent selon les schémas « traditionnels » établis. Des groupes tels que l’Ordre Hermétique de l’Aube Dorée & l’Ordo Templi Orientis doivent beaucoup quant à leur dynamique et à leur organisation à la Franc-Maçonnerie. L’Aube Dorée, en particulier, semble avoir servi de modèle pour de nombreux ordres magiques subséquents.
L’élément clé à comprendre n’est pas tant que l’Aube Doré se voulait hiérarchisée mais plutôt que les grades hiérarchiques avaient pour but de refléter une forme d’autorité « spirituelle ». Le problème avec l’autorité « spirituelle » est qu’elle est rarement ouverte à l’introspection ou à l’inspection par les autres & qu’il est assez facile pour une personne charismatique & volontaire de proclamer sa supériorité morale sur les autres sur la base d’une « plus haute initiation ». Telle était la façon de procéder de MacGregor Mathers & des autres chefs de l’Aube Dorée, comme de nombre de leurs imitateurs depuis. N’importe qui peut prétendre, suite à une illumination divine, être détenteur d’un mandat pour diriger & informer les autres (je lis une bonne quantité de lettres contenant ce genre de choses tous les mois), même si peu sont ceux qui peuvent le faire au sein de tout un groupe. L’Ordre Magique, bien sûr, est le lieu idéal pour de telles prétentions & ainsi un bon nombre d’apprentis gourous & de mages ont réussi à duper au moins quelques personnes pendant un certain temps.
Le problème lorsque l’on a ainsi « Dieu de son côté », c’est la tendance à l’absolutisme qui en découle. La paranoïa en est une conséquence inévitable, probablement due à cette idée que celui qui ose critiquer questionne l’authenticité de l’initiation du chef & par conséquent son autorité. De là, une polarisation des membres du groupe en « suiveurs » & « ennemis » – qui ne remettent pas seulement en cause le leadership mais l’Ordre en lui-même.
Les failles vont apparaître selon un processus de dissonance – les occultistes participant à un système commun de croyance, tendent vers un consensus sur les types de comportements en consonance avec un grade « spirituel » spécifique. Lorsque le chef commence à manifester des comportements qui appellent le questionnement, alors l’insatisfaction apparaît & grandit. Le chef sent alors que son autorité & son authenticité sont remises en question, ce qui, tôt ou tard, se terminera par des cris & des larmes.
Un schisme interne au sein d’un Ordre est, d’une certaine façon, auto-régulant en ceci qu’il développe la polarisation entre les « suiveurs » & les « ennemis ». Un groupe d’ex-membres, que l’Ordre peut à présent catégoriser en tant qu’ennemis, tend à resserrer les liens entre les membres grâce au ciment de la paranoïa mutuelle. La suite des actions est connue : attaques psychiques, batailles magiques, découpage de lettres dans les pages de la presse occulte etc.
Si les membres sentent qu’ils possèdent la « Vérité », « Dieu » ou le « Grand Œuvre » de leur côté alors les ennemis potentiels deviennent automatiquement des magiciens noirs ou des satanistes. La crainte d’avoir à gérer des contradictions internes au groupe peut disparaître tandis que les membres relèvent leurs manches pour la tâche importante de la défense de la Vérité Cosmique contre le Mal, de la même manière que les politiciens utilisent la guerre afin de distraire la populace des problèmes internes au pays. L’étude de groupes religieux indique que ces groupes sont remarquablement élastiques lorsqu’il s’agit de défendre leurs croyances communes face à ce qui menace la continuation de leur existence.
Les années soixante ont vu émerger une critique du modèle de la hiérarchie spirituelle tant favorisée par les anciens ordres occultes. Cette attaque a conduit à l’idée que les hiérarchies elles-mêmes étaient pourries & qu’aucun chef n’était nécessaire pour diriger le groupe. Cette vision a ses forces & ses faiblesses, mais malheureusement elle n’a reçu que peu d’analyses critiques & est devenue une affaire de croyance dogmatique de la même manière que le modèle précédent s’est englué dans la croyance occultiste qui tend également vers les absolus.
Alors que les occultistes ont évolué dans un vide conceptuel, uniquement balisé par les théories largement incohérentes pérorées par les auteurs successifs – il y a eu depuis bon nombre de recherches conduites dans le domaine de la dynamique organisationnelle, de la thérapie de groupe, dont les résultats livrent des indications intéressantes pour comprendre le fonctionnement des hiérarchies et du leadership).
La première remarque que l’on peut faire, concernant les hiérarchies est que pour certaines tâches elles fonctionnent de manière efficace – plus que dans les systèmes où tout le monde assume le même statut. Un exemple assez connu est l’effet « Bystander » : un groupe de personnes n’engagera aucune action dans une situation donnée avant que quelqu’un ne se manifeste pour prendre les choses en main & organiser le groupe selon les tâches à effectuer. Ceci est particulièrement important lorsque des décisions doivent être prises & menées à bien de manière efficace. Cependant, cela ne signifie pas qu’un groupe qui revêt une organisation hiérarchique est contraint de se comporter uniquement sur un mode hiérarchique. En d’autres circonstances, les membres peuvent agir & interagir de manière tout à fait différente. Ainsi, la hiérarchie est une forme d’organisation qu’un groupe peut utiliser dans des situations appropriées avec la plus grande prudence toutefois.
De la même manière, la question du leadership est plus complexe qu’elle n’apparaît de prime abord. Les textes modernes sur la dynamique de groupe se réfèrent au leadership en tant que rôle. Dans les groupes dits « consensuels », qui ne possèdent apparemment pas de chefs, il n’y a aucune évaluation critique de la manière dont le rôle du leadership peut apparaître. Il arrive souvent que des personnes charismatiques deviennent des chefs, en vertu de leur capacité à influencer les autres, plutôt qu’en fonction d’un choix rationnel. Pour un certain nombre de personnes, ce leadership basé sur l’autorité « « spirituelle » n’est pas véritablement désirable. Par ailleurs, les personnes charismatiques, bien que perçues comme étant de véritables chefs, ont tendance à considérer leur position comme un « droit » inaliénable – car ils ont écrit un nombre x de livres ou sont passés à la télévision. La fascination d’être perçu comme une « star » tend à laisser croire que l’on possède un droit absolu à diriger.
Une manière plus efficace de traiter la question du leadership est de l’envisager comme un rôle. Si le leadership est un rôle, alors ce que recouvre sa réalité dépend de la définition de ce rôle plutôt que d’être le privilège d’un individu particulier sans aucune définition claire. Si les qualités de leadership sont explorées & définies par le groupe, alors deux points essentiels émergent. Le premier est que tout le monde peut aspirer à prendre le rôle de chef dans le groupe – si elle démontre ou acquiert les aptitudes nécessaires. Le second point est que quiconque endosse le rôle de chef est responsable vis-à-vis des autres membres de l’organisation. Si la tâche d’un chef est définie & connue, alors il est plus facile pour les autres de demander des comptes si celui-ci n’agit pas de manière appropriée. De plus, puisque le chef est tout autant responsable du succès du groupe que les autres membres, alors il est moins tentant pour les chefs de se placer « au-dessus » des autres au sein de l’organisation.
Ce fut une dure leçon à apprendre pour un grand nombre d’organisations. L’absence de définition claire & la confiance en une autorité absolutiste ne pouvant être remise en cause ou critiquée tend à mener à des systèmes branlants. Les occultistes sont des proies particulièrement faciles pour ce genre de problèmes lorsqu’ils essayent de maintenir la cohésion d’un groupe, en devant faire face à l’absolutisme d’assertions se changeant rapidement en dogmes sur la base de la « Vérité » légitimée par une autorité spirituelle. Si la « Vérité » est considérée comme une chose relative plutôt qu’absolue, comme le dit si bien l’aphorisme d’Hassan I Sabbah : « Rien est Vrai, Tout est Permis », alors la voie est libre pour modeler une organisation magique pour les générations futures sur la base de procédures rationnelles & de choix.