Une erreur plutôt étrange s’est glissée dans nombre de systèmes occultes: la notion d’« higher self » (que l’on pourrait essayer de traduire par « conscience supérieure » ou « véritable volonté ») a été mal interprétée des sources originelles des religions monothéistes. Nombreux sont ceux qui aiment à penser qu’ils possèdent un ange gardien, ou une conscience supérieure qui aurait plus de réalité ou de spiritualité que leur conscience ordinaire. Mais les faits contredisent cette idée. Il n’existe en effet aucune croyance ni conviction qui ne puisse être modifiée par des techniques psychologiques suffisamment performantes. Rien qui ne puisse être altéré dans une personne. Le stimulus approprié peut, s’il est correctement appliqué, transformer un communiste en fasciste, un saint en démon, un couard en héros, et vice-versa. Il ne se trouve aucun sanctuaire souverain en nous susceptible de représenter notre nature réelle. Personne n’habite cette forteresse intérieure. Ce que nous chérissons comme notre ego, ce en quoi nous croyons, est simplement ce que nous avons assemblé à partir des contingences de notre naissance et des expériences qui s’en suivirent. À l’aide de drogues, de lavages de cerveau et autres techniques de persuasion extrême, nous pouvons assez aisément faire d’un homme un fervent défenseur d’une autre idéologie, le patriote d’un autre pays, ou le dévot d’une autre religion. Notre esprit est uniquement une extension de notre corps et il ne s’y trouve aucune part qui ne puisse être ôtée ou transformée.
L’unique partie de nous qui existe, en dehors de cette structure psychologique mutable et temporaire que nous appelons ego, est le Kia.
« Kia » est le terme sans signification précise donné à l’étincelle vitale qui est en nous. Le Kia est sans forme. Il n’est ni ceci ni cela. Il n’y a quasiment rien que nous puissions en dire si ce n’est que Cela est le centre vide de notre conscience et que Cela « est » tout ce avec quoi Cela est en contact. Cela n’a aucune qualité comme la bonté, la compassion ou la spiritualité, pas plus que leurs opposés. Cela, cependant, donne le sentiment de signification ou de conscience lorsque nous expérimentons ou désirons quelque chose, surtout lorsque nous expérimentons quelque chose de puissant. Le rire d’extase nous offre une assez bonne idée de ce que Cela est.
Ce noyau de la conscience est vide de forme et dépourvu des qualités à partir desquelles notre esprit peut former des images. Il n’y a personne à la maison. Le Kia est anonyme. Nous sommes un champ de forces biomystique incompréhensible, possédant un esprit et un corps qui lui sont attachés. L’erreur faite par tant de systèmes occultes est d’imaginer que ce Kia possède quelque qualité ou nature prédéterminée ou intrinsèque. Mais ce n’est qu’un vœu pieux prétendant donner une signification cosmique à notre ego.
Notre ego est ce que notre esprit imagine que nous sommes. C’est une image de nous-mêmes qui grandit à partir de nos expériences de vie — notre corps, notre sexe, notre race, notre culture, notre éducation, nos peurs et nos désirs. Le besoin de développer un ego assertif et intégré est très pressant. Nous sommes censés savoir exactement qui nous sommes, ce en quoi nous croyons, et nous sommes supposés être capables de défendre cette identité.
Mais plus nous nous identifions à cette identité, et plus nous rejetons ses opposés. Par conséquent, les ego les plus forts appartiennent aux êtres les moins complets. Et pour ces personnes, s’ajoute un problème additionnel : exalter un principe tend à attirer son contraire. Ceux qui appellent la force se trouveront rejetés dans une position de faiblesse. Ceux qui tendent vers le bien seront cernés par le mal.
Développer un ego, c’est comme construire un château. La démarche engendre un sentiment de sécurité et un certain sens du devoir, mais plus la forteresse est grande et plus elle est tentante pour des assaillants potentiels ; en fin de compte, elle devra s’écrouler. Par ailleurs, toute forteresse est aussi une prison. Puisque nos croyances impliquent un rejet de leurs contraires, elles restreignent fortement notre liberté.
La plupart des magiciens portés sur la mystique ou la religion décrivent leurs expériences en termes de transcendance. Ils prétendent avoir été aspirés dans quelque chose de plus grand, comme des feuilles dans un ouragan. Ils disent que leur ego a fusionné dans une union avec la divinité. Mais rien de tel ne s’est jamais produit. En fait, ils ont simplement utilisé une forme d’exaltation gnostique pour introduire leur ego dans une version de dieu qu’ils ont eux-mêmes soigneusement cultivée.
La même chose arrive lorsqu’un magicien essaye d’invoquer son Saint Ange Gardien. La conscience est la source de la volonté comme de la perception. De là, tous les noms, toutes les images, tous les symboles et toutes les directives que le magicien reçoit ne seront que des artefacts exagérés à partir de son propre esprit et de son propre ego, et peut-être des fragments télépathiques reçus d’autres personnes. Mais comme il obtient ces communications dans un état de gnose, il est probable que le magicien les acceptera sans aucune critique. La Gnose déchaîne également la créativité inconsciente.
Chacun d’entre nous possède un véritable Saint Ange Gardien ou Kia qui est notre capacité de conscience, de magie et de génie. Mais nous avons également une regrettable tendance à être obsédés par les simples produits de notre génie, les confondant avec le génie lui-même.
Ces effets secondaires obsessionnels ont un nom générique, Choronzon, ou peut-être devrait-on dire les démons Choronzon, car ses noms sont multiples. Adorer ces créations revient à s’emprisonner soi-même dans la folie et éventuellement invoquer des désastres.
La croyance en un dieu ou en son propre ego est une seule et même chose. Chaque homme est déjà sa propre vision de Dieu. Le maniaque religieux, tout comme le magicien noir, acquiert un certain charisme et se découvre une mission à partir de ses obsessions, mais en fin de compte, sa quête est futile, car il ne peut aller au-delà de ses peurs et de ses désirs de la chose réelle — l’anonyme et sans forme, mais cependant fantastique, source de pouvoir qui est en lui.
Que nous soyons conscients, magiques et créatifs est déjà en soi la plus mystérieuse et la plus incroyable chose de l’univers. Quelque dieu ou conscience supérieure que nous puissions imaginer, elle sera toujours moins stupéfiante que ce que nous sommes en réalité, car elle n’est seulement qu’une de nos créations. Moi-même, je ne veux pas donner un nom, un attribut ou une quelconque signature, au mystère infini demeurant au sein de ma conscience et derrière l’illusion de l’univers. Il a été sagement dit que l’Absolu est soit ineffable, soit bien inférieur à nous.
Invoquer le véritable saint ange Gardien (ou Kia) est paradoxalement une tâche difficile. Comme cela n’a aucune forme, il est impossible d’avoir une prise imaginaire dessus. Et cela ne peut être perçu, car cela est, en soi même, la racine de la volonté et de la perception. Si vous invoquez le saint ange Gardien avec l’espoir d’obtenir des signes et des manifestations, alors les capacités magiques les feront apparaître comme tels, à condition d’utiliser suffisamment de gnose. Et si vous entrez dans un état d’exaltation de façon imprévue, alors la croyance libre ainsi générée s’attachera d’elle-même à toutes vos adhésions mystiques préétablies. Dans les deux cas, vous aurez raté votre coup. Laissez-moi vous répéter mon message initial : le véritable saint ange Gardien est simplement une force de la conscience, de la magie et du génie lui-même — rien de plus. Cela ne peut se manifester dans le vide ; cela s’exprime toujours sous une certaine forme, mais ses expressions sont différentes de sa véritable nature.
Il y a peut-être deux choses que l’on peut faire afin d’invoquer le véritable Saint Ange Gardien ou Kia : premièrement, l’ego peut être remis à sa place en cherchant délibérément l’union avec tout ce que l’on rejette. Deuxièmement, la force divine cachée du Kia peut être ressentie comme la racine de tous les actes conscients, magiques et géniaux en pratiquant de façon aussi diversifiée et étendue que ces actes eux-mêmes.
Invoquez souvent, comme il est dit par l’Oracle.
Et bannissez Choronzon chaque fois qu’il se manifeste.
Le démon Choronzon. Peter J. Carroll. Titre original « Choronzon ». Extrait du Liber Null et Psychonaut [pages 164-167] ed. Weiser, 1987.
Extrait de l’ouvrage Chaos Compendium, La magie des Illuminati de Thanateros, Peter J. Carroll, Traduction française Soror D.S. & Spartakus FreeMann, Camion Blanc, 2010. En vente sur Amazon.fr.
Par Peter J. Carroll
Critique de la théorie des Saints Anges Gardiens
Une erreur plutôt étrange s’est glissée dans nombre de systèmes occultes: la notion d’« higher self » (que l’on pourrait essayer de traduire par « conscience supérieure » ou « véritable volonté ») a été mal interprétée des sources originelles des religions monothéistes. Nombreux sont ceux qui aiment à penser qu’ils possèdent un ange gardien, ou une conscience supérieure qui aurait plus de réalité ou de spiritualité que leur conscience ordinaire. Mais les faits contredisent cette idée. Il n’existe en effet aucune croyance ni conviction qui ne puisse être modifiée par des techniques psychologiques suffisamment performantes. Rien qui ne puisse être altéré dans une personne. Le stimulus approprié peut, s’il est correctement appliqué, transformer un communiste en fasciste, un saint en démon, un couard en héros, et vice-versa. Il ne se trouve aucun sanctuaire souverain en nous susceptible de représenter notre nature réelle. Personne n’habite cette forteresse intérieure. Ce que nous chérissons comme notre ego, ce en quoi nous croyons, est simplement ce que nous avons assemblé à partir des contingences de notre naissance et des expériences qui s’en suivirent. À l’aide de drogues, de lavages de cerveau et autres techniques de persuasion extrême, nous pouvons assez aisément faire d’un homme un fervent défenseur d’une autre idéologie, le patriote d’un autre pays, ou le dévot d’une autre religion. Notre esprit est uniquement une extension de notre corps et il ne s’y trouve aucune part qui ne puisse être ôtée ou transformée.
L’unique partie de nous qui existe, en dehors de cette structure psychologique mutable et temporaire que nous appelons ego, est le Kia.
« Kia » est le terme sans signification précise donné à l’étincelle vitale qui est en nous. Le Kia est sans forme. Il n’est ni ceci ni cela. Il n’y a quasiment rien que nous puissions en dire si ce n’est que Cela est le centre vide de notre conscience et que Cela « est » tout ce avec quoi Cela est en contact. Cela n’a aucune qualité comme la bonté, la compassion ou la spiritualité, pas plus que leurs opposés. Cela, cependant, donne le sentiment de signification ou de conscience lorsque nous expérimentons ou désirons quelque chose, surtout lorsque nous expérimentons quelque chose de puissant. Le rire d’extase nous offre une assez bonne idée de ce que Cela est.
Ce noyau de la conscience est vide de forme et dépourvu des qualités à partir desquelles notre esprit peut former des images. Il n’y a personne à la maison. Le Kia est anonyme. Nous sommes un champ de forces biomystique incompréhensible, possédant un esprit et un corps qui lui sont attachés. L’erreur faite par tant de systèmes occultes est d’imaginer que ce Kia possède quelque qualité ou nature prédéterminée ou intrinsèque. Mais ce n’est qu’un vœu pieux prétendant donner une signification cosmique à notre ego.
Notre ego est ce que notre esprit imagine que nous sommes. C’est une image de nous-mêmes qui grandit à partir de nos expériences de vie — notre corps, notre sexe, notre race, notre culture, notre éducation, nos peurs et nos désirs. Le besoin de développer un ego assertif et intégré est très pressant. Nous sommes censés savoir exactement qui nous sommes, ce en quoi nous croyons, et nous sommes supposés être capables de défendre cette identité.
Mais plus nous nous identifions à cette identité, et plus nous rejetons ses opposés. Par conséquent, les ego les plus forts appartiennent aux êtres les moins complets. Et pour ces personnes, s’ajoute un problème additionnel : exalter un principe tend à attirer son contraire. Ceux qui appellent la force se trouveront rejetés dans une position de faiblesse. Ceux qui tendent vers le bien seront cernés par le mal.
Développer un ego, c’est comme construire un château. La démarche engendre un sentiment de sécurité et un certain sens du devoir, mais plus la forteresse est grande et plus elle est tentante pour des assaillants potentiels ; en fin de compte, elle devra s’écrouler. Par ailleurs, toute forteresse est aussi une prison. Puisque nos croyances impliquent un rejet de leurs contraires, elles restreignent fortement notre liberté.
La plupart des magiciens portés sur la mystique ou la religion décrivent leurs expériences en termes de transcendance. Ils prétendent avoir été aspirés dans quelque chose de plus grand, comme des feuilles dans un ouragan. Ils disent que leur ego a fusionné dans une union avec la divinité. Mais rien de tel ne s’est jamais produit. En fait, ils ont simplement utilisé une forme d’exaltation gnostique pour introduire leur ego dans une version de dieu qu’ils ont eux-mêmes soigneusement cultivée.
La même chose arrive lorsqu’un magicien essaye d’invoquer son Saint Ange Gardien. La conscience est la source de la volonté comme de la perception. De là, tous les noms, toutes les images, tous les symboles et toutes les directives que le magicien reçoit ne seront que des artefacts exagérés à partir de son propre esprit et de son propre ego, et peut-être des fragments télépathiques reçus d’autres personnes. Mais comme il obtient ces communications dans un état de gnose, il est probable que le magicien les acceptera sans aucune critique. La Gnose déchaîne également la créativité inconsciente.
Chacun d’entre nous possède un véritable Saint Ange Gardien ou Kia qui est notre capacité de conscience, de magie et de génie. Mais nous avons également une regrettable tendance à être obsédés par les simples produits de notre génie, les confondant avec le génie lui-même.
Ces effets secondaires obsessionnels ont un nom générique, Choronzon, ou peut-être devrait-on dire les démons Choronzon, car ses noms sont multiples. Adorer ces créations revient à s’emprisonner soi-même dans la folie et éventuellement invoquer des désastres.
La croyance en un dieu ou en son propre ego est une seule et même chose. Chaque homme est déjà sa propre vision de Dieu. Le maniaque religieux, tout comme le magicien noir, acquiert un certain charisme et se découvre une mission à partir de ses obsessions, mais en fin de compte, sa quête est futile, car il ne peut aller au-delà de ses peurs et de ses désirs de la chose réelle — l’anonyme et sans forme, mais cependant fantastique, source de pouvoir qui est en lui.
Que nous soyons conscients, magiques et créatifs est déjà en soi la plus mystérieuse et la plus incroyable chose de l’univers. Quelque dieu ou conscience supérieure que nous puissions imaginer, elle sera toujours moins stupéfiante que ce que nous sommes en réalité, car elle n’est seulement qu’une de nos créations. Moi-même, je ne veux pas donner un nom, un attribut ou une quelconque signature, au mystère infini demeurant au sein de ma conscience et derrière l’illusion de l’univers. Il a été sagement dit que l’Absolu est soit ineffable, soit bien inférieur à nous.
Invoquer le véritable saint ange Gardien (ou Kia) est paradoxalement une tâche difficile. Comme cela n’a aucune forme, il est impossible d’avoir une prise imaginaire dessus. Et cela ne peut être perçu, car cela est, en soi même, la racine de la volonté et de la perception. Si vous invoquez le saint ange Gardien avec l’espoir d’obtenir des signes et des manifestations, alors les capacités magiques les feront apparaître comme tels, à condition d’utiliser suffisamment de gnose. Et si vous entrez dans un état d’exaltation de façon imprévue, alors la croyance libre ainsi générée s’attachera d’elle-même à toutes vos adhésions mystiques préétablies. Dans les deux cas, vous aurez raté votre coup. Laissez-moi vous répéter mon message initial : le véritable saint ange Gardien est simplement une force de la conscience, de la magie et du génie lui-même — rien de plus. Cela ne peut se manifester dans le vide ; cela s’exprime toujours sous une certaine forme, mais ses expressions sont différentes de sa véritable nature.
Il y a peut-être deux choses que l’on peut faire afin d’invoquer le véritable Saint Ange Gardien ou Kia : premièrement, l’ego peut être remis à sa place en cherchant délibérément l’union avec tout ce que l’on rejette. Deuxièmement, la force divine cachée du Kia peut être ressentie comme la racine de tous les actes conscients, magiques et géniaux en pratiquant de façon aussi diversifiée et étendue que ces actes eux-mêmes.
Invoquez souvent, comme il est dit par l’Oracle.
Et bannissez Choronzon chaque fois qu’il se manifeste.
Extrait de l’ouvrage Chaos Compendium, La magie des Illuminati de Thanateros, Peter J. Carroll, Traduction française Soror D.S. & Spartakus FreeMann, Camion Blanc, 2010. En vente sur Amazon.fr.