Par Phil Hine
Phil Hine est l’un des écrivains les plus connus de la Chaos Magick – un courant magique (post) moderne qui a quelque peu chamboulé le milieu de l’occulture dans les années 80 et 90 par sa volonté innovante de reposer les bases de l’occultisme en s’imprégnant des dernières idées de la science et de la philosophie du 20e siècle. Gravitant autour de groupes magiques dans le West Yorkshire (Angleterre) dans les années 80, Phil a publié une série de livres sur le « chamanisme urbain » ainsi que l’excellent Condensed Chaos (New Falcon, 1995) – décrit par William Burroughs comme « la position la plus concise sur la logique de la magie moderne ». Que cet encensement vienne de Burroughs, quoi de plus normal pour cet homme qui a tiré la majeure partie de son inspiration de figures culturelles et littéraires comme Burroughs, Brion Gysin et H.P. Lovecraft et de sources magiques plus « classiques » comme Aleister Crowley et Dion Fortune. Il a également écrit Prime Chaos (Chaos International, 1993) et édité le magazine, aujourd’hui disparu, Chaos International, ainsi que le premier magazine païen « Pagan News ».
Cette interview de Phil Hine par Gyrus est issue du site Dreamflesh et fut publiée dans Towards 2012 : Paganism/Apocalypse (The Unlimited Dream Company, 1998).
[…]
Magie urbaine.
Gyrus : Tu pratiquais bien évidemment la magie lorsque tu vivais en ville. Vois-tu une relation quelconque entre ce que tu as pu pratiquer à la campagne et ce que tu faisais dans ton appartement ?
Phil : Oui, je le pense, car je ne crois pas que l’on puisse jamais s’éloigner de la campagne – elle se répand dans la ville. On le ressent en habitant à Leeds qui est une ville très verte. Ce qui m’intéressait aussi était de nouer des relations avec les esprits de la ville. Pas simplement les fantômes des maisons hantées, mais peut-être les fantômes des installations industrielles. Les choses étranges qui pendent des prises électriques alors que personne ne regarde. Je pense savoir comment nous créons et interprétons et permettons aux esprits d’être là… « Oh oui, il y a des esprits de l’eau et des esprits du feu ». Mais, existe-t-il des esprits de l’électricité ? Existe-t-il des esprits de l’énergie nucléaire ? Existe-t-il des esprits du gaz et du pétrole ? J’ai été véritablement frappé en réalisant que nous avions énormément de métaphores pour décrire la magie de l’extérieur, mais que nous n’avions pas beaucoup de métaphores pour la magie urbaine.
[…]
Chimignose
Gyrus : Les psychédéliques ont-ils joué une part dans ce que tu faisais lorsque tu es entré en contact avec la magie ?
Phil : Non, pas vraiment. Je veux dire, j’ai utilisé des psychédéliques avant de commencer à faire de la magie. J’ai essayé les champignons et l’acide, et toutes ces merdes, mais je n’ai jamais pu m’y faire, je n’ai jamais eu une bonne relation avec eux. Je les trouve excellents pour les visions passives. J’ai fait quelques belles rencontres avec des déesses avec qui je ne travaillais pas ou qui ne m’intéressaient pas, mais vers qui je me suis tourné lors de trips à l’acide. Elles m’ont dit des choses intéressantes, mais je les ai oubliées. Mais, je n’ai jamais été capable de réaliser un bon travail magique avec des psychédéliques. Je connais des gens qui y arrivent, et c’est bien, mais, c’est simplement quelque chose à laquelle je n’arrive pas.
[…]
Je pense que les psychédéliques brouillent les choses. Mes expériences magiques les plus intenses n’ont pas eu lieu sous psychédéliques, c’est tout ce que je peux dire. Si c’est que les gens veulent faire, c’est bien, mais ça ne marche pas pour moi.
Activisme en réseau.
Gyrus : Ainsi, ce fut une inspiration sur le fonctionnement de ce que les gens appellent aujourd’hui l’activisme en réseau plutôt que sur la structure hiérarchique traditionnelle des ordres magiques ?
Phil : Comme je l’ai dit, j’ai été impliqué dans le Paganlink Network au moment de sa création. Ce que j’ai fait entre Heal the Earth et Pagan News fut cet étrange projet appelé le Lincoln Order of Neuromancers.
Gyrus : C’est-à-dire ?
Phil : Et bien, j’avais quelques amis à Lincoln ! Tout ce que nous avons fait c’est de nous moquer de la scène chaote de l’époque. Nous avons produit ce petit « livre en chaîne » que nous avons envoyé sous format A5 non relié en disant « C’est un livre en chaîne ! Si vous l’aimez, ajoutez-y quelque chose et donnez-le à un ami ! » Et ça a marché plutôt bien, nous avons eu des gens qui nous écrivaient afin de rejoindre l’Ordre qui, bien sûr, n’a jamais existé, ce qui était assez marrant. J’ai écrit quelques articles sous divers pseudonymes et nous avons créé un mythe entier autour de cet ordre magique totalement déjanté ; des choses stupides, mais aussi des choses intéressantes, je l’espère. Et l’idée était de se marrer un grand coup tout en émettant des idées intéressantes. Et cela a merveilleusement bien marché en termes de réseau et je pense que c’est ce qui m’a donné l’idée de fonder le Pagan News – faisons quelque chose d’autre ! Emmerdons encore plus de monde, amusons-nous, faisons quelque chose, tu vois ?
[…]
Gyrus : Quelle magie pratiquais-tu ? Crowley comparait la pratique d’un rituel à la publication d’un livre – tu as ton intention, les éditeurs sont tes « serviteurs »…
Phil : Quelle magie je pratiquais ? Tout et rien. Rodney était un ardent thélémite, donc je pratiquais pas mal de magie thélémite avec lui. J’étais sans emploi, totalement stressé et affairé, tout le temps en train de pratiquer la magie que je voulais.
La naissance de la Chaos.
Gyrus : Comment tout cela a-t-il commencé ?
Phil : Eh bien, je n’y étais pas à cette époque. Je suis entré en contact avec la Chaos Magick en 1980. Je me suis procuré une édition du Liber Null (de Pete Carroll) au « Sorceror Apprentice ». Et j’ai pensé « oh mais ça a l’air chouette ». À la fin de mes études je suis entré en contact avec le coven sorcier de Blackpool. J’ai commencé à bosser avec eux.
[…]
Donc, j’étais avec les sorcières de Blackpool et je suis revenu à la Chaos Magick comme réaction, sans doute, à ce que je faisais avec elles. Kathy m’a dit « Qu’est-ce que c’est la Chaos Magick en définitive ? Va et cherche et reviens nous dire ce qu’il en retourne ». Et donc, je m’y suis intéressé. Ce coven était très secret. Tu ne pouvais pas porter de bijoux magiques, tu ne pouvais pas sortir tes livres qui devaient être conservés sous ton lit dans une boîte. Et alors, je me suis détaché de tout cela, j’avais des amis punks qui étaient fascinés par la déesse Eris, la déesse de la Chaos. Assez vite, j’ai arrêté les rituels wiccans, j’ai commencé des rituels à Eris. Ainsi, la Chaos Magick est-elle entrée dans ma vie. […] J’ai arrêté de pratiquer en me basant sur les indications des autres et je crois que c’est ce qui définit le mieux mon approche de la Chaos Magick, « ne fais pas ce que les autres te disent de faire ». Tandis que de plus en plus de choses circulaient au sujet de la Chaos Magick et comme Leeds était le centre de la Chaos, j’ai commencé à rencontrer de plus en plus de grands « noms » de la scène chaote et à m’y intéresser de plus en plus. Suite à une question posée un jour au sujet de la Chaos, j’ai décidé d’écrire Condensed Chaos. Et ce fut le premier pas qui m’associa, en tant qu’individu, au courant de la Chaos. […] Lorsque j’ai déménagé à Londres, je me suis accointé, comme cela semblait inévitable, avec les « Illuminates of Thanateros ». C’était assez étrange pour moi, car si je ne m’étais pas posé comme un magicien de la chaos, j’avais pourtant écrit Condensed Chaos et Chaos Servitors un an auparavant sans arriver à les faire publier. J’ai écrit après Prime Chaos et les gens ont alors dit « Phil Hine, magicien de la chaos », ce que je pense ne pas être vrai du tout.
[…]
Et j’ai pensé, « Arg, je ne veux pas être du tout un magicien de la chaos… je ne veux pas être connu en tant que magicien de la chaos, et uniquement comme tel. »
Gyrus : Ce qui serait contre l’idée de ce qu’est la Chaos Magick avant tout, une idée fixe…
[…]
Autre chose que je trouve intéressante à propos de la magie, c’est la manière dont les gens dressent des murs autour d’elle : on doit la pratiquer à l’extérieur, dans la chambre ou dans le grenier… On ne doit pas la pratiquer dans un bureau ou dans un bus ou un train. La magie devient une barrière. Je peux m’identifier à cela car c’est ce que j’ai fait pendant de nombreuses années, et on retrouve ça dans de nombreux ouvrages magiques, cette idée de séparer la vie mondaine de la vie magique – et les deux ne doivent jamais se croiser. Je dis : « Bien, il y a juste la vie ». La magie ne s’arrête pas lorsque tu enlèves ta robe ou lorsque tu remets tes pantalons.
La frontière magique.
Gyrus : Comment cela affecte-t-il ton attitude dans le bannissement avant et après les rituels ?
Phil : Je pense… C’est ce que l’on te dit, n’est-ce pas ? « Tu dois bannir avant et après un rituel… » […]
Ma position sur le bannissement est : il y a des moments où tu dois bannir, il y a des moments où tu ne le dois pas. Et, il t’appartient de le percevoir et de décider quand le faire. Je pense que, généralement, c’est une bonne chose, mais il y a des situations où cela n’est pas approprié. Il y aura des situations où tu ne pourras pas bannir. J’ai toujours trouvé ridicule d’aller dans les bois et d’y faire le Rituel Mineur de Bannissement du Pentagramme. Ce ne me semble tout simplement pas correct. Qu’est-ce que j’essaye de bannir ? Je n’essaye pas de bannir, en fait, j’invite les choses à venir à moi, à regarder et à jouer et à danser et à chanter. Bannir, à nouveau, est dans cette idée de fermer tout et de revenir à la « réalité ». […]
Gyrus : Si tu adoptes cette idée d’amener la magie dans la vie en général, sans ces barrières, alors, comment cela affecte-t-il ta relation aux autres personnes (amis, collègues…) qui n’ont aucune idée de ce qu’est la magie ?
Phil : Tu sais, je connais des gens qui publient des livres sur la magie au travail. J’ai commencé à faire pas mal de magie des sceaux au travail. J’ai une idée de sceaux, je le couche sur papier ou post-it, je le regarde chaque fois que je suis totalement épuisé de taper toute la journée. Alors, le post-it tombe du moniteur et le sceau est réalisé. J’ai découvert que je pouvais faire pas mal de travail magique au travail ou en me rendant au travail.
[…]
Vilaine, vilaine Chaos !
Gyrus : Pour revenir à la Chaos Magick… une mauvaise réputation…
Phil : Oh, une terrible réputation.
Gyrus : Depuis le début et encore aujourd’hui.
Phil : Depuis le début et encore de nos jours, oui. 20 ans et elle a toujours une mauvaise réputation. Pourquoi ?
Gyrus : Pourquoi donc ?
Phil : Je pense que cela tient au mot « chaos » qui énerve les gens. Nous n’aimons pas penser à la nature des choses comme étant chaotique, ou à nos vies comme étant chaotiques. Nous aimons l’ordre, les cycles, nous aimons penser que les choses arrivent à cause du destin, du karma, de l’univers, de Dieu… Pas qu’elles arrivent de manière inexplicable… Dans les années 80, il y avait pas mal de monde qui râlait sur les magiciens de la chaos à cause de leur manque d’éthique, de leur « immoralité ». Et tu connais cette phrase « Rien est vrai, tout est permis » qui sonne quelque peu… anarchiste. Ca a toujours été un problème pour moi car ce que je dis aux gens, sur la magie éthique, ou l’éthique en général, est qu’on créé la sienne propre, soi-même. Ce qui est moral pour toi plutôt que ce que l’on te dit l’être.
Je pense que la Chaos Magick énerve aussi, car elle a attiré à elle pas mal de monde dans l’idée qu’elle était une forme de « satanisme des années 90 » destinée à choquer. Il y a des enfants qui portent un t-shirt « Hail Satan » et qui admirent la Chaos. C’est ce qui énerve les gens. Et ce qui semble être une tendance forte de la communauté chaote est la destruction des systèmes de croyance des autres. « La Chaos est meilleure que la Wicca » – ce qui en soi est, je pense, un non-sens absolu. Heureusement, ils grandiront, ou pas.
Autrement, je ne sais pas pourquoi la Chaos est aussi mal considérée… Je crois que tu devrais essayer de trouver des mecs qui sont énervés par elle et leur poser la question. Car, mon approche de la Chaos Magick est : « C’est étrange ! Faisons des choses étranges et ayons du bon temps ! » ; plutôt que « Faisons des trucs vraiment dark… ».
Gyrus : Que penses-tu de la Chaos aujourd’hui, et qu’en est-il du prochain numéro de « Chaos International » ?
Phil : Eh bien (rire amusé), c’est la fin d’une ère ! Peut-être que quelque chose de différent émergera du chaos lui-même.
Gyrus : Comment voyais-tu la Chaos lorsque tu y étais impliqué et qu’elle était à son apogée ?
Phil : Eh bien, certains disent qu’elle est toujours à son apogée. J’ai espéré pendant longtemps que ce en quoi les chaotes pourraient muter serait une surprise pour moi et pourrait même réaliser ce que je n’ai pu faire moi-même. J’aimerais voir une nouvelle génération de magiciens faire quelque chose qui ferait apparaître mes propres réalisations comme chiantes. Je veux voir de nouvelles idées et de la créativité, de l’inspiration. Je veux être surpris.
Il m’est arrivé de penser que la Chaos ne deviendrait qu’une « Chose » comme les autres, de la même manière que les Wiccans, les Fairy Wiccans, les Hedge Wiccans, les Kabbalistes et les néo-kabbalistes, les thélémites qui n’aiment pas les autres thélémites ; et deviendrait une autre sous-section de la Grande Chose. Pete Carroll a cette idée que la Chaos Magick deviendra un grand mouvement, qu’il remplacera tous les autres systèmes magiques. Je ne pense pas que cela arrivera.
Je pense que la nature de la Chaos est de muter dans toutes les directions. Si nous acceptons l’idée que toute personne qui pratique ou fait de la Chaos Magick, à des degrés divers, le fait selon ses propres perspectives, qui ne sont pas les miennes, les tiennes ou celles de quelqu’un d’autre, alors cela doit exploser dans toutes les directions. Où cela en sera-t-il dans 20 ans ? Je n’en ai aucune idée. Et ce n’est pas quelque chose à laquelle je pense. Je ne sais pas où je serai dans 20 ans, donc je ne peux rien dire en ce qui concerne la Chaos Magick.
[…]
Chaos et Tradition.
Phil : Lorsque je travaillais sur la tradition nordique, je lisais les mythes, les grandes histoires, j’y prenais plaisir et je bossais avec Thor. J’essayais de penser comment je pourrais me comporter de la même manière que Thor. Je pratiquais de la magie nordique, je faisais des recherches sur la culture et sur son impact sur la culture britannique. Si je pratique le tantrisme alors, je fais un travail basé entièrement sur l’Inde.
Gyrus : Bien que tu ne sois pas indien…
Phil : Bien que je ne sois pas indien. Mais, je ferai le travail à la manière indienne dans le sens où je n’utiliserai que des structures et des symbolismes rituels indiens – en essayant de recréer l’« esprit » du rituel, et je pense qu’utiliser des structures et des formulations rituelles occidentales m’empêcherait de le faire. Ce que j’ai réalisé récemment est que lorsque je pratique le tantrisme, ou lorsque j’essaye de penser tantrique, si tu préfères, il est important que je comprenne l’histoire de cette culture. J’essaye d’obtenir une certaine compréhension de ce qui se passe ; de comprendre comment le Tantra contribue à la psyché de cette culture. Pour moi, il est problématique de ne prendre qu’une chose d’une culture sans comprendre comment ce que tu prends est relié à cette culture. Pour moi, le problème de la magie moderne est que nous tendons à projeter des choses dans ce que nous prenons des autres cultures. Je me demande parfois si nous ne sommes pas tentés de prendre des choses des autres cultures du fait que nous ne connaissons rien de notre propre culture. […] Je pense que lorsque nous empruntons d’une culture, nous avons une certaine responsabilité à découvrir s’il est approprié de faire telle ou telle chose et pourquoi on le fait de cette manière et pas d’une autre dans cette culture particulière.
Gyrus : Ce respect pour et cette responsabilité vers les autres cultures émergent de la vision chaote ?
Phil : Émergent de ma vision.
Gyrus : D’accord.
Phil : De mon approche de la Chaos Magick. Afin d’être plus clair, j’ai réalisé assez récemment que, bien que je sois intéressé par le Tantra depuis des années, je ne sais rien de l’Inde. J’ai lu au sujet de ce culte tantrique de l’Assam au 15e siècle, mais je ne savais pas où se trouvait l’Assam ! Ce fut un choc et j’ai pensé que je devais le savoir.
Créer les ancêtres.
Phil : Je pense que c’est encore une raison pour laquelle la Chaos Magick énerve les gens. « La Chaos Magick n’est pas une tradition. Nous ne proclamons pas remonter aux atlantes ou aux anciens druides. Nous nous construisons tandis que nous avançons ».
Gyrus : Et, à présent, elle est devenue une forme de tradition.
Phil : Oui… Sur l’internet j’ai vu des personnes parler de la Chaos Magick « carrollienne », ainsi, Pete Carroll est-il devenu une étiquette pour sa propre marque de Chaos Magick, ce que je suis sûr il n’aimerait pas. Ou peut-être que si, je ne sais trop… Il parlait lui-même des magiciens de la chaos « techno-rationnels » vs les magiciens de la chaos « artistico-romantiques ». Il a dit qu’il voulait que les techno-rationnels soient les gens qui marchaient avec lui et que les artistico-romantiques tombent comme des mouches. Je suppose que je suis un magicien de la chaos artistico-romantique plutôt technocratique, rationnel. Je n’ai aucun intérêt dans les équations de la magie.
Gyrus : Je n’ai plus de questions.
Phil : Super !
Interview de Phil Hine. Extraits de l’interview de Phil Hine par Gyrus. Traduction française par Spartakus FreeMann, octobre 2008 e.v.
Par Phil Hine
Phil Hine est l’un des écrivains les plus connus de la Chaos Magick – un courant magique (post) moderne qui a quelque peu chamboulé le milieu de l’occulture dans les années 80 et 90 par sa volonté innovante de reposer les bases de l’occultisme en s’imprégnant des dernières idées de la science et de la philosophie du 20e siècle. Gravitant autour de groupes magiques dans le West Yorkshire (Angleterre) dans les années 80, Phil a publié une série de livres sur le « chamanisme urbain » ainsi que l’excellent Condensed Chaos (New Falcon, 1995) – décrit par William Burroughs comme « la position la plus concise sur la logique de la magie moderne ». Que cet encensement vienne de Burroughs, quoi de plus normal pour cet homme qui a tiré la majeure partie de son inspiration de figures culturelles et littéraires comme Burroughs, Brion Gysin et H.P. Lovecraft et de sources magiques plus « classiques » comme Aleister Crowley et Dion Fortune. Il a également écrit Prime Chaos (Chaos International, 1993) et édité le magazine, aujourd’hui disparu, Chaos International, ainsi que le premier magazine païen « Pagan News ».
Cette interview de Phil Hine par Gyrus est issue du site Dreamflesh et fut publiée dans Towards 2012 : Paganism/Apocalypse (The Unlimited Dream Company, 1998).
[…]
Magie urbaine.
Gyrus : Tu pratiquais bien évidemment la magie lorsque tu vivais en ville. Vois-tu une relation quelconque entre ce que tu as pu pratiquer à la campagne et ce que tu faisais dans ton appartement ?
Phil : Oui, je le pense, car je ne crois pas que l’on puisse jamais s’éloigner de la campagne – elle se répand dans la ville. On le ressent en habitant à Leeds qui est une ville très verte. Ce qui m’intéressait aussi était de nouer des relations avec les esprits de la ville. Pas simplement les fantômes des maisons hantées, mais peut-être les fantômes des installations industrielles. Les choses étranges qui pendent des prises électriques alors que personne ne regarde. Je pense savoir comment nous créons et interprétons et permettons aux esprits d’être là… « Oh oui, il y a des esprits de l’eau et des esprits du feu ». Mais, existe-t-il des esprits de l’électricité ? Existe-t-il des esprits de l’énergie nucléaire ? Existe-t-il des esprits du gaz et du pétrole ? J’ai été véritablement frappé en réalisant que nous avions énormément de métaphores pour décrire la magie de l’extérieur, mais que nous n’avions pas beaucoup de métaphores pour la magie urbaine.
[…]
Chimignose
Gyrus : Les psychédéliques ont-ils joué une part dans ce que tu faisais lorsque tu es entré en contact avec la magie ?
Phil : Non, pas vraiment. Je veux dire, j’ai utilisé des psychédéliques avant de commencer à faire de la magie. J’ai essayé les champignons et l’acide, et toutes ces merdes, mais je n’ai jamais pu m’y faire, je n’ai jamais eu une bonne relation avec eux. Je les trouve excellents pour les visions passives. J’ai fait quelques belles rencontres avec des déesses avec qui je ne travaillais pas ou qui ne m’intéressaient pas, mais vers qui je me suis tourné lors de trips à l’acide. Elles m’ont dit des choses intéressantes, mais je les ai oubliées. Mais, je n’ai jamais été capable de réaliser un bon travail magique avec des psychédéliques. Je connais des gens qui y arrivent, et c’est bien, mais, c’est simplement quelque chose à laquelle je n’arrive pas.
[…]
Je pense que les psychédéliques brouillent les choses. Mes expériences magiques les plus intenses n’ont pas eu lieu sous psychédéliques, c’est tout ce que je peux dire. Si c’est que les gens veulent faire, c’est bien, mais ça ne marche pas pour moi.
Activisme en réseau.
Gyrus : Ainsi, ce fut une inspiration sur le fonctionnement de ce que les gens appellent aujourd’hui l’activisme en réseau plutôt que sur la structure hiérarchique traditionnelle des ordres magiques ?
Phil : Comme je l’ai dit, j’ai été impliqué dans le Paganlink Network au moment de sa création. Ce que j’ai fait entre Heal the Earth et Pagan News fut cet étrange projet appelé le Lincoln Order of Neuromancers.
Gyrus : C’est-à-dire ?
Phil : Et bien, j’avais quelques amis à Lincoln ! Tout ce que nous avons fait c’est de nous moquer de la scène chaote de l’époque. Nous avons produit ce petit « livre en chaîne » que nous avons envoyé sous format A5 non relié en disant « C’est un livre en chaîne ! Si vous l’aimez, ajoutez-y quelque chose et donnez-le à un ami ! » Et ça a marché plutôt bien, nous avons eu des gens qui nous écrivaient afin de rejoindre l’Ordre qui, bien sûr, n’a jamais existé, ce qui était assez marrant. J’ai écrit quelques articles sous divers pseudonymes et nous avons créé un mythe entier autour de cet ordre magique totalement déjanté ; des choses stupides, mais aussi des choses intéressantes, je l’espère. Et l’idée était de se marrer un grand coup tout en émettant des idées intéressantes. Et cela a merveilleusement bien marché en termes de réseau et je pense que c’est ce qui m’a donné l’idée de fonder le Pagan News – faisons quelque chose d’autre ! Emmerdons encore plus de monde, amusons-nous, faisons quelque chose, tu vois ?
[…]
Gyrus : Quelle magie pratiquais-tu ? Crowley comparait la pratique d’un rituel à la publication d’un livre – tu as ton intention, les éditeurs sont tes « serviteurs »…
Phil : Quelle magie je pratiquais ? Tout et rien. Rodney était un ardent thélémite, donc je pratiquais pas mal de magie thélémite avec lui. J’étais sans emploi, totalement stressé et affairé, tout le temps en train de pratiquer la magie que je voulais.
La naissance de la Chaos.
Gyrus : Comment tout cela a-t-il commencé ?
Phil : Eh bien, je n’y étais pas à cette époque. Je suis entré en contact avec la Chaos Magick en 1980. Je me suis procuré une édition du Liber Null (de Pete Carroll) au « Sorceror Apprentice ». Et j’ai pensé « oh mais ça a l’air chouette ». À la fin de mes études je suis entré en contact avec le coven sorcier de Blackpool. J’ai commencé à bosser avec eux.
[…]
Donc, j’étais avec les sorcières de Blackpool et je suis revenu à la Chaos Magick comme réaction, sans doute, à ce que je faisais avec elles. Kathy m’a dit « Qu’est-ce que c’est la Chaos Magick en définitive ? Va et cherche et reviens nous dire ce qu’il en retourne ». Et donc, je m’y suis intéressé. Ce coven était très secret. Tu ne pouvais pas porter de bijoux magiques, tu ne pouvais pas sortir tes livres qui devaient être conservés sous ton lit dans une boîte. Et alors, je me suis détaché de tout cela, j’avais des amis punks qui étaient fascinés par la déesse Eris, la déesse de la Chaos. Assez vite, j’ai arrêté les rituels wiccans, j’ai commencé des rituels à Eris. Ainsi, la Chaos Magick est-elle entrée dans ma vie. […] J’ai arrêté de pratiquer en me basant sur les indications des autres et je crois que c’est ce qui définit le mieux mon approche de la Chaos Magick, « ne fais pas ce que les autres te disent de faire ». Tandis que de plus en plus de choses circulaient au sujet de la Chaos Magick et comme Leeds était le centre de la Chaos, j’ai commencé à rencontrer de plus en plus de grands « noms » de la scène chaote et à m’y intéresser de plus en plus. Suite à une question posée un jour au sujet de la Chaos, j’ai décidé d’écrire Condensed Chaos. Et ce fut le premier pas qui m’associa, en tant qu’individu, au courant de la Chaos. […] Lorsque j’ai déménagé à Londres, je me suis accointé, comme cela semblait inévitable, avec les « Illuminates of Thanateros ». C’était assez étrange pour moi, car si je ne m’étais pas posé comme un magicien de la chaos, j’avais pourtant écrit Condensed Chaos et Chaos Servitors un an auparavant sans arriver à les faire publier. J’ai écrit après Prime Chaos et les gens ont alors dit « Phil Hine, magicien de la chaos », ce que je pense ne pas être vrai du tout.
[…]
Et j’ai pensé, « Arg, je ne veux pas être du tout un magicien de la chaos… je ne veux pas être connu en tant que magicien de la chaos, et uniquement comme tel. »
Gyrus : Ce qui serait contre l’idée de ce qu’est la Chaos Magick avant tout, une idée fixe…
[…]
Autre chose que je trouve intéressante à propos de la magie, c’est la manière dont les gens dressent des murs autour d’elle : on doit la pratiquer à l’extérieur, dans la chambre ou dans le grenier… On ne doit pas la pratiquer dans un bureau ou dans un bus ou un train. La magie devient une barrière. Je peux m’identifier à cela car c’est ce que j’ai fait pendant de nombreuses années, et on retrouve ça dans de nombreux ouvrages magiques, cette idée de séparer la vie mondaine de la vie magique – et les deux ne doivent jamais se croiser. Je dis : « Bien, il y a juste la vie ». La magie ne s’arrête pas lorsque tu enlèves ta robe ou lorsque tu remets tes pantalons.
La frontière magique.
Gyrus : Comment cela affecte-t-il ton attitude dans le bannissement avant et après les rituels ?
Phil : Je pense… C’est ce que l’on te dit, n’est-ce pas ? « Tu dois bannir avant et après un rituel… » […]
Ma position sur le bannissement est : il y a des moments où tu dois bannir, il y a des moments où tu ne le dois pas. Et, il t’appartient de le percevoir et de décider quand le faire. Je pense que, généralement, c’est une bonne chose, mais il y a des situations où cela n’est pas approprié. Il y aura des situations où tu ne pourras pas bannir. J’ai toujours trouvé ridicule d’aller dans les bois et d’y faire le Rituel Mineur de Bannissement du Pentagramme. Ce ne me semble tout simplement pas correct. Qu’est-ce que j’essaye de bannir ? Je n’essaye pas de bannir, en fait, j’invite les choses à venir à moi, à regarder et à jouer et à danser et à chanter. Bannir, à nouveau, est dans cette idée de fermer tout et de revenir à la « réalité ». […]
Gyrus : Si tu adoptes cette idée d’amener la magie dans la vie en général, sans ces barrières, alors, comment cela affecte-t-il ta relation aux autres personnes (amis, collègues…) qui n’ont aucune idée de ce qu’est la magie ?
Phil : Tu sais, je connais des gens qui publient des livres sur la magie au travail. J’ai commencé à faire pas mal de magie des sceaux au travail. J’ai une idée de sceaux, je le couche sur papier ou post-it, je le regarde chaque fois que je suis totalement épuisé de taper toute la journée. Alors, le post-it tombe du moniteur et le sceau est réalisé. J’ai découvert que je pouvais faire pas mal de travail magique au travail ou en me rendant au travail.
[…]
Vilaine, vilaine Chaos !
Gyrus : Pour revenir à la Chaos Magick… une mauvaise réputation…
Phil : Oh, une terrible réputation.
Gyrus : Depuis le début et encore aujourd’hui.
Phil : Depuis le début et encore de nos jours, oui. 20 ans et elle a toujours une mauvaise réputation. Pourquoi ?
Gyrus : Pourquoi donc ?
Phil : Je pense que cela tient au mot « chaos » qui énerve les gens. Nous n’aimons pas penser à la nature des choses comme étant chaotique, ou à nos vies comme étant chaotiques. Nous aimons l’ordre, les cycles, nous aimons penser que les choses arrivent à cause du destin, du karma, de l’univers, de Dieu… Pas qu’elles arrivent de manière inexplicable… Dans les années 80, il y avait pas mal de monde qui râlait sur les magiciens de la chaos à cause de leur manque d’éthique, de leur « immoralité ». Et tu connais cette phrase « Rien est vrai, tout est permis » qui sonne quelque peu… anarchiste. Ca a toujours été un problème pour moi car ce que je dis aux gens, sur la magie éthique, ou l’éthique en général, est qu’on créé la sienne propre, soi-même. Ce qui est moral pour toi plutôt que ce que l’on te dit l’être.
Je pense que la Chaos Magick énerve aussi, car elle a attiré à elle pas mal de monde dans l’idée qu’elle était une forme de « satanisme des années 90 » destinée à choquer. Il y a des enfants qui portent un t-shirt « Hail Satan » et qui admirent la Chaos. C’est ce qui énerve les gens. Et ce qui semble être une tendance forte de la communauté chaote est la destruction des systèmes de croyance des autres. « La Chaos est meilleure que la Wicca » – ce qui en soi est, je pense, un non-sens absolu. Heureusement, ils grandiront, ou pas.
Autrement, je ne sais pas pourquoi la Chaos est aussi mal considérée… Je crois que tu devrais essayer de trouver des mecs qui sont énervés par elle et leur poser la question. Car, mon approche de la Chaos Magick est : « C’est étrange ! Faisons des choses étranges et ayons du bon temps ! » ; plutôt que « Faisons des trucs vraiment dark… ».
Gyrus : Que penses-tu de la Chaos aujourd’hui, et qu’en est-il du prochain numéro de « Chaos International » ?
Phil : Eh bien (rire amusé), c’est la fin d’une ère ! Peut-être que quelque chose de différent émergera du chaos lui-même.
Gyrus : Comment voyais-tu la Chaos lorsque tu y étais impliqué et qu’elle était à son apogée ?
Phil : Eh bien, certains disent qu’elle est toujours à son apogée. J’ai espéré pendant longtemps que ce en quoi les chaotes pourraient muter serait une surprise pour moi et pourrait même réaliser ce que je n’ai pu faire moi-même. J’aimerais voir une nouvelle génération de magiciens faire quelque chose qui ferait apparaître mes propres réalisations comme chiantes. Je veux voir de nouvelles idées et de la créativité, de l’inspiration. Je veux être surpris.
Il m’est arrivé de penser que la Chaos ne deviendrait qu’une « Chose » comme les autres, de la même manière que les Wiccans, les Fairy Wiccans, les Hedge Wiccans, les Kabbalistes et les néo-kabbalistes, les thélémites qui n’aiment pas les autres thélémites ; et deviendrait une autre sous-section de la Grande Chose. Pete Carroll a cette idée que la Chaos Magick deviendra un grand mouvement, qu’il remplacera tous les autres systèmes magiques. Je ne pense pas que cela arrivera.
Je pense que la nature de la Chaos est de muter dans toutes les directions. Si nous acceptons l’idée que toute personne qui pratique ou fait de la Chaos Magick, à des degrés divers, le fait selon ses propres perspectives, qui ne sont pas les miennes, les tiennes ou celles de quelqu’un d’autre, alors cela doit exploser dans toutes les directions. Où cela en sera-t-il dans 20 ans ? Je n’en ai aucune idée. Et ce n’est pas quelque chose à laquelle je pense. Je ne sais pas où je serai dans 20 ans, donc je ne peux rien dire en ce qui concerne la Chaos Magick.
[…]
Chaos et Tradition.
Phil : Lorsque je travaillais sur la tradition nordique, je lisais les mythes, les grandes histoires, j’y prenais plaisir et je bossais avec Thor. J’essayais de penser comment je pourrais me comporter de la même manière que Thor. Je pratiquais de la magie nordique, je faisais des recherches sur la culture et sur son impact sur la culture britannique. Si je pratique le tantrisme alors, je fais un travail basé entièrement sur l’Inde.
Gyrus : Bien que tu ne sois pas indien…
Phil : Bien que je ne sois pas indien. Mais, je ferai le travail à la manière indienne dans le sens où je n’utiliserai que des structures et des symbolismes rituels indiens – en essayant de recréer l’« esprit » du rituel, et je pense qu’utiliser des structures et des formulations rituelles occidentales m’empêcherait de le faire. Ce que j’ai réalisé récemment est que lorsque je pratique le tantrisme, ou lorsque j’essaye de penser tantrique, si tu préfères, il est important que je comprenne l’histoire de cette culture. J’essaye d’obtenir une certaine compréhension de ce qui se passe ; de comprendre comment le Tantra contribue à la psyché de cette culture. Pour moi, il est problématique de ne prendre qu’une chose d’une culture sans comprendre comment ce que tu prends est relié à cette culture. Pour moi, le problème de la magie moderne est que nous tendons à projeter des choses dans ce que nous prenons des autres cultures. Je me demande parfois si nous ne sommes pas tentés de prendre des choses des autres cultures du fait que nous ne connaissons rien de notre propre culture. […] Je pense que lorsque nous empruntons d’une culture, nous avons une certaine responsabilité à découvrir s’il est approprié de faire telle ou telle chose et pourquoi on le fait de cette manière et pas d’une autre dans cette culture particulière.
Gyrus : Ce respect pour et cette responsabilité vers les autres cultures émergent de la vision chaote ?
Phil : Émergent de ma vision.
Gyrus : D’accord.
Phil : De mon approche de la Chaos Magick. Afin d’être plus clair, j’ai réalisé assez récemment que, bien que je sois intéressé par le Tantra depuis des années, je ne sais rien de l’Inde. J’ai lu au sujet de ce culte tantrique de l’Assam au 15e siècle, mais je ne savais pas où se trouvait l’Assam ! Ce fut un choc et j’ai pensé que je devais le savoir.
Créer les ancêtres.
Phil : Je pense que c’est encore une raison pour laquelle la Chaos Magick énerve les gens. « La Chaos Magick n’est pas une tradition. Nous ne proclamons pas remonter aux atlantes ou aux anciens druides. Nous nous construisons tandis que nous avançons ».
Gyrus : Et, à présent, elle est devenue une forme de tradition.
Phil : Oui… Sur l’internet j’ai vu des personnes parler de la Chaos Magick « carrollienne », ainsi, Pete Carroll est-il devenu une étiquette pour sa propre marque de Chaos Magick, ce que je suis sûr il n’aimerait pas. Ou peut-être que si, je ne sais trop… Il parlait lui-même des magiciens de la chaos « techno-rationnels » vs les magiciens de la chaos « artistico-romantiques ». Il a dit qu’il voulait que les techno-rationnels soient les gens qui marchaient avec lui et que les artistico-romantiques tombent comme des mouches. Je suppose que je suis un magicien de la chaos artistico-romantique plutôt technocratique, rationnel. Je n’ai aucun intérêt dans les équations de la magie.
Gyrus : Je n’ai plus de questions.
Phil : Super !