De 1923 jusqu’au début des années 30, pour William Mortensen, photographe de son état, tout baigne. Son atelier installé sur Hollywood Boulevard lui permet de côtoyer Fay Wray en petite culotte, Cecil B. de Mille, Margaret Livingston, Marlene Dietrich et quelques autres… Ses talents de portraitiste utilisant le flou et la retouche des négatifs pour peaufiner les rendus, lui assurent la gratitude des stars et en font l’un des photographes les plus célèbres de son époque.
Mais cet état de grâce ne va pas durer. À partir des années 40, la mode vire au minimalisme et le style de Mortensen prend un coup d’anachronisme sur le coin du développeur. Désormais la tendance est à la capture brute et sans fioriture de l’image. En tête de la nouvelle vague se trouve le groupe f/64, fondé en 1932 par Ansel Adams et Edward Weston, qui s’est donné pour tâche de libérer la photographie de l’emprise de la peinture, afin de lui permettre d’être reconnue comme art à part entière. Le groupe édicte donc de nouveaux principes esthétiques reposant sur l’excellence technique, la précision et la pureté. L’image nue et puis c’est tout.
Cette manie documentaire ne laisse dès lors plus aucune place aux « bizarreries gothiques » de Mortensen, incarnations de ce que le groupe f/64 a pris en horreur. Il se trouvera même des artistes pour lui faire des croche-pieds post-mortem. Ansel Adams fera ainsi pression pour que le travail de celui qu’il considère à la fois comme « le diable » et « l’antéchrist » soit écarté du « Center for Creative Photography » de l’université d’Arizona.
Entre temps, William Mortensen a déménagé pour Laguna Beach, en Californie. Il y ouvre un nouvel atelier, ainsi qu’une école, the Mortensen School Of Photography, inaugurée en 1931 et qui restera active jusqu’à sa mort en 1965.
En 1933, il épouse Myrdith Monaghan et fait la rencontre de George Dunham qui deviendra un ami intime et l’un de ses modèles photographiques. La même année, débute pour lui un long travail d’écriture en collaboration avec Dunham, qui ne prendra fin qu’en 1960 avec un manuscrit inachevé intitulé Composition. Trente-deux ans de collaboration qui aboutiront à 9 ouvrages et une centaine d’articles publiés dans des magazines et des journaux.
La gloire lui glisse peu à peu entre les doigts, mais notre artiste s’en tient à son parti pris démodé de « pictorialisme » qui lui vaudra après sa mort d’être écarté de l’histoire « sérieuse » de la photographie.
Ce courant qui lui tient à coeur est né à la fin du XIXe siècle, lorsque la photographie encore jeune cherchait ses repères. En quête de légitimité, certains artistes optent pour un rapprochement avec d’autres arts comme la peinture ou le dessin. Pour cela, les pictorialistes utiliseront toutes les techniques à leur disposition : grattage, brossage du négatif, utilisation de filtres, retouches, peinture de l’image, etc.
Le résultat en est des photographies qui ressemblent décidément plus à des tableaux et laissent au spectateur une impression d’irréalité, de fascination, parfois de malaise. Mortensen choisira d’ailleurs des thèmes qui filent la même laine que ses partis-pris techniques : des images érotiques ou « monstrueuses » qui ont en premier lieu la propriété d’accrocher le regard. Car ainsi que le souligne Charles Grivel, dans son ouvrage Fantastique-Fiction, le pouvoir de fascination est le propre de la monstruosité dont l’essence est d’être un spectacle, un « donné à voir ». Comme l’image érotique ou pornographique, le monstre « saute aux yeux » du spectateur.
Le pictorialisme, cette « esthétique des aberrations optiques », jouira d’un certain succès jusqu’aux années 40, puis sera la cible des attaques de la nouvelle vague photographique qui le dénonceront comme « une vision dégénérée ». On reprochera notamment à ses adeptes de confondre maîtrise technique et artistique, d’abuser du flou et de donner dans l’image d’Épinal – autodafé qui aura pour conséquence de jeter le bébé avec l’eau du bain, toute création pictorialiste étant désormais considérée comme une façon de balbutiement honteux dans l’histoire de la photographie.
Après l’avoir regardé disparaître dans le siphon, les critiques contemporains s’appliquent mollement à réhabiliter William Mortensen en s’efforçant d’attraper son art par l’angle de l’histoire ou celui du coin en bas, là, susceptible de conférer à l’image son « étrangeté »… N’ayant personnellement aucune envie d’entrer dans le débat pour ou contre la mimésis, je me contenterai de souligner que ses photographies, qu’on les trouve ou non belles, réussissent au moins le pari de nous « contraindre à regarder ».
Ouvrages de William Mortensen :
Pictorial Lighting, 1932
Projection Control, 1934
Monster & Madonnas : A Book of Methods, 1936
The Command to Look, 1937
The Model, 1937
Print Finishing, 1938
Mortensen on the Negative, 1940
Outdoor Portraiture, 1940
Flash in Modern Photography, 1941
Et maintenant… Regardez ! Melmothia, 2009.
Quelques Sources :
La page William Mortensen, par Larry Lytle, sur le site The ScreamOnline.
Par Melmothia
William Mortensen (1897 – 1965)
De 1923 jusqu’au début des années 30, pour William Mortensen, photographe de son état, tout baigne. Son atelier installé sur Hollywood Boulevard lui permet de côtoyer Fay Wray en petite culotte, Cecil B. de Mille, Margaret Livingston, Marlene Dietrich et quelques autres… Ses talents de portraitiste utilisant le flou et la retouche des négatifs pour peaufiner les rendus, lui assurent la gratitude des stars et en font l’un des photographes les plus célèbres de son époque.
Mais cet état de grâce ne va pas durer. À partir des années 40, la mode vire au minimalisme et le style de Mortensen prend un coup d’anachronisme sur le coin du développeur. Désormais la tendance est à la capture brute et sans fioriture de l’image. En tête de la nouvelle vague se trouve le groupe f/64, fondé en 1932 par Ansel Adams et Edward Weston, qui s’est donné pour tâche de libérer la photographie de l’emprise de la peinture, afin de lui permettre d’être reconnue comme art à part entière. Le groupe édicte donc de nouveaux principes esthétiques reposant sur l’excellence technique, la précision et la pureté. L’image nue et puis c’est tout.
Cette manie documentaire ne laisse dès lors plus aucune place aux « bizarreries gothiques » de Mortensen, incarnations de ce que le groupe f/64 a pris en horreur. Il se trouvera même des artistes pour lui faire des croche-pieds post-mortem. Ansel Adams fera ainsi pression pour que le travail de celui qu’il considère à la fois comme « le diable » et « l’antéchrist » soit écarté du « Center for Creative Photography » de l’université d’Arizona.
Entre temps, William Mortensen a déménagé pour Laguna Beach, en Californie. Il y ouvre un nouvel atelier, ainsi qu’une école, the Mortensen School Of Photography, inaugurée en 1931 et qui restera active jusqu’à sa mort en 1965.
En 1933, il épouse Myrdith Monaghan et fait la rencontre de George Dunham qui deviendra un ami intime et l’un de ses modèles photographiques. La même année, débute pour lui un long travail d’écriture en collaboration avec Dunham, qui ne prendra fin qu’en 1960 avec un manuscrit inachevé intitulé Composition. Trente-deux ans de collaboration qui aboutiront à 9 ouvrages et une centaine d’articles publiés dans des magazines et des journaux.
La gloire lui glisse peu à peu entre les doigts, mais notre artiste s’en tient à son parti pris démodé de « pictorialisme » qui lui vaudra après sa mort d’être écarté de l’histoire « sérieuse » de la photographie.
Ce courant qui lui tient à coeur est né à la fin du XIXe siècle, lorsque la photographie encore jeune cherchait ses repères. En quête de légitimité, certains artistes optent pour un rapprochement avec d’autres arts comme la peinture ou le dessin. Pour cela, les pictorialistes utiliseront toutes les techniques à leur disposition : grattage, brossage du négatif, utilisation de filtres, retouches, peinture de l’image, etc.
Le résultat en est des photographies qui ressemblent décidément plus à des tableaux et laissent au spectateur une impression d’irréalité, de fascination, parfois de malaise. Mortensen choisira d’ailleurs des thèmes qui filent la même laine que ses partis-pris techniques : des images érotiques ou « monstrueuses » qui ont en premier lieu la propriété d’accrocher le regard. Car ainsi que le souligne Charles Grivel, dans son ouvrage Fantastique-Fiction, le pouvoir de fascination est le propre de la monstruosité dont l’essence est d’être un spectacle, un « donné à voir ». Comme l’image érotique ou pornographique, le monstre « saute aux yeux » du spectateur.
Le pictorialisme, cette « esthétique des aberrations optiques », jouira d’un certain succès jusqu’aux années 40, puis sera la cible des attaques de la nouvelle vague photographique qui le dénonceront comme « une vision dégénérée ». On reprochera notamment à ses adeptes de confondre maîtrise technique et artistique, d’abuser du flou et de donner dans l’image d’Épinal – autodafé qui aura pour conséquence de jeter le bébé avec l’eau du bain, toute création pictorialiste étant désormais considérée comme une façon de balbutiement honteux dans l’histoire de la photographie.
Après l’avoir regardé disparaître dans le siphon, les critiques contemporains s’appliquent mollement à réhabiliter William Mortensen en s’efforçant d’attraper son art par l’angle de l’histoire ou celui du coin en bas, là, susceptible de conférer à l’image son « étrangeté »… N’ayant personnellement aucune envie d’entrer dans le débat pour ou contre la mimésis, je me contenterai de souligner que ses photographies, qu’on les trouve ou non belles, réussissent au moins le pari de nous « contraindre à regarder ».
Ouvrages de William Mortensen :
Pictorial Lighting, 1932
Projection Control, 1934
Monster & Madonnas : A Book of Methods, 1936
The Command to Look, 1937
The Model, 1937
Print Finishing, 1938
Mortensen on the Negative, 1940
Outdoor Portraiture, 1940
Flash in Modern Photography, 1941
Quelques Sources :
La page William Mortensen, par Larry Lytle, sur le site The ScreamOnline.
The Strange Case of William Mortensen, par Robert Jones , 2003, sur le site Photo.net.
The Forbidden Fantasy Photography of William Mortensen, sur le site We Come From The Future.
Monsters and Madonna : Looking at William Mortensen, par Cary Loren, sur le site A Journey round My Skull.
Des photographies signées William Mortensen sont disponibles sur :
Joseph Bellows Gallery.
George Eastman House.