Ce texte est une réponse de Tzimon Yliaster sur une mailing-list à la question « qu’entendez-vous par Spare est un tantrika ? »
L’indice le plus probant réside dans le choix de certains mots … Par l’utilisation de « kia » pour désigner l’œil (en sanskrit, le terme est « khya »), « ikkha » pour volonté (en sanskrit, icchâ), etc. Ces mots sont couramment utilisés dans le tantra… En particulier « khya », dont l’emploi est communément rare et presque exclusivement tantrique.
Certains de ses travaux font également penser à des pratiques tantriques … Comme le fait d’avoir des rapports sexuels avec 18 prostituées au cours d’une seule nuit, ce qui aurait déclenché chez lui une grande poussée de créativité. C’est lié avec la pratique tantrique en général (l’utilisation de l’énergie sexuelle pour faire monter la kundalini shakti dans la susumnâ). En fait, il est à peu près impossible d’avoir des relations sexuelles 18 fois en une seule nuit si l’on éjacule à chaque fois, ou davantage – en termes de douleur, hein ! : )
Ce que je soupçonne, mais qui n’est jamais énoncé clairement, c’est que Spare redirigeait le sperme stocké (ou bija rasa du tantra) pour un usage « supérieur »… Dans ce cas précis, la créativité artistique. Encore une fois, c’est tout à fait dans le cadre de la pratique tantrique.
La forte attirance de Spare pour les femmes laides, et même déformées, dans son travail reflète également des préoccupations tantriques ; dans la plupart des formes du tantra, les pratiquants vont s’unir de préférence avec ce qui provoque du dégoût de façon à dépasser les limites générées par ce dégoût. C’est particulièrement remarquable dans des groupes tantriques comme les Ahoras et les Kapilikas connus pour se mutiler eux-mêmes et pour déjeuner sur des corps en décomposition ou des excréments humains. Il s’agit même de la composante majeure de leurs pratiques.
Dans ses œuvres, Spare parle du Kia comme étant « la félicité suprême »… Si l’on considère qu’il avait particulièrement investi le sens de la vue, l’œil était, pour lui, exactement cela. Et il en souligne l’équivalence dans la célèbre formule : « réunir la main (ikkha / icchâ) à l’oeil (Kia / Khia) ». Cf en particulier « Un credo de désespoir » dans l’ouvrage de Spare Earth Inferno :
Mon ambition est MORTE,
Décédée prématurément, et avec elle la tendresse,
De même que le Joyau dans le Lotus.
Demain ne me réserve rien
Sinon le péché et la mort.
Je suis même privé de mes propres PLAISIRS inventés
Seule demeure la stérilité de cette vie,
Pourtant, dans le désespoir, nous commençons à voir la lumière véritable. AMEN.
Dans la faiblesse, nous pouvons devenir forts.
Révère le Kiâ et ton esprit deviendra SEREIN.
Ce passage pourrait être extrait de n’importe lequel des nombreux écrits tantriques. Notez la façon particulière dont « Kiâ » est écrit ici… Exactement de la manière dont les traducteurs de l’époque (et jusqu’à nos jours) transposent les mots sanscrits pour indiquer que la finale « a » est prononcée. Et « le joyau dans le lotus » … Là encore, une formule tantrique (quoique venant du bouddhisme tantrique) qui signifie « Om ». L’inclusion de « om » dans les mantras n’est pas spécifiquement tantrique. En fait, bon nombre de tantrikas la rejettent comme faisant partie de la tradition brahmanique contre laquelle le tantrisme s’est constitué.
Par ailleurs, le Tantrisme conseille le retrait des obligations du monde et le blocage de la pensée discursive ayant pour thème la douleur et le plaisir.
Bien que jeune, je me soucie plus de ses obligations,
Et je rejette la religion et les prêtres.
Demain n’est rien,
Et le désirer est corruption.
Je n’ai plus de plaisir, ni peine.
Mon corps n’est rien d’autre qu’une coquille, vide de signification.
Par le renoncement, je perçois ma vérité… Ma vision de Dieu.
En affaiblissant mon corps (Spare a été certainement un ascète !), je renforce mon esprit.
Révère la vue pour la vue, sans discrimination (Kiâ n’est pas une fonction discriminante et l’œil n’est pas un organe discriminant) et tu trouveras la paix.
Tout cela est tout à fait en harmonie avec la pensée et la pratique tantrique ! Maintenant, si vous possédez Earth Inferno, jetez un oeil à l’illustration intitulée « Le désespoir » :
Notez l’étrange position de la femme en noir, les bras croisés derrière le dos… La femme allongée sur l’autel… Le petit homme masqué accroupi à côté d’elle… Et remarquez autre chose : Spare était un maître en dessin, or il semble y avoir une erreur dans le positionnement des silhouettes… Les jambes de la femme noire disparaissent dans le plancher ou l’autel sur lequel le sacrifié est allongé.
La femme en noir est une déesse tantrique … Il y a même, si vous regardez bien, un serpent rampant entre la ligne de ses seins. Vous pouvez discerner sa tête dépassant du décolleté, juste entre les seins. Ce serpent est Kundalini, et identifie la femme avec Shakti avec elle-même. Remarquez également qu’elle se trouve à *gauche * du personnage qui (je pense) est Spare lui-même… C’est absolument typique de l’iconographie tantrique. Notez, en outre, que la femme en noir semble avoir besoin de se raser ! Et, chose curieuse, le personnage de Spare également. En d’autres termes, ils participent d’un seul et même être… En un sens, la femme est une partie de Spare… Sa propre kundalini shakti. La présence de trois bougies est importante en cela que l’un des noms de cette déesse est Tripura … Littéralement « trois villes », les trois villes étant les trois gunas (attributs) qui, dans la philosophie tantrique, composent toute la création … Tamas (obscurité / matière), rajas (incendie / passion) et Sattva (lumière / divinité).
Les éléments tantriques présents dans cette seule illustration (datant de 1905) suggèrent fortement une coloration tantrique de l’œuvre de Spare … Et si l’on considère que le tuteur magique de Spare était une vieille femme (possiblement une yogini, même si elle n’a laissé aucun document écrit), je pense que le tantrisme se trouve à l’origine d’une grande partie du travail de Spare, à la fois magique et artistique.
Toutefois, n’oubliez pas que le secret est considéré par la plupart des pratiquants comme l’essence même des tantra … Spare ne va pas vous taper sur l’épaule et vous dire qu’il a basé une grande partie de son travail sur le tantrisme. Cependant, je pense que Kenneth Grant est au courant de cette influence. Je pourrais citer beaucoup d’autres exemples montrant cette connexion, et j’ai même découvert des anecdotes dans la vie de Spare prouvant qu’il avait étudié le tantrisme à un moment donné de sa vie. Mais mes doigts fatiguent…
Une lecture tantrique de l’œuvre de Spare, Tzimon Yliaster. Titre original « Spare as Tantrika » sur le site Chaomatrix. Traduction par Melmothia, 2009.
Par Tzimon Yliaster
Ce texte est une réponse de Tzimon Yliaster sur une mailing-list à la question « qu’entendez-vous par Spare est un tantrika ? »
L’indice le plus probant réside dans le choix de certains mots … Par l’utilisation de « kia » pour désigner l’œil (en sanskrit, le terme est « khya »), « ikkha » pour volonté (en sanskrit, icchâ), etc. Ces mots sont couramment utilisés dans le tantra… En particulier « khya », dont l’emploi est communément rare et presque exclusivement tantrique.
Certains de ses travaux font également penser à des pratiques tantriques … Comme le fait d’avoir des rapports sexuels avec 18 prostituées au cours d’une seule nuit, ce qui aurait déclenché chez lui une grande poussée de créativité. C’est lié avec la pratique tantrique en général (l’utilisation de l’énergie sexuelle pour faire monter la kundalini shakti dans la susumnâ). En fait, il est à peu près impossible d’avoir des relations sexuelles 18 fois en une seule nuit si l’on éjacule à chaque fois, ou davantage – en termes de douleur, hein ! : )
Ce que je soupçonne, mais qui n’est jamais énoncé clairement, c’est que Spare redirigeait le sperme stocké (ou bija rasa du tantra) pour un usage « supérieur »… Dans ce cas précis, la créativité artistique. Encore une fois, c’est tout à fait dans le cadre de la pratique tantrique.
La forte attirance de Spare pour les femmes laides, et même déformées, dans son travail reflète également des préoccupations tantriques ; dans la plupart des formes du tantra, les pratiquants vont s’unir de préférence avec ce qui provoque du dégoût de façon à dépasser les limites générées par ce dégoût. C’est particulièrement remarquable dans des groupes tantriques comme les Ahoras et les Kapilikas connus pour se mutiler eux-mêmes et pour déjeuner sur des corps en décomposition ou des excréments humains. Il s’agit même de la composante majeure de leurs pratiques.
Dans ses œuvres, Spare parle du Kia comme étant « la félicité suprême »… Si l’on considère qu’il avait particulièrement investi le sens de la vue, l’œil était, pour lui, exactement cela. Et il en souligne l’équivalence dans la célèbre formule : « réunir la main (ikkha / icchâ) à l’oeil (Kia / Khia) ». Cf en particulier « Un credo de désespoir » dans l’ouvrage de Spare Earth Inferno :
Mon ambition est MORTE,
Décédée prématurément, et avec elle la tendresse,
De même que le Joyau dans le Lotus.
Demain ne me réserve rien
Sinon le péché et la mort.
Je suis même privé de mes propres PLAISIRS inventés
Seule demeure la stérilité de cette vie,
Pourtant, dans le désespoir, nous commençons à voir la lumière véritable. AMEN.
Dans la faiblesse, nous pouvons devenir forts.
Révère le Kiâ et ton esprit deviendra SEREIN.
Ce passage pourrait être extrait de n’importe lequel des nombreux écrits tantriques. Notez la façon particulière dont « Kiâ » est écrit ici… Exactement de la manière dont les traducteurs de l’époque (et jusqu’à nos jours) transposent les mots sanscrits pour indiquer que la finale « a » est prononcée. Et « le joyau dans le lotus » … Là encore, une formule tantrique (quoique venant du bouddhisme tantrique) qui signifie « Om ». L’inclusion de « om » dans les mantras n’est pas spécifiquement tantrique. En fait, bon nombre de tantrikas la rejettent comme faisant partie de la tradition brahmanique contre laquelle le tantrisme s’est constitué.
Par ailleurs, le Tantrisme conseille le retrait des obligations du monde et le blocage de la pensée discursive ayant pour thème la douleur et le plaisir.
Ainsi, en réduisant cette formule, on obtient :
Je donne ma démission des choses du monde,
Bien que jeune, je me soucie plus de ses obligations,
Et je rejette la religion et les prêtres.
Demain n’est rien,
Et le désirer est corruption.
Je n’ai plus de plaisir, ni peine.
Mon corps n’est rien d’autre qu’une coquille, vide de signification.
Par le renoncement, je perçois ma vérité… Ma vision de Dieu.
En affaiblissant mon corps (Spare a été certainement un ascète !), je renforce mon esprit.
Révère la vue pour la vue, sans discrimination (Kiâ n’est pas une fonction discriminante et l’œil n’est pas un organe discriminant) et tu trouveras la paix.
Tout cela est tout à fait en harmonie avec la pensée et la pratique tantrique ! Maintenant, si vous possédez Earth Inferno, jetez un oeil à l’illustration intitulée « Le désespoir » :
Notez l’étrange position de la femme en noir, les bras croisés derrière le dos… La femme allongée sur l’autel… Le petit homme masqué accroupi à côté d’elle… Et remarquez autre chose : Spare était un maître en dessin, or il semble y avoir une erreur dans le positionnement des silhouettes… Les jambes de la femme noire disparaissent dans le plancher ou l’autel sur lequel le sacrifié est allongé.
La femme en noir est une déesse tantrique … Il y a même, si vous regardez bien, un serpent rampant entre la ligne de ses seins. Vous pouvez discerner sa tête dépassant du décolleté, juste entre les seins. Ce serpent est Kundalini, et identifie la femme avec Shakti avec elle-même. Remarquez également qu’elle se trouve à *gauche * du personnage qui (je pense) est Spare lui-même… C’est absolument typique de l’iconographie tantrique. Notez, en outre, que la femme en noir semble avoir besoin de se raser ! Et, chose curieuse, le personnage de Spare également. En d’autres termes, ils participent d’un seul et même être… En un sens, la femme est une partie de Spare… Sa propre kundalini shakti. La présence de trois bougies est importante en cela que l’un des noms de cette déesse est Tripura … Littéralement « trois villes », les trois villes étant les trois gunas (attributs) qui, dans la philosophie tantrique, composent toute la création … Tamas (obscurité / matière), rajas (incendie / passion) et Sattva (lumière / divinité).
Les éléments tantriques présents dans cette seule illustration (datant de 1905) suggèrent fortement une coloration tantrique de l’œuvre de Spare … Et si l’on considère que le tuteur magique de Spare était une vieille femme (possiblement une yogini, même si elle n’a laissé aucun document écrit), je pense que le tantrisme se trouve à l’origine d’une grande partie du travail de Spare, à la fois magique et artistique.
Toutefois, n’oubliez pas que le secret est considéré par la plupart des pratiquants comme l’essence même des tantra … Spare ne va pas vous taper sur l’épaule et vous dire qu’il a basé une grande partie de son travail sur le tantrisme. Cependant, je pense que Kenneth Grant est au courant de cette influence. Je pourrais citer beaucoup d’autres exemples montrant cette connexion, et j’ai même découvert des anecdotes dans la vie de Spare prouvant qu’il avait étudié le tantrisme à un moment donné de sa vie. Mais mes doigts fatiguent…