Remarque préliminaire : les citations de « Chuang Tzu [1] » se trouvant à la fin de cet essai (dans la deuxième partie de l’article sous le titre « Annexes »), il vous est conseillé d’en prendre connaissance avant d’en commencer la lecture.
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« L’appât est le moyen de prendre le poisson là où vous le désirez, attrapez le poisson & vous oubliez l’appât. Le piège est le moyen d’attraper le lapin là où vous le voulez, attrapez le lapin & vous oubliez le piège. Les mots sont destinés à attraper les idées là où vous le voulez, saisissez les idées & vous oubliez les mots. Où trouverai-je un homme qui oublie les mots & qui a un mot avec lui ? »
Le Taoïsme possède-t-il une « métaphysique » ?
Il est certain que le taoïsme tardif, influencé par le bouddhisme & le néo-confucianisme, a développé une cosmologie, une ontologie, une théologie, une téléologie & une eschatologie élaborées – mais, ces « développements médiévaux » peuvent-ils être retracés dans les textes classiques, dans le Tao Te King, le Chuang Tzu ou le Lieh Tzu ?
Et bien, oui & non. Le Taoïsme religieux établit un tel retour. Mais, comme J. Needham l’a souligné [2], les maoïstes de notre siècle furent capables de développer une lecture marxiste du taoïsme, ou du moins du Tao Te King. Il ne fait aucun doute que toute lecture d’un texte « spirituel » puisse être valable (puisque l’esprit est par définition indéfinissable) ; le Tao Te King s’est avéré particulièrement malléable [3]. Mais, le Chuang Tzu – il me semble – n’a non seulement aucune métaphysique, mais il condamne & raille la métaphysique.
Le supranaturalisme & le matérialisme apparaissent tous deux tout aussi amusants à ses yeux. Son seul principe cosmographique est le « chaos ». Assez étrangement, le seul outil métaphysique qu’il utilise est la logique – bien qu’il s’agisse là de la logique du rêve. Il ne fait aucune mention d’un principe divin, ou du but des êtres vivants, ou de l’immortalité individuelle. Il est au-delà du Bien & du Mal, se rit de l’éthique, & il s’amuse même du yoga.
Le Chuang Tzu doit sûrement être unique parmi tous les écrits religieux [4] du fait de sa remarquable antimétaphysique. Il se qualifie en tant que « révélation » non du fait qu’il dévoile quelque connaissance cachée (« en dehors du moi ») qui serait autrement inaccessible à la conscience – comme d’autres écrits proclament le faire –, mais du fait se son propre processus. On peut mentionner la phrase « wei wu wei », « action/non-action ».
L’univers naît spontanément ; comme Kuo Hsiang le souligne [5], la recherche d’un « seigneur » (ou d’un agent) de cette création est un exercice d’infinie régression vers le vide. Le Tao n’est pas « Dieu », comme certaines traductions chrétiennes le croient encore. Le Tao ne fait que survenir. À l’échelle humaine, la misère est issue de la capacité exclusivement humaine de chuter de l’harmonie avec ce Tao – ne pas être spontané.
Le Chuang Tzu ne s’intéresse pas au pourquoi les humains sont si ineptes (il n’y a pas de concept de « péché ») ; son seul intérêt est de renverser le processus & de « revenir » dans le courant. Le « retour » est une action ; le courant lui-même n’est pas une action, mais un état – d’où le paradoxe « action/non-action ». Le concept de « wu wei » joue un tel rôle central dans le Taoïsme qu’il a réussi à survivre dans le taoïsme religieux moderne comme la vérité derrière toutes métaphysiques & tous rituels. Dans les grands rites d’expiation communs du taoïsme cultuel tel qu’il est pratiqué à Taïwan ou à Honolulu aujourd’hui, au moins une personne – le prêtre – doit atteindre l’union avec le Tao, & il doit le faire par un processus de purge de sa conscience de toutes les « divinités », de tous les principes « métaphysiques » [6]. Pour le Taoïsme « philosophie » ancien, nous pouvons dire qu’il a le « wu wei » au lieu d’une métaphysique.
Le but de Lao Tseu semble d’avoir été de convertir l’empereur au taoïsme, sur l’assomption que si le dirigeant ne faisait rien (wu wei), l’empire se dirigerait spontanément. Chuang Tzu, cependant, ne montre presque aucun intérêt à conseiller les dirigeants (sauf de lui foutre la paix !), & ses exemples « d’humains réels » sont presque toujours des travailleurs (bouchers, cordonniers, cuisiniers) ou des ermites, ou des bandits. Si Chuang Tzu peut être vu comme un défenseur d’un programme social – & je suis sûr qu’il le fait – cela n’a certainement rien à voir avec les valeurs ou structures impériales/bureaucratiques/confucéennes. Son « programme » pourrait être résumé comme un vagabondage sans but.
Chuang Tzu est plus anarchique que Lao Tseu – mais est-il un « anarchiste » ? Je pense que oui – non parce qu’il veut abattre le gouvernement, mais parce qu’il croit que le gouvernement est impossible ; non parce qu’il sombrerait si profondément en adoptant un « isme », mais parce qu’il voit le chaos comme l’essence de tout devenir.
Afin d’illustrer cette ontologie du chaos, nous ne pourrions faire pire que d’examiner les positions de Chuang Tzu sur le langage.
Mais, tout d’abord, laissez-moi définir quelques termes. J’appelle « hermétolinguistique » le concept selon lequel Dieu a révélé le langage & qu’il n’existe aucune transmission de l’essence par le langage. La transmission peut être directe (l’hébreu & l’arabe sont des langages « parlés » par Dieu) ou « émanationelle », comme dans la linguistique néoplatonicienne. Elle peut être « hermétique » (ou occulte comme dans la Kabbale), ou même « métalinguistique » (comme dans la glossolalie, « le charisme des langues ») – mais dans tous les cas elle préserve le langage de toute relativité & opacité.
Contre cette théorie traditionnelle du langage, nous les modernes avons développé une linguistique nihiliste dans laquelle les mots véhiculent l’essence &, en fait, ne communiquent rien sauf le langage lui-même. Je remonte ce courant à Nietzsche, à Saussure & à son expérience cauchemardesque avec les anagrammes latines [7], & éventuellement à Dada.
Un des représentants majeurs de l’hermétolinguistique aujourd’hui est N. Chomsky, qui (en dépit de son anarchisme) croit que le langage est codé d’une manière ou d’une autre, bien qu’il substitue l’ADN aux archétypes platoniciens ! Qui pourrait être le représentant de la linguistique nihiliste ? Quid de William Burroughs ? (En son honneur nous pourrions l’appeler « heavymétalinguistique »). Bien que j’admire l’esthétique de chacune de ces écoles, je ne peux « être d’accord » avec aucune. Je désire (en tant qu’« anarchiste spiritualiste ») une théorie du langage quelconque qui pourrait « sauver » le langage de l’accusation de simple re-présentationalisme & aliénation. Cependant, je veux une théorie sans excroissance téléologique : – aucun « seigneur » du langage, aucune catégorie impérieuse, aucun déterminisme, aucune révélation du « dehors » ou « d’en haut », aucun codage génétique, aucune essence absolue. Je la trouve en deux endroits, un « ancien » élégamment équilibré par un « moderne » – Chuang Tzu & la Théorie du Chaos.
En partie, nos problèmes de langage naissent de la qualité absolue assignée au Mot dans toutes les traditions hermétalinguistiques occidentales. Bien que quelques mystiques occidentaux aient déjà exprimé leur méfiance vis-à-vis les mots, ils ne peuvent jamais – sous peine d’hétérodoxie – remettre en question l’intégrité ou la finalité du Verbe de Dieu. Toute la pensée religieuse occidentale est basée sur une sorte de nominalisme sacré qui doit rester indiscutable jusqu’à ce que « l’hérésie » vienne momentanément en débattre. L’« orthodoxie » écrase la rébellion contre le Verbe dans ses propres rangs – & la guerre contre le Verbe est une campagne de guérilla souterraine entreprise principalement dans la littérature, dans la critique & dans la linguistique – contre la « religion ».
Il se pourrait que nous apprenions quelque chose d’utile dans notre recherche en examinant une tradition spirituelle qui débute par sa méfiance des mots & qui réussit malgré tout à ce que le langage s’accomplisse en une voie magique (Voir Appendice E). Le Taoïsme nous fournit une telle tradition radicale. « Le Tao qui peut être parlé n’est pas le Tao », ainsi débute Lao Tseu. Pourquoi alors a-t-il écrit le livre ? Pourquoi ne pas être resté accroché au silence dans lequel tout langage disparaît ? On pourrait répondre qu’un tel projet équivaut précisément à cette forme de refus d’aller dans le courant que le Taoïsme refuse le plus. Les humains parlent, donc le taoïste parle. Cette réponse pourrait suffire – mais une réponse bien plus intéressante est donnée par Chuang Tzu.
« Dire n’est pas expirer, le dire dit quelque chose », affirme Chuang Tzu, mais « le seul problème est que ce qu’il dit n’est jamais fixé. Disons-nous réellement quelque chose ? Ou, n’avons-nous jamais dit quelque chose ? » (Voir Appendice B).
Finalement, cette question doit rester sans réponse puisque le perspectivalisme sans compromission & le relativisme linguistique de Chuang Tzu rendent futile tout essai catégorique de distinguer le « ça » de « l’autre ». Comme le traducteur (A.C. Graham) le souligne, pour Chuang Tzu « toute dispute commence par un acte arbitraire d’appellation ». Néanmoins, « le dire dit quelque chose » plutôt que rien. Le langage est à la fois totalement « arbitraire » & cependant capable de signifier. Autrement, le taoïste tomberait effectivement dans le silence.
Un écrivain de l’École de Chuang Tzu discute de ce qu’il appelle « mots secteurs & mots pièces » [8], par lesquels il triait & classait les fonctions du langage (la métaphore se rapporte aux pièces & aux secteurs de la disposition en damiers des cités chinoises ; & cela vaut la peine de noter que les premières cités, comme Jéricho ou Catal Huyuk étaient construites sur ce modèle). Cet aspect du langage n’est pas la « Voie », & au pire il peut devenir un écueil pour les disputes sur les alternatives. Mais ce n’est également pas « la non-Voie ». Une position quelque peu paradoxale entre le dire & le non dire est nécessaire, car « l’homme qui perçoit la Voie ne poursuit pas les noms là où ils disparaissent ou n’explore pas la source d’où ils naissent », car « c’est le point où la discussion s’arrête ». « Il y a un nom », mais aussi « il n’y a pas de nom ».
Chuang Tzu distingue trois sortes de discours. Un commentaire d’un des premiers éditeurs du livre (qu’A.C. Graham appelle les « Syncrétistes ») affirme que toutes les trois sont utilisées par Chuang Tzu lui-même.
La première est « le dire dans un logement » (voir Appendice D). Pour autant que le langage soit arbitraire, on peut occuper toutes les positions ou utiliser toutes les définitions afin d’exploser la Voie. Le vieil éditeur dit que Chuang Tzu pensait que ce type de situationnisme verbal élargissait le champ ou « élargissait la portée », c’est-à-dire qu’elle pouvait être utilisée afin d’ouvrir l’esprit ordinaire au Tao non ordinaire & métaverbal. En fait, elle fonctionne « neuf fois sur dix », dit Chuang Tzu. « Le dire pondéré fonctionne sept fois sur dix » ; – c’est l’aphorisme, la déclaration faite sur l’autorité, exposée d’une position « au-devant des autres » — & « être un homme sans les ressources pour être au-devant des autres c’est être sans la Voie de l’Homme, & un homme sans la Voie de l’Homme doit être appelé un homme obsolète ». À la fois le logement & le langage pondéré apparaissent appartenir à la catégorie des mots pièces-et-secteurs. La troisième catégorie de Chuang Tzu l’intéresse clairement le plus, puisqu’il la décrit en long & en large. Il l’appelle « discours déversoir », & il la commente comme « étant neuve tous les jours. Aiguisez-la sur la pierre à aiguiser des Cieux. Utilisez-la afin que le courant trouve ses propres voies ».
Puisque le langage est arbitraire, & que le sage le sait, il (ou elle – car de nombreux taoïstes étaient des femmes, comme le légendaire professeur de Lao Tseu) sait qu ‘« en disant il ne dit rien ». Et cependant, paradoxalement, en le sachant & en « refusant de dire », le sage « dit sans dire » & « refuse de dire sans échouer à dire ». Comment cela se peut-il ?
Lorsque Chuang Tzeu dit que « les myriades de choses (signifiées) sont les graines à partir desquelles ils grandissent », je présume que le « ils » se réfère aux mots, aux signes, & qu’il n’affirme pas quelque lien entre deux catégories, en dépit de sa (paradoxale) contre-assertion qu’un tel lien ne peut être trouvé. La connexion ne peut être trouvée (exprimée en mots), car
dans des formes différentes, elles abdiquent,
avec des fins & des commencements comme un cercle.
C’est-à-dire, les « choses » elles-mêmes sont ontologiquement fluides & protéennes, non fixées.
Si vous marquez une roue & qu’ensuite vous la faites tourner
Tout devient trouble.
Comme pour cet état-courant du signe & du signifié,
Appelez cela la Roue du Potier des Cieux
Ou « la pierre à aiguiser des Cieux » sur laquelle le sage est avisé d’aiguiser ou de polir son discours. Sans cette compréhension, « qui pourrait continuer longtemps ? » Quel taoïste décent ne pourrait jamais parler de manière significative ? Mais, puisque le langage, par cette compréhension, devient « nouveau chaque jour » [9], le sage est finalement stupéfait ou abruti par l’arbitraire & la relativité du langage, par son échec, mais il est rafraîchi & revivifié par sa liberté.
La clé la plus importante à la compréhension de cet enseignement à propos du langage est dans l’image du « déversoir ». Graham dit qu’il se réfère à un vase qui vacille lorsqu’il est trop rempli & qui se remet droit de lui-même, comme ces petites poupées orientales sans jambes & alourdies à leur base, afin qu’elles se redressent d’elles-mêmes lorsque vous essayez de les renverser. Ces poupées ont toujours la forme d’une gourde & furent, sans doute, faites à l’origine à partir de gourdes. La gourde est le symbole du Chaos, « Monsieur Hun-Tun », décrit dans le fameux passage des Chapitres Internes [10]. Se pourrait-il que le « déversoir » ait été aussi une gourde, & qu’il fût donc associé dans l’esprit de Chuang Tzu au Chaos ? Dans le mythe chinois [11], le Chaos n’est pas une figure maléfique (comme dans la plupart des mythologies occidentales), mais il est empli de potentiels, bienveillant même s’il est quelque peu lugubre, la force & la source ultime de toute création, des « myriades de choses » comme les graines dans un potiron (gourde), ou l’eau dans un déversoir qui se vide, laissant chaque courant trouver sa propre voie, fertilisant la terre, faisant tout advenir.
Le vase peut se référer au Sage, qui « déborde » spontanément de mots, de mots illuminés. Les mots trouvent leurs significations spontanément, selon l’état-langage de l’auditeur, du lecteur. Et, ensuite, le Sage se redresse spontanément & il est rempli à nouveau, & chaque jour il déborde à nouveau. Un processus chaotique – mais un processus dont la signification naît.
Le vase pourrait se référer non seulement au Sage mais encore plus aux mots eux-mêmes. Un mot qui en lui-même est arbitraire & sans signification, se remplit & déborde de significations. La signification n’est pas fixée, mais ce n’est pas une simple « expiration », pas une simple framboise sémantique. Le vase se remplit & se vide encore & encore – le même vase, mais une nouvelle signification chaque jour. Ainsi, le mot contient plus de signification qu’il apparaît nommer ou dénommer. Il y a quelque chose de plus, quelque chose en plus dans le mot. Il y a des mots sous (ou sur) les mots qui coulent spontanément & trouvent leurs voies, leurs expressions, leurs utilisations dans une situation donnée. « Poésie Tao ».
Ainsi, commençant avec le relativisme linguistique, Chuang Tzu finit par une sorte de métalinguistique. Les mots-déversoirs n’ont ni pièce ni secteur. Ils jouent. Ils contiennent plus que ce qu’ils contiennent – par conséquent, comme le fameux couperet qui n’a jamais besoin d’être aiguisé, car le boucher taoïste peut le faire passer entre les tendons & les os, le mot-déversoir « trouve son propre chemin ». Le sage n’est pas piégé par la sémantique, il ne confond pas la carte & le territoire, mais il « ouvre les choses à la lumière des Cieux » en les remplissant de mots, en jouant avec les mots. Une fois adapté à ce courant, le sage ne fait aucun effort spécial afin « d’illuminer », car le langage le fait de lui-même, spontanément. Le langage se déverse.
Maintenant, rappelons que Saussure étudiait les anagrammes latines & qu’il a découvert les mots-clés de poèmes se déversant en d’autres mots. Les syllabes des noms des personnages, par exemple, sont répercutées dans les mots décrivant ces personnages. Au départ, le fondateur de la linguistique moderne a considéré ces anagrammes comme des machines littéraires. Petit à petit, cependant, il devint apparent qu’une telle « lecture » ne tenait pas la route. Saussure commença à découvrir des anagrammes partout où il posait son regard – pas uniquement dans la poésie latine, mais même dans la prose. Il atteint le point où il ne pouvait plus dire s’il expérimentait une hallucination linguistique ou une révélation divine. Des anagrammes partout ! Le langage lui-même est un réseau de joyaux dans lequel les pierres précieuses se reflètent les unes dans les autres ! Il écrivit une lettre à un latiniste universitaire qui avait composé des odes en latin – des poèmes dans lesquels Saussure avait détecté des anagrammes. Dites-moi, pria-t-il, êtes-vous l’héritier d’une tradition secrète remontant à l’Antiquité Classique – ou faites-vous cela inconsciemment ? Il est inutile de dire que Saussure n’ait reçu aucune réponse. Il arrêta ses recherches sans autre forme de procès avec une sensation de vertige, tremblant aux bords de l’abysse d’un pur nihilisme, ou d’une pure magie, terrifié par les implications d’un langage au-delà du langage, au-delà du signe & du contenu, du langage & de la parole. Il s’arrêta, précisément, là où Chuang Tzu commence.
Vagabondage sans But – La Linguistique du Chaos de Chuang Tzu [1], Peter Lamborn Wilson. Traduction française par Spartakus FreeMann, mai 2008, au Nadir de Libertalia.
[2] À nouveau, je me retrouve à Dreamtime Village sans ma bibliothèque, & donc je ne peux offrir que quelques indications à partir de ma mémoire défaillante concernant la bibliographie de J. Needham qui est l’auteur de « Science an Civilization in China » ; cette référence est sans doute issue du Vol. 5.
[3] D’où les nouvelles traductions sans fin & prolixe du Tao Te King qui se font passer pour des « études taoïstes » en Occident, et, comme s’en lamente E. Schaffer, qui prennent la place des véritables recherches dans le Canon taoïste encore inexploré.
[4] Les « Chapitres Internes » du Chuang Tzu, les parties qui sont supposées avoir été écrites par Chuang Tzu lui-même, sont considérés comme canoniques dans le Mao Shan Taoism, et parmi d’autres sectes.
[5] Voir Appendice A
[6] Sur le taoïsme rituel moderne, voir l’œuvre magnifique de M. Saso, « The Taoist Teachings of Master Chuang, and Cosmic Rite ».
[7] Voir « Words Beneath the Words » par Jean Starobinski.
[8] Voir Appendice C
[9] Ezra Pound croyait que « Rendre neuf » était un slogan confucéen, mais le sentimental est taoïste en quintessence.
[10] Voir Appendice F.
[11] Voir N.J. Giradot, « Myth and Meaning in Early Taoism : The Theme of Chaos (hun-t’un) ».
Par Peter Lamborn Wilson
Remarque préliminaire : les citations de « Chuang Tzu [1] » se trouvant à la fin de cet essai (dans la deuxième partie de l’article sous le titre « Annexes »), il vous est conseillé d’en prendre connaissance avant d’en commencer la lecture.
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« L’appât est le moyen de prendre le poisson là où vous le désirez, attrapez le poisson & vous oubliez l’appât. Le piège est le moyen d’attraper le lapin là où vous le voulez, attrapez le lapin & vous oubliez le piège. Les mots sont destinés à attraper les idées là où vous le voulez, saisissez les idées & vous oubliez les mots. Où trouverai-je un homme qui oublie les mots & qui a un mot avec lui ? »
Le Taoïsme possède-t-il une « métaphysique » ?
Il est certain que le taoïsme tardif, influencé par le bouddhisme & le néo-confucianisme, a développé une cosmologie, une ontologie, une théologie, une téléologie & une eschatologie élaborées – mais, ces « développements médiévaux » peuvent-ils être retracés dans les textes classiques, dans le Tao Te King, le Chuang Tzu ou le Lieh Tzu ?
Et bien, oui & non. Le Taoïsme religieux établit un tel retour. Mais, comme J. Needham l’a souligné [2], les maoïstes de notre siècle furent capables de développer une lecture marxiste du taoïsme, ou du moins du Tao Te King. Il ne fait aucun doute que toute lecture d’un texte « spirituel » puisse être valable (puisque l’esprit est par définition indéfinissable) ; le Tao Te King s’est avéré particulièrement malléable [3]. Mais, le Chuang Tzu – il me semble – n’a non seulement aucune métaphysique, mais il condamne & raille la métaphysique.
Le supranaturalisme & le matérialisme apparaissent tous deux tout aussi amusants à ses yeux. Son seul principe cosmographique est le « chaos ». Assez étrangement, le seul outil métaphysique qu’il utilise est la logique – bien qu’il s’agisse là de la logique du rêve. Il ne fait aucune mention d’un principe divin, ou du but des êtres vivants, ou de l’immortalité individuelle. Il est au-delà du Bien & du Mal, se rit de l’éthique, & il s’amuse même du yoga.
Le Chuang Tzu doit sûrement être unique parmi tous les écrits religieux [4] du fait de sa remarquable antimétaphysique. Il se qualifie en tant que « révélation » non du fait qu’il dévoile quelque connaissance cachée (« en dehors du moi ») qui serait autrement inaccessible à la conscience – comme d’autres écrits proclament le faire –, mais du fait se son propre processus. On peut mentionner la phrase « wei wu wei », « action/non-action ».
L’univers naît spontanément ; comme Kuo Hsiang le souligne [5], la recherche d’un « seigneur » (ou d’un agent) de cette création est un exercice d’infinie régression vers le vide. Le Tao n’est pas « Dieu », comme certaines traductions chrétiennes le croient encore. Le Tao ne fait que survenir. À l’échelle humaine, la misère est issue de la capacité exclusivement humaine de chuter de l’harmonie avec ce Tao – ne pas être spontané.
Le Chuang Tzu ne s’intéresse pas au pourquoi les humains sont si ineptes (il n’y a pas de concept de « péché ») ; son seul intérêt est de renverser le processus & de « revenir » dans le courant. Le « retour » est une action ; le courant lui-même n’est pas une action, mais un état – d’où le paradoxe « action/non-action ». Le concept de « wu wei » joue un tel rôle central dans le Taoïsme qu’il a réussi à survivre dans le taoïsme religieux moderne comme la vérité derrière toutes métaphysiques & tous rituels. Dans les grands rites d’expiation communs du taoïsme cultuel tel qu’il est pratiqué à Taïwan ou à Honolulu aujourd’hui, au moins une personne – le prêtre – doit atteindre l’union avec le Tao, & il doit le faire par un processus de purge de sa conscience de toutes les « divinités », de tous les principes « métaphysiques » [6]. Pour le Taoïsme « philosophie » ancien, nous pouvons dire qu’il a le « wu wei » au lieu d’une métaphysique.
Le but de Lao Tseu semble d’avoir été de convertir l’empereur au taoïsme, sur l’assomption que si le dirigeant ne faisait rien (wu wei), l’empire se dirigerait spontanément. Chuang Tzu, cependant, ne montre presque aucun intérêt à conseiller les dirigeants (sauf de lui foutre la paix !), & ses exemples « d’humains réels » sont presque toujours des travailleurs (bouchers, cordonniers, cuisiniers) ou des ermites, ou des bandits. Si Chuang Tzu peut être vu comme un défenseur d’un programme social – & je suis sûr qu’il le fait – cela n’a certainement rien à voir avec les valeurs ou structures impériales/bureaucratiques/confucéennes. Son « programme » pourrait être résumé comme un vagabondage sans but.
Chuang Tzu est plus anarchique que Lao Tseu – mais est-il un « anarchiste » ? Je pense que oui – non parce qu’il veut abattre le gouvernement, mais parce qu’il croit que le gouvernement est impossible ; non parce qu’il sombrerait si profondément en adoptant un « isme », mais parce qu’il voit le chaos comme l’essence de tout devenir.
Le Langage
Afin d’illustrer cette ontologie du chaos, nous ne pourrions faire pire que d’examiner les positions de Chuang Tzu sur le langage.
Mais, tout d’abord, laissez-moi définir quelques termes. J’appelle « hermétolinguistique » le concept selon lequel Dieu a révélé le langage & qu’il n’existe aucune transmission de l’essence par le langage. La transmission peut être directe (l’hébreu & l’arabe sont des langages « parlés » par Dieu) ou « émanationelle », comme dans la linguistique néoplatonicienne. Elle peut être « hermétique » (ou occulte comme dans la Kabbale), ou même « métalinguistique » (comme dans la glossolalie, « le charisme des langues ») – mais dans tous les cas elle préserve le langage de toute relativité & opacité.
Contre cette théorie traditionnelle du langage, nous les modernes avons développé une linguistique nihiliste dans laquelle les mots véhiculent l’essence &, en fait, ne communiquent rien sauf le langage lui-même. Je remonte ce courant à Nietzsche, à Saussure & à son expérience cauchemardesque avec les anagrammes latines [7], & éventuellement à Dada.
Un des représentants majeurs de l’hermétolinguistique aujourd’hui est N. Chomsky, qui (en dépit de son anarchisme) croit que le langage est codé d’une manière ou d’une autre, bien qu’il substitue l’ADN aux archétypes platoniciens ! Qui pourrait être le représentant de la linguistique nihiliste ? Quid de William Burroughs ? (En son honneur nous pourrions l’appeler « heavymétalinguistique »). Bien que j’admire l’esthétique de chacune de ces écoles, je ne peux « être d’accord » avec aucune. Je désire (en tant qu’« anarchiste spiritualiste ») une théorie du langage quelconque qui pourrait « sauver » le langage de l’accusation de simple re-présentationalisme & aliénation. Cependant, je veux une théorie sans excroissance téléologique : – aucun « seigneur » du langage, aucune catégorie impérieuse, aucun déterminisme, aucune révélation du « dehors » ou « d’en haut », aucun codage génétique, aucune essence absolue. Je la trouve en deux endroits, un « ancien » élégamment équilibré par un « moderne » – Chuang Tzu & la Théorie du Chaos.
En partie, nos problèmes de langage naissent de la qualité absolue assignée au Mot dans toutes les traditions hermétalinguistiques occidentales. Bien que quelques mystiques occidentaux aient déjà exprimé leur méfiance vis-à-vis les mots, ils ne peuvent jamais – sous peine d’hétérodoxie – remettre en question l’intégrité ou la finalité du Verbe de Dieu. Toute la pensée religieuse occidentale est basée sur une sorte de nominalisme sacré qui doit rester indiscutable jusqu’à ce que « l’hérésie » vienne momentanément en débattre. L’« orthodoxie » écrase la rébellion contre le Verbe dans ses propres rangs – & la guerre contre le Verbe est une campagne de guérilla souterraine entreprise principalement dans la littérature, dans la critique & dans la linguistique – contre la « religion ».
Il se pourrait que nous apprenions quelque chose d’utile dans notre recherche en examinant une tradition spirituelle qui débute par sa méfiance des mots & qui réussit malgré tout à ce que le langage s’accomplisse en une voie magique (Voir Appendice E). Le Taoïsme nous fournit une telle tradition radicale. « Le Tao qui peut être parlé n’est pas le Tao », ainsi débute Lao Tseu. Pourquoi alors a-t-il écrit le livre ? Pourquoi ne pas être resté accroché au silence dans lequel tout langage disparaît ? On pourrait répondre qu’un tel projet équivaut précisément à cette forme de refus d’aller dans le courant que le Taoïsme refuse le plus. Les humains parlent, donc le taoïste parle. Cette réponse pourrait suffire – mais une réponse bien plus intéressante est donnée par Chuang Tzu.
« Dire n’est pas expirer, le dire dit quelque chose », affirme Chuang Tzu, mais « le seul problème est que ce qu’il dit n’est jamais fixé. Disons-nous réellement quelque chose ? Ou, n’avons-nous jamais dit quelque chose ? » (Voir Appendice B).
Finalement, cette question doit rester sans réponse puisque le perspectivalisme sans compromission & le relativisme linguistique de Chuang Tzu rendent futile tout essai catégorique de distinguer le « ça » de « l’autre ». Comme le traducteur (A.C. Graham) le souligne, pour Chuang Tzu « toute dispute commence par un acte arbitraire d’appellation ». Néanmoins, « le dire dit quelque chose » plutôt que rien. Le langage est à la fois totalement « arbitraire » & cependant capable de signifier. Autrement, le taoïste tomberait effectivement dans le silence.
Un écrivain de l’École de Chuang Tzu discute de ce qu’il appelle « mots secteurs & mots pièces » [8], par lesquels il triait & classait les fonctions du langage (la métaphore se rapporte aux pièces & aux secteurs de la disposition en damiers des cités chinoises ; & cela vaut la peine de noter que les premières cités, comme Jéricho ou Catal Huyuk étaient construites sur ce modèle). Cet aspect du langage n’est pas la « Voie », & au pire il peut devenir un écueil pour les disputes sur les alternatives. Mais ce n’est également pas « la non-Voie ». Une position quelque peu paradoxale entre le dire & le non dire est nécessaire, car « l’homme qui perçoit la Voie ne poursuit pas les noms là où ils disparaissent ou n’explore pas la source d’où ils naissent », car « c’est le point où la discussion s’arrête ». « Il y a un nom », mais aussi « il n’y a pas de nom ».
Là où il n’y a ni discours ni silence
La discussion trouve sa finalité
Chuang Tzu distingue trois sortes de discours. Un commentaire d’un des premiers éditeurs du livre (qu’A.C. Graham appelle les « Syncrétistes ») affirme que toutes les trois sont utilisées par Chuang Tzu lui-même.
La première est « le dire dans un logement » (voir Appendice D). Pour autant que le langage soit arbitraire, on peut occuper toutes les positions ou utiliser toutes les définitions afin d’exploser la Voie. Le vieil éditeur dit que Chuang Tzu pensait que ce type de situationnisme verbal élargissait le champ ou « élargissait la portée », c’est-à-dire qu’elle pouvait être utilisée afin d’ouvrir l’esprit ordinaire au Tao non ordinaire & métaverbal. En fait, elle fonctionne « neuf fois sur dix », dit Chuang Tzu. « Le dire pondéré fonctionne sept fois sur dix » ; – c’est l’aphorisme, la déclaration faite sur l’autorité, exposée d’une position « au-devant des autres » — & « être un homme sans les ressources pour être au-devant des autres c’est être sans la Voie de l’Homme, & un homme sans la Voie de l’Homme doit être appelé un homme obsolète ». À la fois le logement & le langage pondéré apparaissent appartenir à la catégorie des mots pièces-et-secteurs. La troisième catégorie de Chuang Tzu l’intéresse clairement le plus, puisqu’il la décrit en long & en large. Il l’appelle « discours déversoir », & il la commente comme « étant neuve tous les jours. Aiguisez-la sur la pierre à aiguiser des Cieux. Utilisez-la afin que le courant trouve ses propres voies ».
Puisque le langage est arbitraire, & que le sage le sait, il (ou elle – car de nombreux taoïstes étaient des femmes, comme le légendaire professeur de Lao Tseu) sait qu ‘« en disant il ne dit rien ». Et cependant, paradoxalement, en le sachant & en « refusant de dire », le sage « dit sans dire » & « refuse de dire sans échouer à dire ». Comment cela se peut-il ?
Lorsque Chuang Tzeu dit que « les myriades de choses (signifiées) sont les graines à partir desquelles ils grandissent », je présume que le « ils » se réfère aux mots, aux signes, & qu’il n’affirme pas quelque lien entre deux catégories, en dépit de sa (paradoxale) contre-assertion qu’un tel lien ne peut être trouvé. La connexion ne peut être trouvée (exprimée en mots), car
dans des formes différentes, elles abdiquent,
avec des fins & des commencements comme un cercle.
C’est-à-dire, les « choses » elles-mêmes sont ontologiquement fluides & protéennes, non fixées.
Si vous marquez une roue & qu’ensuite vous la faites tourner
Tout devient trouble.
Comme pour cet état-courant du signe & du signifié,
Appelez cela la Roue du Potier des Cieux
Ou « la pierre à aiguiser des Cieux » sur laquelle le sage est avisé d’aiguiser ou de polir son discours. Sans cette compréhension, « qui pourrait continuer longtemps ? » Quel taoïste décent ne pourrait jamais parler de manière significative ? Mais, puisque le langage, par cette compréhension, devient « nouveau chaque jour » [9], le sage est finalement stupéfait ou abruti par l’arbitraire & la relativité du langage, par son échec, mais il est rafraîchi & revivifié par sa liberté.
La clé la plus importante à la compréhension de cet enseignement à propos du langage est dans l’image du « déversoir ». Graham dit qu’il se réfère à un vase qui vacille lorsqu’il est trop rempli & qui se remet droit de lui-même, comme ces petites poupées orientales sans jambes & alourdies à leur base, afin qu’elles se redressent d’elles-mêmes lorsque vous essayez de les renverser. Ces poupées ont toujours la forme d’une gourde & furent, sans doute, faites à l’origine à partir de gourdes. La gourde est le symbole du Chaos, « Monsieur Hun-Tun », décrit dans le fameux passage des Chapitres Internes [10]. Se pourrait-il que le « déversoir » ait été aussi une gourde, & qu’il fût donc associé dans l’esprit de Chuang Tzu au Chaos ? Dans le mythe chinois [11], le Chaos n’est pas une figure maléfique (comme dans la plupart des mythologies occidentales), mais il est empli de potentiels, bienveillant même s’il est quelque peu lugubre, la force & la source ultime de toute création, des « myriades de choses » comme les graines dans un potiron (gourde), ou l’eau dans un déversoir qui se vide, laissant chaque courant trouver sa propre voie, fertilisant la terre, faisant tout advenir.
Le vase peut se référer au Sage, qui « déborde » spontanément de mots, de mots illuminés. Les mots trouvent leurs significations spontanément, selon l’état-langage de l’auditeur, du lecteur. Et, ensuite, le Sage se redresse spontanément & il est rempli à nouveau, & chaque jour il déborde à nouveau. Un processus chaotique – mais un processus dont la signification naît.
Le vase pourrait se référer non seulement au Sage mais encore plus aux mots eux-mêmes. Un mot qui en lui-même est arbitraire & sans signification, se remplit & déborde de significations. La signification n’est pas fixée, mais ce n’est pas une simple « expiration », pas une simple framboise sémantique. Le vase se remplit & se vide encore & encore – le même vase, mais une nouvelle signification chaque jour. Ainsi, le mot contient plus de signification qu’il apparaît nommer ou dénommer. Il y a quelque chose de plus, quelque chose en plus dans le mot. Il y a des mots sous (ou sur) les mots qui coulent spontanément & trouvent leurs voies, leurs expressions, leurs utilisations dans une situation donnée. « Poésie Tao ».
Ainsi, commençant avec le relativisme linguistique, Chuang Tzu finit par une sorte de métalinguistique. Les mots-déversoirs n’ont ni pièce ni secteur. Ils jouent. Ils contiennent plus que ce qu’ils contiennent – par conséquent, comme le fameux couperet qui n’a jamais besoin d’être aiguisé, car le boucher taoïste peut le faire passer entre les tendons & les os, le mot-déversoir « trouve son propre chemin ». Le sage n’est pas piégé par la sémantique, il ne confond pas la carte & le territoire, mais il « ouvre les choses à la lumière des Cieux » en les remplissant de mots, en jouant avec les mots. Une fois adapté à ce courant, le sage ne fait aucun effort spécial afin « d’illuminer », car le langage le fait de lui-même, spontanément. Le langage se déverse.
Maintenant, rappelons que Saussure étudiait les anagrammes latines & qu’il a découvert les mots-clés de poèmes se déversant en d’autres mots. Les syllabes des noms des personnages, par exemple, sont répercutées dans les mots décrivant ces personnages. Au départ, le fondateur de la linguistique moderne a considéré ces anagrammes comme des machines littéraires. Petit à petit, cependant, il devint apparent qu’une telle « lecture » ne tenait pas la route. Saussure commença à découvrir des anagrammes partout où il posait son regard – pas uniquement dans la poésie latine, mais même dans la prose. Il atteint le point où il ne pouvait plus dire s’il expérimentait une hallucination linguistique ou une révélation divine. Des anagrammes partout ! Le langage lui-même est un réseau de joyaux dans lequel les pierres précieuses se reflètent les unes dans les autres ! Il écrivit une lettre à un latiniste universitaire qui avait composé des odes en latin – des poèmes dans lesquels Saussure avait détecté des anagrammes. Dites-moi, pria-t-il, êtes-vous l’héritier d’une tradition secrète remontant à l’Antiquité Classique – ou faites-vous cela inconsciemment ? Il est inutile de dire que Saussure n’ait reçu aucune réponse. Il arrêta ses recherches sans autre forme de procès avec une sensation de vertige, tremblant aux bords de l’abysse d’un pur nihilisme, ou d’une pure magie, terrifié par les implications d’un langage au-delà du langage, au-delà du signe & du contenu, du langage & de la parole. Il s’arrêta, précisément, là où Chuang Tzu commence.
Notes :
[1] Article « Tchouang-tseu » de Wikipedia & « Œuvre de Tchoang-tzeu » de Wikisource.
[2] À nouveau, je me retrouve à Dreamtime Village sans ma bibliothèque, & donc je ne peux offrir que quelques indications à partir de ma mémoire défaillante concernant la bibliographie de J. Needham qui est l’auteur de « Science an Civilization in China » ; cette référence est sans doute issue du Vol. 5.
[3] D’où les nouvelles traductions sans fin & prolixe du Tao Te King qui se font passer pour des « études taoïstes » en Occident, et, comme s’en lamente E. Schaffer, qui prennent la place des véritables recherches dans le Canon taoïste encore inexploré.
[4] Les « Chapitres Internes » du Chuang Tzu, les parties qui sont supposées avoir été écrites par Chuang Tzu lui-même, sont considérés comme canoniques dans le Mao Shan Taoism, et parmi d’autres sectes.
[5] Voir Appendice A
[6] Sur le taoïsme rituel moderne, voir l’œuvre magnifique de M. Saso, « The Taoist Teachings of Master Chuang, and Cosmic Rite ».
[7] Voir « Words Beneath the Words » par Jean Starobinski.
[8] Voir Appendice C
[9] Ezra Pound croyait que « Rendre neuf » était un slogan confucéen, mais le sentimental est taoïste en quintessence.
[10] Voir Appendice F.
[11] Voir N.J. Giradot, « Myth and Meaning in Early Taoism : The Theme of Chaos (hun-t’un) ».