Par Kate Hoolu
Cet article est rédigé sous la forme d’une plaisanterie, une sorte de checklist sociologique portant sur les ordres magiques – plutôt que sur les sociétés secrètes au sens large. Il est à noter qu’il s’inspire d’une véritable Organisation de Training Occulte. Mais ils ont tendance à intenter des procès…
De quoi une société secrète est-elle constituée ?
D’une multitude d’unités plus petites ; de sous-groupes unis par un lien quelconque, comme un secret détenu en commun – ou, comme certains le pensent, une blague cosmique que l’on vous communiquerait par degrés. Quelle que soit la nature de ces petites unités, elles sont toutes constituées par l’élément de base de toute construction sociétale : des êtres humains individuels.
Comment une société secrète opère-t-elle ou fonctionne-t-elle ?
Une réponse cynique serait : elle ne fonctionne pas. En mettant mes croyances de côté un instant, je peux dire qu’une société secrète fonctionne comme le résultat des interactions coopératives – ou du moins non obstructives, entre divers groupes et/ou individus. Simple truisme…
Pourquoi certains groupes au sein de sociétés secrètes sont-ils plus puissants que d’autres ?
Pour emprunter la métaphore de la meute de loups, je dirais qu’il y aura toujours des mâles dominants suffisamment puissants, volontaires et possédant l’intelligence nécessaire pour assumer – ou se battre pour – le leadership. Dans le cas des loups, il est dans l’intérêt du groupe que le leader soit le plus fort, car ce seront ses gènes qui s’implanteront dans les générations futures afin d’assurer la survie du groupe. Il n’en est pas nécessairement de même pour les humains. Le pouvoir dans une société secrète repose aussi sur le capital, à savoir : qui possède les livres & outils magiques, qui a écrit les Chartes régissant le groupe (qui sont généralement hiérarchiques plutôt qu’héritées génétiquement), qui assure la vitrine publique de l’ordre & qui décide quelle personne sera ou non initiée & quand – chacune de ces capacités étant enseignées. Une alternative peut être que, pour une raison quelconque, une famille ou autre groupe d’individus détient une position de leadership ; par exemple un individu qui a été initié par « X », un ancien grand leader… Les positions deviennent alors peu ou prou héréditaires en l’absence de bouleversements dus à une révolution.
Qu’est-ce qui peut causer un changement social dans une société secrète ?
Le désir d’opérer des changements peut venir d’un ou plusieurs éléments dirigeants de la société ou de ceux qui sont dirigés. Si les dirigeants ont un contrôle effectif ou que les dirigés ont une volonté collective suffisamment forte, alors, le changement aura lieu. Soit lentement, sous la forme d’un changement pacifique et évolutionnaire ; soit brutalement, sous la forme d’un changement violent et révolutionnaire. Des batailles juridiques pour les copyrights, des diffamations, des calomnies, des guerres magiques & des bagarres de rues sont tout à fait possibles.
Une société secrète est-elle normalement en équilibre ou en conflit ?
Considérez l’histoire. Aucun des deux. La meilleure métaphore est celle de la chimie… Deux éléments chimiques peuvent se trouver dans un état d’équilibre, mais ils le seront d’une manière dynamique : les molécules sont en évolution permanente, mais ces mouvements sont globalement équilibrés par des modifications opposées dans les autres molécules. Bien sûr, ce n’est qu’une métaphore & le fonctionnement d’un groupe magique est rarement aussi simple.
Quelle est la relation de l’individu à la société secrète ?
L’existence de l’individu ne dépend pas de la société. La société secrète, par contre, est entièrement dépendante de l’individu, car elle n’a aucune existence en soi, mais n’existe qu’à travers ses membres, & grâce à l’héritage supposé dont elle est dépositaire. Une société secrète est une combinaison des qualités, actions & pensées des membres, passés & présents, & comme telle elle peut devenir plus ou moins déshumanisante. Du fait de sa nature collective, la société paraît plus « grande » que l’individu, c’est-à-dire plus puissante. Un résumé de cette relation pourrait se formuler ainsi : une « suspicion tacite » usuelle & des périodes occasionnelles de tolérance générale.
Quel est le but premier d’une étude sociologique d’une société secrète ?
Tout d’abord, donner du travail aux sociologues. Mais également étudier les différentes facettes du comportement humain, d’une manière supposant la manipulation de données fiables et dans le but de faire de la vie quelque chose de plus que ce qu’elle est (subjectif !). Il s’agit de comprendre ce que représente l’occultisme pour celui qui y participe. Et d’étudier les choses sous un angle qui ne donne pas l’occasion à quelque agence de protection de la loi de trouver des langues arrachées sur des plages & des corps pendus par le cou sous un pont avec les poches pleines de cailloux.
Machiavel avait raison :
« (Un prince) doit examiner en profondeur toutes les peines qu’il peut être nécessaire d’infliger, & de les infliger toutes en une seule fois afin de ne point avoir à les répéter journellement, & donc en ne brusquant pas les hommes il sera capable de les rassurer & de les gagner à sa propre personne pour son bénéfice ». Réciproquement, John Stuart Mill qui n’aurait jamais pu diriger un groupe de tricot, encore moins un groupe magique : « l’individu n’a pas à rendre compte à la société de ses actes pour autant qu’ils ne concernent que ses propres intérêts. Des conseils, des instructions, de la persuasion & la mise à l’écart de l’individu par les autres si cela leur semble nécessaire pour leur propre bien, sont les seules mesures par lesquelles la société peut manifester sa désapprobation ou son aversion envers sa conduite ».
Un exemple de la façon dont un groupe se forme se trouve à l’aube de notre système politique actuel, lorsque des individus se sont rassemblés autour d’un but commun & ont choisi un chef qui a participé à un rassemblement régional ou national avec les chefs des autres groupes. Ce système est celui que nous connaissons en Grande-Bretagne, avec des groupes politiques locaux choisissant un candidat au parlement, qui, s’il est élu, ira siéger à la Commune pour représenter sa localité. Le système parlementaire est donc basé initialement sur des individuels et, en retour, il peut contrôler les vies de ces mêmes personnes.
Comme dans un ordre magique… Des analogies avec le monstre de Frankenstein ont été proposées & c’est une idée valable que de penser que la création devient souvent plus importante que le(s) créateur(s). J’ignore si un ordre magique marxiste véritablement égalitaire existe quelque part – peut-être que quelqu’un pourra m’éclairer là-dessus ?
L’une des principales prémisses de Durkheim est que la société conserve sa cohésion grâce à la volonté consensuelle de la majorité. C’est à dire, que les membres d’une société secrète détiennent & suivent un ensemble de valeurs (traditionnelles, religieuses, morales, etc.) validées comme étant un comportement normal & acceptable, & permettant à la société secrète de vivre dans la paix.
Il y a des individus & des groupes qui font exception à cette règle, mais pour la majorité, la société secrète continue de fonctionner comme elle l’a toujours fait, acceptant des changements majeurs, mais qui se mettent en place lentement sur plusieurs générations. Avec le consensus, se met en place la perception qu’une société secrète tellement grande, puissante & immuable (du moins durant un certain laps de temps) qu’elle est susceptible de modeler les individus.
Conclusions.
Cela n’est pas nouveau, plus de 2000 ans avant Durkheim, Aristote était arrivé aux mêmes conclusions concernant les besoins du groupe : « Toutes les communautés sont comme des sous-parties de la communauté politique… Chacun croit que les associations politiques ont été constituées & poursuivent leurs activités pour le bien de tous, car c’est cela l’objet des légistes & le peuple dit que ce qui est pour le bien commun est juste ».
La principale implication de cela est qu’une société secrète est une « chose » très statique avec des cloisons entre elle & les individus ; d’où il y a peu de chance que quelqu’un puisse avoir un impact sur elle… Au pire l’interaction se résume à une science de l’inaction & à des attentes réduites.
Comme pour toutes les ambitions sociétales, une grande part dépend de l’opérateur qui, le premier, les a mises en application ; peut-être que les Russes ont été malchanceux d’avoir Staline comme développeur du marxisme de la même manière que l’Aube Dorée avait à la fois Mathers & Yeats en compétition, quand arriva Crowley. On peut trouver des corollaires avec le voyage inaugural du Titanic ; un navire identiquement insubmersible & un ensemble identique de formidables moyens de libération pour la majorité de l’humanité. Et un résultat identique dans tous les cas.
En y repensant, cela n’est pas vraiment une plaisanterie…
Comment une société secrète est-elle construite ?. Titre original « Occult : The Nature of Initiation« , par Kate Hoolu. Traduction française, Spartakus FreeMann, Libertalia, juillet 2002 e.v.
Par Kate Hoolu
Cet article est rédigé sous la forme d’une plaisanterie, une sorte de checklist sociologique portant sur les ordres magiques – plutôt que sur les sociétés secrètes au sens large. Il est à noter qu’il s’inspire d’une véritable Organisation de Training Occulte. Mais ils ont tendance à intenter des procès…
De quoi une société secrète est-elle constituée ?
D’une multitude d’unités plus petites ; de sous-groupes unis par un lien quelconque, comme un secret détenu en commun – ou, comme certains le pensent, une blague cosmique que l’on vous communiquerait par degrés. Quelle que soit la nature de ces petites unités, elles sont toutes constituées par l’élément de base de toute construction sociétale : des êtres humains individuels.
Comment une société secrète opère-t-elle ou fonctionne-t-elle ?
Une réponse cynique serait : elle ne fonctionne pas. En mettant mes croyances de côté un instant, je peux dire qu’une société secrète fonctionne comme le résultat des interactions coopératives – ou du moins non obstructives, entre divers groupes et/ou individus. Simple truisme…
Pourquoi certains groupes au sein de sociétés secrètes sont-ils plus puissants que d’autres ?
Pour emprunter la métaphore de la meute de loups, je dirais qu’il y aura toujours des mâles dominants suffisamment puissants, volontaires et possédant l’intelligence nécessaire pour assumer – ou se battre pour – le leadership. Dans le cas des loups, il est dans l’intérêt du groupe que le leader soit le plus fort, car ce seront ses gènes qui s’implanteront dans les générations futures afin d’assurer la survie du groupe. Il n’en est pas nécessairement de même pour les humains. Le pouvoir dans une société secrète repose aussi sur le capital, à savoir : qui possède les livres & outils magiques, qui a écrit les Chartes régissant le groupe (qui sont généralement hiérarchiques plutôt qu’héritées génétiquement), qui assure la vitrine publique de l’ordre & qui décide quelle personne sera ou non initiée & quand – chacune de ces capacités étant enseignées. Une alternative peut être que, pour une raison quelconque, une famille ou autre groupe d’individus détient une position de leadership ; par exemple un individu qui a été initié par « X », un ancien grand leader… Les positions deviennent alors peu ou prou héréditaires en l’absence de bouleversements dus à une révolution.
Qu’est-ce qui peut causer un changement social dans une société secrète ?
Le désir d’opérer des changements peut venir d’un ou plusieurs éléments dirigeants de la société ou de ceux qui sont dirigés. Si les dirigeants ont un contrôle effectif ou que les dirigés ont une volonté collective suffisamment forte, alors, le changement aura lieu. Soit lentement, sous la forme d’un changement pacifique et évolutionnaire ; soit brutalement, sous la forme d’un changement violent et révolutionnaire. Des batailles juridiques pour les copyrights, des diffamations, des calomnies, des guerres magiques & des bagarres de rues sont tout à fait possibles.
Une société secrète est-elle normalement en équilibre ou en conflit ?
Considérez l’histoire. Aucun des deux. La meilleure métaphore est celle de la chimie… Deux éléments chimiques peuvent se trouver dans un état d’équilibre, mais ils le seront d’une manière dynamique : les molécules sont en évolution permanente, mais ces mouvements sont globalement équilibrés par des modifications opposées dans les autres molécules. Bien sûr, ce n’est qu’une métaphore & le fonctionnement d’un groupe magique est rarement aussi simple.
Quelle est la relation de l’individu à la société secrète ?
L’existence de l’individu ne dépend pas de la société. La société secrète, par contre, est entièrement dépendante de l’individu, car elle n’a aucune existence en soi, mais n’existe qu’à travers ses membres, & grâce à l’héritage supposé dont elle est dépositaire. Une société secrète est une combinaison des qualités, actions & pensées des membres, passés & présents, & comme telle elle peut devenir plus ou moins déshumanisante. Du fait de sa nature collective, la société paraît plus « grande » que l’individu, c’est-à-dire plus puissante. Un résumé de cette relation pourrait se formuler ainsi : une « suspicion tacite » usuelle & des périodes occasionnelles de tolérance générale.
Quel est le but premier d’une étude sociologique d’une société secrète ?
Tout d’abord, donner du travail aux sociologues. Mais également étudier les différentes facettes du comportement humain, d’une manière supposant la manipulation de données fiables et dans le but de faire de la vie quelque chose de plus que ce qu’elle est (subjectif !). Il s’agit de comprendre ce que représente l’occultisme pour celui qui y participe. Et d’étudier les choses sous un angle qui ne donne pas l’occasion à quelque agence de protection de la loi de trouver des langues arrachées sur des plages & des corps pendus par le cou sous un pont avec les poches pleines de cailloux.
Machiavel avait raison :
« (Un prince) doit examiner en profondeur toutes les peines qu’il peut être nécessaire d’infliger, & de les infliger toutes en une seule fois afin de ne point avoir à les répéter journellement, & donc en ne brusquant pas les hommes il sera capable de les rassurer & de les gagner à sa propre personne pour son bénéfice ». Réciproquement, John Stuart Mill qui n’aurait jamais pu diriger un groupe de tricot, encore moins un groupe magique : « l’individu n’a pas à rendre compte à la société de ses actes pour autant qu’ils ne concernent que ses propres intérêts. Des conseils, des instructions, de la persuasion & la mise à l’écart de l’individu par les autres si cela leur semble nécessaire pour leur propre bien, sont les seules mesures par lesquelles la société peut manifester sa désapprobation ou son aversion envers sa conduite ».
Un exemple de la façon dont un groupe se forme se trouve à l’aube de notre système politique actuel, lorsque des individus se sont rassemblés autour d’un but commun & ont choisi un chef qui a participé à un rassemblement régional ou national avec les chefs des autres groupes. Ce système est celui que nous connaissons en Grande-Bretagne, avec des groupes politiques locaux choisissant un candidat au parlement, qui, s’il est élu, ira siéger à la Commune pour représenter sa localité. Le système parlementaire est donc basé initialement sur des individuels et, en retour, il peut contrôler les vies de ces mêmes personnes.
Comme dans un ordre magique… Des analogies avec le monstre de Frankenstein ont été proposées & c’est une idée valable que de penser que la création devient souvent plus importante que le(s) créateur(s). J’ignore si un ordre magique marxiste véritablement égalitaire existe quelque part – peut-être que quelqu’un pourra m’éclairer là-dessus ?
L’une des principales prémisses de Durkheim est que la société conserve sa cohésion grâce à la volonté consensuelle de la majorité. C’est à dire, que les membres d’une société secrète détiennent & suivent un ensemble de valeurs (traditionnelles, religieuses, morales, etc.) validées comme étant un comportement normal & acceptable, & permettant à la société secrète de vivre dans la paix.
Il y a des individus & des groupes qui font exception à cette règle, mais pour la majorité, la société secrète continue de fonctionner comme elle l’a toujours fait, acceptant des changements majeurs, mais qui se mettent en place lentement sur plusieurs générations. Avec le consensus, se met en place la perception qu’une société secrète tellement grande, puissante & immuable (du moins durant un certain laps de temps) qu’elle est susceptible de modeler les individus.
Conclusions.
Cela n’est pas nouveau, plus de 2000 ans avant Durkheim, Aristote était arrivé aux mêmes conclusions concernant les besoins du groupe : « Toutes les communautés sont comme des sous-parties de la communauté politique… Chacun croit que les associations politiques ont été constituées & poursuivent leurs activités pour le bien de tous, car c’est cela l’objet des légistes & le peuple dit que ce qui est pour le bien commun est juste ».
La principale implication de cela est qu’une société secrète est une « chose » très statique avec des cloisons entre elle & les individus ; d’où il y a peu de chance que quelqu’un puisse avoir un impact sur elle… Au pire l’interaction se résume à une science de l’inaction & à des attentes réduites.
Comme pour toutes les ambitions sociétales, une grande part dépend de l’opérateur qui, le premier, les a mises en application ; peut-être que les Russes ont été malchanceux d’avoir Staline comme développeur du marxisme de la même manière que l’Aube Dorée avait à la fois Mathers & Yeats en compétition, quand arriva Crowley. On peut trouver des corollaires avec le voyage inaugural du Titanic ; un navire identiquement insubmersible & un ensemble identique de formidables moyens de libération pour la majorité de l’humanité. Et un résultat identique dans tous les cas.
En y repensant, cela n’est pas vraiment une plaisanterie…