Bien qu’on puisse lui trouver quelque cousinage artistique avec Félicien Rops et malgré ce que son pseudonyme veut nous faire croire, Martin van Maële a bien poussé en terrain francophone et non Belge.
Le 12 octobre 1863, dans l’actuelle Boulogne-Billancourt [1], Virginie Van Maele et Louis Alfred Martin deviennent les heureux parents d’un petit Maurice François Alfred Martin. À le voir comme ça, tout rose, occupé à baver dans sa layette, on ne douterait pas que le poupon va devenir l’un des illustrateurs érotiques les plus audacieux et les plus en vogue du début du XXe siècle, s’appliquant à mettre en image les délires de Laclos, Sade, Mac Orlan et de bien d’autres aussi peu fréquentables.
Son nom d’artiste est la réunion du nom de famille de sa mère, Virginie van Maële et de celui de son père, Louis Martin, graveur et professeur aux Beaux-Arts de Genève. Il signera également quelques œuvres sous le pseudonyme de A. Van Troizeim.
La carrière de Van Maele débute en 1901 lorsqu’il illustre Les premiers Hommes dans la Lune d’H.G. Wells, puis signe quelques couvertures de Sherlock Holmes, avant de dédier ses crayons à l’illustration érotique pour le compte de l’éditeur Charles Carrington. Son style osé, volontiers satyrique, parfois à la limite du surréalisme à force de retourner les corps dans tous les sens, lui assure rapidement une réputation dans le milieu de l’illustration. Mais s’il adore croquer des gens à poil dans des positions impossibles, Maurice Martin est par contre très discret sur sa vie privée. De son existence, on ne sait pas grand-chose, sinon qu’il a épousé une certaine Marie-Françoise Genet vivant à Chantilly dans l’Oise et que le couple ne semble pas avoir eu de descendance.
À partir de 1905, Van Maele débute sa grande oeuvre personnelle, La Grande Danse Macabre des Vifs :
Lorsqu’en 1907 Charles Carrington est expulsé de France du fait de ses activités de libraire-éditeur d’ouvrages sadomasochistes, notre illustrateur trouve un autre éditeur en la personne de Jules Chevrel, qui lui commande des illustrations pour les Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos, pour La Religieuse de Denis Diderot, enfin pour La Sorcière de Jules Michelet, ouvrage qui nous intéresse ici. Car Van Maele est cet illustrateur dont tout le monde a vu les images de femmes dénudées s’envolant pour le sabbat mais dont personne ou presque ne connaît le nom.
Pour La Sorcière, Van Maele produira 15 eaux-fortes. Édité par Jules Chevrel en 1911, l’ouvrage, présenté par son auteur comme un « hymne à la femme, bienfaisante et victime », fera immédiatement scandale, mais, malgré la participation de Van Maele, ce ne sont pas tant les images qui dérangent que le contenu du livre lui-même :
« Son ouvrage à peine sorti des presses, Michelet avait traité avec Hachette. Le jour même de la mise en vente, un des associés de l’éditeur, M. Templier, soudainement alarmé de certains passages de La Sorcière, et en particulier de l’introduction, rompit le traité et fit retirer de la distribution les exemplaires brochés, répandus déjà dans les services de la maison. Les couvertures et les titres, portant le nom d’Hachette, furent mis au pilon et l’on envoya l’auteur, furieux à bon droit, négocier avec un libraire moins scrupuleux des convenances. Michelet reprit en feuilles son ouvrage et, après l’avoir porté vainement chez Pagnerre, le donna à Dentu et à Hetzel, qui le prirent, mais exigèrent, en retour, la suppression des morceaux qui avaient tant scandalisé l’associé d’Hachette. On fit deux ‘cartons’ afin de substituer une version nouvelle aux passages incriminés. Le volume, ainsi mutilé, parut avec la marque suivante : Paris, Collection Hetzel E. Dentu, novembre 1862 […]. La Sorcière reparut quelques mois après à Bruxelles, chez Lacroix et Verbaeckhoven, mais bien que le texte en demeurât légèrement altéré, semblable à celui qu’avaient donné Dentu et Hetzel, l’ouvrage traqué, poursuivi par la police impériale, ne se vendit pas ouvertement en France » [2].
Michelet se défendit en prétendant faire œuvre historique – ce qui est faux. La Sorcière est bien plus une rêverie romanesque, projection fantasmatique des idéaux sensuels et philosophiques de Michelet, qu’un essai documenté, même s’il se trouve encore aujourd’hui des lecteurs pour le prendre au pied de la lettre.
Pour Van Maele, la Première Guerre mondiale marque une période de creux, mais sa carrière repart à partir de 1920 ; il illustre alors les œuvres de Mac Orlan et Charles Sorel. Van Maele décède le 5 septembre 1926 alors qu’il travaille aux illustrations des Dialogues de l’Arétin ; il est enterré dans le cimetière de Varennes-Jarcy.
** Les illustrations de cet article proviennent de la page Martin Van Maële sur Wikimedia Commons.
Martin Van Maële, Melmothia, 2009.
[1] A l’époque, la ville s’appelle Boulogne sur Seine.
[2] « La Sorciere de Michelet ou l’histoire controversée d’un livre », par Jacques Brieu. Sur le site L’Encyclopédie de l’Agora.
Par Melmothia
Bien qu’on puisse lui trouver quelque cousinage artistique avec Félicien Rops et malgré ce que son pseudonyme veut nous faire croire, Martin van Maële a bien poussé en terrain francophone et non Belge.
Le 12 octobre 1863, dans l’actuelle Boulogne-Billancourt [1], Virginie Van Maele et Louis Alfred Martin deviennent les heureux parents d’un petit Maurice François Alfred Martin. À le voir comme ça, tout rose, occupé à baver dans sa layette, on ne douterait pas que le poupon va devenir l’un des illustrateurs érotiques les plus audacieux et les plus en vogue du début du XXe siècle, s’appliquant à mettre en image les délires de Laclos, Sade, Mac Orlan et de bien d’autres aussi peu fréquentables.
Son nom d’artiste est la réunion du nom de famille de sa mère, Virginie van Maële et de celui de son père, Louis Martin, graveur et professeur aux Beaux-Arts de Genève. Il signera également quelques œuvres sous le pseudonyme de A. Van Troizeim.
La carrière de Van Maele débute en 1901 lorsqu’il illustre Les premiers Hommes dans la Lune d’H.G. Wells, puis signe quelques couvertures de Sherlock Holmes, avant de dédier ses crayons à l’illustration érotique pour le compte de l’éditeur Charles Carrington. Son style osé, volontiers satyrique, parfois à la limite du surréalisme à force de retourner les corps dans tous les sens, lui assure rapidement une réputation dans le milieu de l’illustration. Mais s’il adore croquer des gens à poil dans des positions impossibles, Maurice Martin est par contre très discret sur sa vie privée. De son existence, on ne sait pas grand-chose, sinon qu’il a épousé une certaine Marie-Françoise Genet vivant à Chantilly dans l’Oise et que le couple ne semble pas avoir eu de descendance.
À partir de 1905, Van Maele débute sa grande oeuvre personnelle, La Grande Danse Macabre des Vifs :
Lorsqu’en 1907 Charles Carrington est expulsé de France du fait de ses activités de libraire-éditeur d’ouvrages sadomasochistes, notre illustrateur trouve un autre éditeur en la personne de Jules Chevrel, qui lui commande des illustrations pour les Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos, pour La Religieuse de Denis Diderot, enfin pour La Sorcière de Jules Michelet, ouvrage qui nous intéresse ici. Car Van Maele est cet illustrateur dont tout le monde a vu les images de femmes dénudées s’envolant pour le sabbat mais dont personne ou presque ne connaît le nom.
Pour La Sorcière, Van Maele produira 15 eaux-fortes. Édité par Jules Chevrel en 1911, l’ouvrage, présenté par son auteur comme un « hymne à la femme, bienfaisante et victime », fera immédiatement scandale, mais, malgré la participation de Van Maele, ce ne sont pas tant les images qui dérangent que le contenu du livre lui-même :
« Son ouvrage à peine sorti des presses, Michelet avait traité avec Hachette. Le jour même de la mise en vente, un des associés de l’éditeur, M. Templier, soudainement alarmé de certains passages de La Sorcière, et en particulier de l’introduction, rompit le traité et fit retirer de la distribution les exemplaires brochés, répandus déjà dans les services de la maison. Les couvertures et les titres, portant le nom d’Hachette, furent mis au pilon et l’on envoya l’auteur, furieux à bon droit, négocier avec un libraire moins scrupuleux des convenances. Michelet reprit en feuilles son ouvrage et, après l’avoir porté vainement chez Pagnerre, le donna à Dentu et à Hetzel, qui le prirent, mais exigèrent, en retour, la suppression des morceaux qui avaient tant scandalisé l’associé d’Hachette. On fit deux ‘cartons’ afin de substituer une version nouvelle aux passages incriminés. Le volume, ainsi mutilé, parut avec la marque suivante : Paris, Collection Hetzel E. Dentu, novembre 1862 […]. La Sorcière reparut quelques mois après à Bruxelles, chez Lacroix et Verbaeckhoven, mais bien que le texte en demeurât légèrement altéré, semblable à celui qu’avaient donné Dentu et Hetzel, l’ouvrage traqué, poursuivi par la police impériale, ne se vendit pas ouvertement en France » [2].
Illustrations pour La Sorcière de Jules Michelet
Michelet se défendit en prétendant faire œuvre historique – ce qui est faux. La Sorcière est bien plus une rêverie romanesque, projection fantasmatique des idéaux sensuels et philosophiques de Michelet, qu’un essai documenté, même s’il se trouve encore aujourd’hui des lecteurs pour le prendre au pied de la lettre.
Pour Van Maele, la Première Guerre mondiale marque une période de creux, mais sa carrière repart à partir de 1920 ; il illustre alors les œuvres de Mac Orlan et Charles Sorel. Van Maele décède le 5 septembre 1926 alors qu’il travaille aux illustrations des Dialogues de l’Arétin ; il est enterré dans le cimetière de Varennes-Jarcy.
** Les illustrations de cet article proviennent de la page Martin Van Maële sur Wikimedia Commons.
[1] A l’époque, la ville s’appelle Boulogne sur Seine.
[2] « La Sorciere de Michelet ou l’histoire controversée d’un livre », par Jacques Brieu. Sur le site L’Encyclopédie de l’Agora.