« Vois ! les rituels de l’ancien temps sont noirs. Que les mauvais soient exclus ; que les bons soient purifiés par le prophète ! Alors, cette Connaissance ira bien. » Liber AL, II, 5.
Au début du 20e siècle, est apparue une nouvelle forme de Cabale qui se détache, tout en y puisant, de la Kabbale hébraïque. L’apport d’Aleister Crowley et d’autres magiciens contemporains dans ce domaine ne peut être éludé, car son impact sur le développement de la magie – du Courant de Maat à la Magie du Chaos – est essentiel.
La Cabale anglaise pourrait être définie comme « un ensemble de systèmes visant à interpréter les lettres de l’alphabet usuel en leur attribuant une valeur numérique particulière et un symbole ». Nous allons effectuer un détour par son histoire et brosser un bref tableau des origines de ce système, dans lequel nous ne parlerons cependant pas de la Kabbale hébraïque – à propos de laquelle le lecteur pourra lire les autres articles que nous avons écrit par ailleurs.
La trace la plus ancienne d’utilisation de procédés numériques appliqués aux lettres, remonte à l’isopséphie de l’alphabet Grec qui est un principe selon lequel les nombres sont exprimés par des lettres : ainsi, Αlpha (α) vaut 1, Béta (β) vaut 2, Gamma (γ) vaut 3, etc.
Bien plus tard, nous retrouverons ces procédés utilisés par Michael Stifel, un moine allemand du 16e siècle professeur d’arithmétique à l’université d’Iéna qui rédigera un ouvrage (Ein Rechenbuchlin vom EndChrist. Apocalyps in Apocalypsim – Un Livre d’arithmétique au sujet de l’Antéchrist. Une révélation de la Révélation, 1532) dans lequel il appliquera des procédés basés sur la valeur naturelle des lettres afin de démontrer que le pape Léon X était bel et bien la Bête 666 annoncée par l’Apocalypse de Jean ; et d’annoncer la fin du monde pour le 3 octobre 1533.
On retrouve, vers 1707, la trace de systèmes analogues dans l’Alphabetum Cabbalisticum Vulgare d’Hunold où les lettres de l’alphabet latin se voient attribuer une valeur numérique de 1 à 12 pour les lettres « a » à « m », la lettre « n » ayant pour valeur 40, les lettres subséquentes ayant alors une valeur incrémentée de 10.
Aleister Crowley.
C’est dans le Liber Trigrammaton sub figuraXXVII, étant le Livre des Mutations du Tao avec le Yin et le Yang (1907, voir en annexe), que Crowley sortira des sentiers battus en attribuant à chaque trigramme du Tao Te King une lettre de l’alphabet anglais. Cette tentative faisait suite à l’une des injonctions du Livre de Loi qu’il avait reçu au Caire en 1904.
Dans le Liber AL, II, 55 il est écrit : « Tu obtiendras l’ordre & la valeur des lettres de l’alphabet anglais ; tu découvriras de nouveaux symboles à leur attribuer ». L’alphabet anglais – comme la majorité des alphabets occidentaux – possède 26 lettres là où l’alphabet hébraïque utilisé dans la Kabbale traditionnelle n’en comporte que 22 (si l’on omet les 5 finales). Ces 22 lettres se voient attribuer une place particulière sur les 22 Sentiers de l’Arbre de Vie reliant les 10 Sephiroth ; on les associe également aux 22 Arcanes du Tarot. Le Livre de la Loi propose non seulement un nouveau système d’attribution, mais également un dévoilement des Quatre Sentiers Secrets de l’Arbre de Vie – puisque l’alphabet commun comporte 26 lettres, il est en effet logique que le nombre de Sentiers correspondant sur l’Arbre passe de 22 à 26.
L’alphabet anglais devient ainsi la nouvelle langue sacrée de la magie dans le cadre du Nouvel Eon d’Horus tel qu’annoncé par le Liber AL.
Cependant, en 1920, Crowley rédigea un nouveau commentaire de ce verset dans lequel il écrit : « les attributs du Liber Trigrammaton sont valides en théorie, mais aucune Qabale de valeur n’a pu en sortir. Je pense à chercher plus avant dans les racines sanskrites ainsi que dans les comptes-rendus énochiens afin de mettre tout cela en ordre ». Cette bonne résolution restera cependant lettre morte, ou du moins rien ne nous est parvenu d’un tel travail.
Vers 1943, Aleister Crowley commence un échange épistolaire avec une de ses étudiantes, lettres qui seront rassemblées en un unique volume publié sous le titre Magick Without Tears (La Magick sans peine). Dans l’une de ces lettres, nous lisons : « Le Livre de la Loi insiste sur le fait qu’il contient une cabale qui était hors de ma portée à l’époque où il me fut dicté, qui l’est toujours aujourd’hui et qui le sera toujours pour moi en cette incarnation ».
À la mort de Crowley, il était évident qu’un système de Cabale anglaise était encore à découvrir et à développer. Ce que firent les adeptes de Maître Thérion qui tentèrent au fil du temps de construire un système de Cabale anglaise cohérent et fonctionnel permettant de réaliser le commandement du Liber AL et donc d’en obtenir la clé de décryptage.
Différents systèmes furent proposés, certains se basant sur ce passage du Liber AL : « 4 6 3 8 A B K 2 4 A L G M O R 3 Y X 24 89 R P S T O V A L » (Livre de la Loi, II,76) ; d’autres, comme celui de Samuel K. Vincent dans son The English Qabalah, basés sur une correspondance entre l’alphabet latin et la signification mystique des lettres.
Vincent utilise la clé qu’il aurait découverte en l’appliquant à la formule et au texte du Liber AL. Par exemple :
« Le titre technique du Livre est Liber AL vel Legis sub figura CCXX. Il contient 220 versets qui sont, en réalité, à l’origine de son nom “CCXX” en chiffres romains. Nous sommes à présent capables de vérifier que “La Loi” est la clé de “220” grâce à la clé anglaise que les auteurs ne connaissaient pas à ce moment-là. Cabalistiquement donc, “Le Livre de la Loi” peut être translitéré comme « Le Livre de 220” ce qui coïncide avec son nom technique “Liber CCXX” ce que nous confirmons au travers de la guematria : “The Law” = (98 +7 +1) + (50 +4 +60) = 220 » (Vincent, 2008).
Notons enfin qu’avec ce système, nous découvrons que :
En 1987, Joel Biroco, éditeur du magazine KAOS, se basant sur la Cabale anglaise, modifiera le nom de sa revue de « Chaos » en « Kaos » respectant en cela les paroles de Crowley dans la Vision et la Voix où il écrit : « Chaos, qui est le quadruple mot qui est égal à son septuple mot »
Jim Lee, quant à lui, propose un système, appelé « ALW », d’attribution de l’ordre et de la valeur des lettres en superposant une grille sur une page du manuscrit du Liber AL où cette phrase apparaît (feuillet 16 du chapitre III). Sur cette même page apparaissent une ligne diagonale et une croix dans un cercle. Ayant tenté, sans espoir, de décrypter cette clé de… décryptage, je ne puis trop conseiller au lecteur de se retourner vers Lee et ses livres afin d’éclairer sa propre lanterne (notons que la découverte de ce système est également revendiquée par Carol Smith). Néanmoins, après de longues manipulations du Liber AL, il en arrive à ce code qui parle de lui-même :
Plus récemment, Michael Bertiaux, dans son The Voundon Gnostic Workbook (1989), au chapitre intitulé « Angelic Gematria », développe à son tour son propre système dans lequel A=5, F=10, K=15, P=20, U=25 et Z=30 afin d’obtenir pour chaque lettre « sa vibration magique ou longueur d’onde magique ».
Dans son Becoming Magick, David Rankine propose quant à lui un système d’attribution basé sur les nombres premiers qu’il appelle « Prime Qabalah ».
Enfin, nous ne serions complets sans mentionner Kenneth Grant qui, dans le mouvement thélémite, a sans doute été celui qui est allé plus loin en s’essayant à une forme de simplicité rafraîchissante quoique primesautière ; par exemple dans son identification de « Death », mort en anglais, à « Daath » (connaissance en hébreu) ; sa lecture de « Thelema » comme étant « The Lama » (le Lama), etc. Grant s’amuse dans des sauts de guematria parfois déroutants pour les adeptes de la Kabbale traditionnelle. Les rapprochements, parfois plus qu’audacieux, qu’il opère s’inscrivent cependant dans un mouvement qui tend à réconcilier tradition et « bond en avant » magique ; cependant, comme avec Mao, les pertes subies en route risquent d’être grandes.
Nema, dans son Maat Magick, nous dit préférer translitérer phonétiquement les mots anglais en hébreu (influence de Grant ?) et ensuite d’en vérifier la valeur numérique dans le Sepher Sephiroth de Crowley.
Le système en base 6.
L’ordre et la valeur des lettres de l’alphabet anglais se rapportent donc aux Sentiers du nouvel Arbre de Vie auxquels on attribue ces mêmes lettres (supprime « auxquels on attribue ces mêmes lettres »). Dans le système thélémite de David Cherubim, la valeur de chaque lettre est une multiplication de Six, nombre sacré de la Bête (le Soleil). Le nouvel Arbre de Vie comporte ainsi 36 Sentiers, 36 étant également le nombre sacré du Soleil (voir le carré magique du Soleil chez Agrippa dont la somme est 666). Si l’on multiplie 26 (le nombre de lettres) par 6 (le nombre sacré) nous obtenons 156 qui est le nombre sacré de Babalon (la Lune), en hébreu Babalon (באבאלען) vaut 156. Les thélémites peuvent ainsi dire que l’alphabet anglais est l’Alphabet Magique du Soleil et de la Lune, raison pour laquelle il débute par le nombre de la Bête et se termine par le nombre de Babalon.
La Cabale anglaise applique les mêmes procédés que ceux de la Kabbale primitive : c’est-à-dire la guematria, la témourah ou le notariqon. Ainsi, on appliquera la guematria afin d’associer des mots et des phrases ayant une même valeur numérique. Par exemple, en anglais : « English Qabalah » vaut 696 (30 + 84 + 42 + 72 + 54 + 114 + 48 + 102 + 6 + 12 + 6 + 72 + 6 + 48) qui est la valeur des mots « Thelemites » et « Key of it all » (selon le Liber AL III, 47) ; de même, le mot « Thelema » a une valeur de 384 qui est celle de « Nuit » ; enfin, le mot Babalon, comme nous l’avons dit, a une valeur de 156 en guematria hébraïque, qui est la valeur du mot anglais « God », les thélémites en tirent ainsi la conclusion que Babalon (la Lune) et Dieu (le Soleil) ne font qu’une seule et même personne.
L’Arbre de Vie de la Cabale anglaise.
Comme nous l’avons vu, l’utilisation d’un alphabet composé de 26 lettres induit une reconstruction de l’Arbre de Vie. Cependant, les versions de l’Arbre de la Cabale anglaise diffèrent tout autant que celles de la Kabbale traditionnelle. Nous prendrons un exemple axé sur le travail de David Cherubim.
En nous basant sur le « système Six » décrit ci-dessus, nous activons 4 Sentiers en joignant Kether à Hessed et Guebourah et Yesod à Hessed et Guebourah (comme dans le schéma ci-après). L’un des noms de Guebourah est « Volonté » et l’un de Hessed est « Amour », ainsi, par cette nouvelle construction l’Arbre de Vie affirme la Loi du Nouvel Eon : « L’amour est la Loi, l’amour sous la volonté » (Liber AL, I, 57).
Les 4 nouveaux Sentiers forment un Yoni qui est l’un des symboles de Nuit autour de Tiphereth (le Soleil, symbole de Hadit). Un hexagramme est formé par les 6 premières Sephiroth conjointes ainsi qu’un pentagramme reliant Binah, Hokhmah, Guebourah, Hessed et Tiphereth.
L’avantage de cet Arbre est que l’on peut opérer un système d’attribution personnel – à l’image de ce qu’a fait la G∴D∴ – et construire ainsi son propre système symbolique. L’on peut choisir d’attribuer les lettres à chacun des Sentiers selon ses propres besoins ou ses propres affinités. Ou encore appliquer la méthode traditionnelle consistant à attribuer aux Sentiers les lettres de manière ascendante (en partant de Malkhuth, « a » au premier, « b » au second, etc.).
William Gray dans son Concepts of Qabalah, propose la version suivante :
Conclusions.
« Lorsque mon attention fut attirée par l’existence d’une soi-disant Cabale anglaise, ma première réaction en tant que kabbaliste fut de l’utiliser comme simple suite insignifiante de chiffres et de lettres. » Je convertis toutes les lettres en leurs équivalents numériques dans la Cabale anglaise et ensuite je les ajoutai aux nombres de la série » Stratton-Kent (mars 1988).
Le système de la Cabale anglaise peut se révéler utile dans les recherches magiques, dans la construction d’un système de correspondances personnel et dans son application pratique.
Cependant, nous devons faire une remarque en guise de conclusion. C’est un fait avéré que la presque totalité de l’alphabet anglais – ou des langues occidentales dérivées du latin – n’est qu’une transposition d’autres systèmes alphabétiques. Ainsi, la lettre « A » de l’alphabet anglais (ou français) dérive de l’Alpha (Α α) grec et de l’Aleph hébraïque (א). Si l’on admet que les lettres sont des manifestations de l’Esprit alors, il peut paraître futile de créer de nouveaux codes afin d’élaborer de nouveaux systèmes qui ne seront jamais que des copies de copies d’un original destiné à se perdre dans l’oubli. Comme l’écrit un thélémite contemporain, Frater Achad Osher 583 (à ne pas confondre avec Frater Achad, Charles Stanfeld Jones) : « nous devons comprendre comment l’esprit s’est manifesté pendant des milliers d’années et ensuite, tenter de comprendre l’importance de cette manifestation dans l’alphabet anglais ». Le problème n’est pas tant que des magiciens se forgent un système de correspondance personnel, ainsi que le conseille Crowley dans ses œuvres, que l’utilité de la multiplication de codes alphabétiques (comme celui du « New Aeon English Qabalah ») qui s’éloignent tant du principe de la lettre et de l’Esprit qui l’anime. La réponse à cette question n’est pas simple et réside sans aucun doute dans l’ego du magicien et dans son besoin perpétuel de création. Le seul risque à notre avis serait de fonder et de propager un système qui attribuerait les principes actifs et agents magiques de la lettre « a », disons, à la lettre « b » et de tomber alors dans une erreur sans nom. Dans tous les autres cas, nous ne pouvons que louer ces tentatives visant à constituer une grille de décodage de l’Univers et de ses merveilles et à s’en forger un outil efficace, fut-ce au seul niveau personnel, afin que le mage réalise pleinement son œuvre magique.
La Cabale anglaise de Crowley, source de la Cabale magique moderne, Spartakus FreeMann, nadir de Libertalia, janvier 2010 e.v.
Sources et lectures :
– Liber Trigrammaton, Holy Books, Aleister Crowley.
– « ENGLISH QABALAH – The Key of it All » par David Cherubim, 1996.
– The Voundon Gnostic Workbook, Michael Bertiaux, 1989.
– Liber CXV: English Qabalah: An investigation of the Irish Beth-Luis-Nion Alphabet, its historical/magickal relationship to the English Alphabet and the generation of an English Qabalah. BMA LAF #2, Linda Folario.
– Liber CXV, Part II: Numerical correspondences for the English Qabalah as derived from the text of Liber AL vel Legis. Based on the numeration system described in part 1. BMA LAF #3, Linda Folario.
– « An Open Epistle On an English Qabalah » par Frater Achad Osher 583 dans le Chapitre II, verset 55 des Commentaries on Liber AL vel Legis.
– « The Key to the English Qaballa » dans The New Equinox/ British Journal of Magick, Vol. 5, Smith, Carol.
– « What is a Qabalah ? » dans The Equinox: British Journal of Thelema, Vol. VII, No. 2, pp. 59-61, Stratton-Kent, Jake (May 1988).
– The English Qabalah, Montréal, Vincent, Samuel K. (2008).
Par Spartakus FreeMann
« Vois ! les rituels de l’ancien temps sont noirs. Que les mauvais soient exclus ; que les bons soient purifiés par le prophète ! Alors, cette Connaissance ira bien. » Liber AL, II, 5.
Au début du 20e siècle, est apparue une nouvelle forme de Cabale qui se détache, tout en y puisant, de la Kabbale hébraïque. L’apport d’Aleister Crowley et d’autres magiciens contemporains dans ce domaine ne peut être éludé, car son impact sur le développement de la magie – du Courant de Maat à la Magie du Chaos – est essentiel.
La Cabale anglaise pourrait être définie comme « un ensemble de systèmes visant à interpréter les lettres de l’alphabet usuel en leur attribuant une valeur numérique particulière et un symbole ». Nous allons effectuer un détour par son histoire et brosser un bref tableau des origines de ce système, dans lequel nous ne parlerons cependant pas de la Kabbale hébraïque – à propos de laquelle le lecteur pourra lire les autres articles que nous avons écrit par ailleurs.
La trace la plus ancienne d’utilisation de procédés numériques appliqués aux lettres, remonte à l’isopséphie de l’alphabet Grec qui est un principe selon lequel les nombres sont exprimés par des lettres : ainsi, Αlpha (α) vaut 1, Béta (β) vaut 2, Gamma (γ) vaut 3, etc.
Bien plus tard, nous retrouverons ces procédés utilisés par Michael Stifel, un moine allemand du 16e siècle professeur d’arithmétique à l’université d’Iéna qui rédigera un ouvrage (Ein Rechenbuchlin vom EndChrist. Apocalyps in Apocalypsim – Un Livre d’arithmétique au sujet de l’Antéchrist. Une révélation de la Révélation, 1532) dans lequel il appliquera des procédés basés sur la valeur naturelle des lettres afin de démontrer que le pape Léon X était bel et bien la Bête 666 annoncée par l’Apocalypse de Jean ; et d’annoncer la fin du monde pour le 3 octobre 1533.
On retrouve, vers 1707, la trace de systèmes analogues dans l’Alphabetum Cabbalisticum Vulgare d’Hunold où les lettres de l’alphabet latin se voient attribuer une valeur numérique de 1 à 12 pour les lettres « a » à « m », la lettre « n » ayant pour valeur 40, les lettres subséquentes ayant alors une valeur incrémentée de 10.
Aleister Crowley.
C’est dans le Liber Trigrammaton sub figura XXVII, étant le Livre des Mutations du Tao avec le Yin et le Yang (1907, voir en annexe), que Crowley sortira des sentiers battus en attribuant à chaque trigramme du Tao Te King une lettre de l’alphabet anglais. Cette tentative faisait suite à l’une des injonctions du Livre de Loi qu’il avait reçu au Caire en 1904.
Dans le Liber AL, II, 55 il est écrit : « Tu obtiendras l’ordre & la valeur des lettres de l’alphabet anglais ; tu découvriras de nouveaux symboles à leur attribuer ». L’alphabet anglais – comme la majorité des alphabets occidentaux – possède 26 lettres là où l’alphabet hébraïque utilisé dans la Kabbale traditionnelle n’en comporte que 22 (si l’on omet les 5 finales). Ces 22 lettres se voient attribuer une place particulière sur les 22 Sentiers de l’Arbre de Vie reliant les 10 Sephiroth ; on les associe également aux 22 Arcanes du Tarot. Le Livre de la Loi propose non seulement un nouveau système d’attribution, mais également un dévoilement des Quatre Sentiers Secrets de l’Arbre de Vie – puisque l’alphabet commun comporte 26 lettres, il est en effet logique que le nombre de Sentiers correspondant sur l’Arbre passe de 22 à 26.
L’alphabet anglais devient ainsi la nouvelle langue sacrée de la magie dans le cadre du Nouvel Eon d’Horus tel qu’annoncé par le Liber AL.
Cependant, en 1920, Crowley rédigea un nouveau commentaire de ce verset dans lequel il écrit : « les attributs du Liber Trigrammaton sont valides en théorie, mais aucune Qabale de valeur n’a pu en sortir. Je pense à chercher plus avant dans les racines sanskrites ainsi que dans les comptes-rendus énochiens afin de mettre tout cela en ordre ». Cette bonne résolution restera cependant lettre morte, ou du moins rien ne nous est parvenu d’un tel travail.
Vers 1943, Aleister Crowley commence un échange épistolaire avec une de ses étudiantes, lettres qui seront rassemblées en un unique volume publié sous le titre Magick Without Tears (La Magick sans peine). Dans l’une de ces lettres, nous lisons : « Le Livre de la Loi insiste sur le fait qu’il contient une cabale qui était hors de ma portée à l’époque où il me fut dicté, qui l’est toujours aujourd’hui et qui le sera toujours pour moi en cette incarnation ».
À la mort de Crowley, il était évident qu’un système de Cabale anglaise était encore à découvrir et à développer. Ce que firent les adeptes de Maître Thérion qui tentèrent au fil du temps de construire un système de Cabale anglaise cohérent et fonctionnel permettant de réaliser le commandement du Liber AL et donc d’en obtenir la clé de décryptage.
Différents systèmes furent proposés, certains se basant sur ce passage du Liber AL : « 4 6 3 8 A B K 2 4 A L G M O R 3 Y X 24 89 R P S T O V A L » (Livre de la Loi, II,76) ; d’autres, comme celui de Samuel K. Vincent dans son The English Qabalah, basés sur une correspondance entre l’alphabet latin et la signification mystique des lettres.
Vincent utilise la clé qu’il aurait découverte en l’appliquant à la formule et au texte du Liber AL. Par exemple :
« Le titre technique du Livre est Liber AL vel Legis sub figura CCXX. Il contient 220 versets qui sont, en réalité, à l’origine de son nom “CCXX” en chiffres romains. Nous sommes à présent capables de vérifier que “La Loi” est la clé de “220” grâce à la clé anglaise que les auteurs ne connaissaient pas à ce moment-là. Cabalistiquement donc, “Le Livre de la Loi” peut être translitéré comme « Le Livre de 220” ce qui coïncide avec son nom technique “Liber CCXX” ce que nous confirmons au travers de la guematria : “The Law” = (98 +7 +1) + (50 +4 +60) = 220 » (Vincent, 2008).
Notons enfin qu’avec ce système, nous découvrons que :
K A O S = 156 = B A B A L O N
30 + 4 + 80 + 42 = 156 = 6 + 4 + 6 + 4 + 50 + 80 + 6
En 1987, Joel Biroco, éditeur du magazine KAOS, se basant sur la Cabale anglaise, modifiera le nom de sa revue de « Chaos » en « Kaos » respectant en cela les paroles de Crowley dans la Vision et la Voix où il écrit : « Chaos, qui est le quadruple mot qui est égal à son septuple mot »
Jim Lee, quant à lui, propose un système, appelé « ALW », d’attribution de l’ordre et de la valeur des lettres en superposant une grille sur une page du manuscrit du Liber AL où cette phrase apparaît (feuillet 16 du chapitre III). Sur cette même page apparaissent une ligne diagonale et une croix dans un cercle. Ayant tenté, sans espoir, de décrypter cette clé de… décryptage, je ne puis trop conseiller au lecteur de se retourner vers Lee et ses livres afin d’éclairer sa propre lanterne (notons que la découverte de ce système est également revendiquée par Carol Smith). Néanmoins, après de longues manipulations du Liber AL, il en arrive à ce code qui parle de lui-même :
A=1 L=2 W=3 H=4 S=5 D=6 O=7 Z=8 K=9 V=10 G=11 R=12 C=13 N=14
Y=15 J=16 U=17 F=18 Q=19 B=20 M=21 X=22 I=23 T=24 E=25 P=26
Plus récemment, Michael Bertiaux, dans son The Voundon Gnostic Workbook (1989), au chapitre intitulé « Angelic Gematria », développe à son tour son propre système dans lequel A=5, F=10, K=15, P=20, U=25 et Z=30 afin d’obtenir pour chaque lettre « sa vibration magique ou longueur d’onde magique ».
Dans son Becoming Magick, David Rankine propose quant à lui un système d’attribution basé sur les nombres premiers qu’il appelle « Prime Qabalah ».
Enfin, nous ne serions complets sans mentionner Kenneth Grant qui, dans le mouvement thélémite, a sans doute été celui qui est allé plus loin en s’essayant à une forme de simplicité rafraîchissante quoique primesautière ; par exemple dans son identification de « Death », mort en anglais, à « Daath » (connaissance en hébreu) ; sa lecture de « Thelema » comme étant « The Lama » (le Lama), etc. Grant s’amuse dans des sauts de guematria parfois déroutants pour les adeptes de la Kabbale traditionnelle. Les rapprochements, parfois plus qu’audacieux, qu’il opère s’inscrivent cependant dans un mouvement qui tend à réconcilier tradition et « bond en avant » magique ; cependant, comme avec Mao, les pertes subies en route risquent d’être grandes.
Nema, dans son Maat Magick, nous dit préférer translitérer phonétiquement les mots anglais en hébreu (influence de Grant ?) et ensuite d’en vérifier la valeur numérique dans le Sepher Sephiroth de Crowley.
Le système en base 6.
L’ordre et la valeur des lettres de l’alphabet anglais se rapportent donc aux Sentiers du nouvel Arbre de Vie auxquels on attribue ces mêmes lettres (supprime « auxquels on attribue ces mêmes lettres »). Dans le système thélémite de David Cherubim, la valeur de chaque lettre est une multiplication de Six, nombre sacré de la Bête (le Soleil). Le nouvel Arbre de Vie comporte ainsi 36 Sentiers, 36 étant également le nombre sacré du Soleil (voir le carré magique du Soleil chez Agrippa dont la somme est 666). Si l’on multiplie 26 (le nombre de lettres) par 6 (le nombre sacré) nous obtenons 156 qui est le nombre sacré de Babalon (la Lune), en hébreu Babalon (באבאלען) vaut 156. Les thélémites peuvent ainsi dire que l’alphabet anglais est l’Alphabet Magique du Soleil et de la Lune, raison pour laquelle il débute par le nombre de la Bête et se termine par le nombre de Babalon.
La Cabale anglaise applique les mêmes procédés que ceux de la Kabbale primitive : c’est-à-dire la guematria, la témourah ou le notariqon. Ainsi, on appliquera la guematria afin d’associer des mots et des phrases ayant une même valeur numérique. Par exemple, en anglais : « English Qabalah » vaut 696 (30 + 84 + 42 + 72 + 54 + 114 + 48 + 102 + 6 + 12 + 6 + 72 + 6 + 48) qui est la valeur des mots « Thelemites » et « Key of it all » (selon le Liber AL III, 47) ; de même, le mot « Thelema » a une valeur de 384 qui est celle de « Nuit » ; enfin, le mot Babalon, comme nous l’avons dit, a une valeur de 156 en guematria hébraïque, qui est la valeur du mot anglais « God », les thélémites en tirent ainsi la conclusion que Babalon (la Lune) et Dieu (le Soleil) ne font qu’une seule et même personne.
L’Arbre de Vie de la Cabale anglaise.
Comme nous l’avons vu, l’utilisation d’un alphabet composé de 26 lettres induit une reconstruction de l’Arbre de Vie. Cependant, les versions de l’Arbre de la Cabale anglaise diffèrent tout autant que celles de la Kabbale traditionnelle. Nous prendrons un exemple axé sur le travail de David Cherubim.
En nous basant sur le « système Six » décrit ci-dessus, nous activons 4 Sentiers en joignant Kether à Hessed et Guebourah et Yesod à Hessed et Guebourah (comme dans le schéma ci-après). L’un des noms de Guebourah est « Volonté » et l’un de Hessed est « Amour », ainsi, par cette nouvelle construction l’Arbre de Vie affirme la Loi du Nouvel Eon : « L’amour est la Loi, l’amour sous la volonté » (Liber AL, I, 57).
Les 4 nouveaux Sentiers forment un Yoni qui est l’un des symboles de Nuit autour de Tiphereth (le Soleil, symbole de Hadit). Un hexagramme est formé par les 6 premières Sephiroth conjointes ainsi qu’un pentagramme reliant Binah, Hokhmah, Guebourah, Hessed et Tiphereth.
L’avantage de cet Arbre est que l’on peut opérer un système d’attribution personnel – à l’image de ce qu’a fait la G∴D∴ – et construire ainsi son propre système symbolique. L’on peut choisir d’attribuer les lettres à chacun des Sentiers selon ses propres besoins ou ses propres affinités. Ou encore appliquer la méthode traditionnelle consistant à attribuer aux Sentiers les lettres de manière ascendante (en partant de Malkhuth, « a » au premier, « b » au second, etc.).
William Gray dans son Concepts of Qabalah, propose la version suivante :
Conclusions.
« Lorsque mon attention fut attirée par l’existence d’une soi-disant Cabale anglaise, ma première réaction en tant que kabbaliste fut de l’utiliser comme simple suite insignifiante de chiffres et de lettres. » Je convertis toutes les lettres en leurs équivalents numériques dans la Cabale anglaise et ensuite je les ajoutai aux nombres de la série » Stratton-Kent (mars 1988).
Le système de la Cabale anglaise peut se révéler utile dans les recherches magiques, dans la construction d’un système de correspondances personnel et dans son application pratique.
Cependant, nous devons faire une remarque en guise de conclusion. C’est un fait avéré que la presque totalité de l’alphabet anglais – ou des langues occidentales dérivées du latin – n’est qu’une transposition d’autres systèmes alphabétiques. Ainsi, la lettre « A » de l’alphabet anglais (ou français) dérive de l’Alpha (Α α) grec et de l’Aleph hébraïque (א). Si l’on admet que les lettres sont des manifestations de l’Esprit alors, il peut paraître futile de créer de nouveaux codes afin d’élaborer de nouveaux systèmes qui ne seront jamais que des copies de copies d’un original destiné à se perdre dans l’oubli. Comme l’écrit un thélémite contemporain, Frater Achad Osher 583 (à ne pas confondre avec Frater Achad, Charles Stanfeld Jones) : « nous devons comprendre comment l’esprit s’est manifesté pendant des milliers d’années et ensuite, tenter de comprendre l’importance de cette manifestation dans l’alphabet anglais ». Le problème n’est pas tant que des magiciens se forgent un système de correspondance personnel, ainsi que le conseille Crowley dans ses œuvres, que l’utilité de la multiplication de codes alphabétiques (comme celui du « New Aeon English Qabalah ») qui s’éloignent tant du principe de la lettre et de l’Esprit qui l’anime. La réponse à cette question n’est pas simple et réside sans aucun doute dans l’ego du magicien et dans son besoin perpétuel de création. Le seul risque à notre avis serait de fonder et de propager un système qui attribuerait les principes actifs et agents magiques de la lettre « a », disons, à la lettre « b » et de tomber alors dans une erreur sans nom. Dans tous les autres cas, nous ne pouvons que louer ces tentatives visant à constituer une grille de décodage de l’Univers et de ses merveilles et à s’en forger un outil efficace, fut-ce au seul niveau personnel, afin que le mage réalise pleinement son œuvre magique.
Sources et lectures :
– Liber Trigrammaton, Holy Books, Aleister Crowley.
– « ENGLISH QABALAH – The Key of it All » par David Cherubim, 1996.
– The Voundon Gnostic Workbook, Michael Bertiaux, 1989.
– Liber CXV: English Qabalah: An investigation of the Irish Beth-Luis-Nion Alphabet, its historical/magickal relationship to the English Alphabet and the generation of an English Qabalah. BMA LAF #2, Linda Folario.
– Liber CXV, Part II: Numerical correspondences for the English Qabalah as derived from the text of Liber AL vel Legis. Based on the numeration system described in part 1. BMA LAF #3, Linda Folario.
– « An Open Epistle On an English Qabalah » par Frater Achad Osher 583 dans le Chapitre II, verset 55 des Commentaries on Liber AL vel Legis.
– « The Key to the English Qaballa » dans The New Equinox / British Journal of Magick, Vol. 5, Smith, Carol.
– « What is a Qabalah ? » dans The Equinox: British Journal of Thelema, Vol. VII, No. 2, pp. 59-61, Stratton-Kent, Jake (May 1988).
– The English Qabalah, Montréal, Vincent, Samuel K. (2008).