Par Melmothia
Il est vrai qu’à force de jongler avec les planètes, le pape Urbain VIII devait bien s’attendre un jour à se prendre un coin de ciel en travers de la figure. Lui qui trouvait tellement amusant de prédire la date de leurs décès à ses cardinaux (eh, devine qui on enterre la semaine prochaine ?) s’amuse moins de la disposition des cieux depuis que le croque-mort a réglé sa montre sur l’éclipse qui s’annonce.
S’il n’y passe pas en janvier, ce sera sûrement en décembre, disent les astrologues… ah, c’est vraiment moche pour ce pauvre Urbain !
Voilà le pape dans tous ses états. Car Urbain VIII croit résolument à l’astrologie, malgré les diverses bulles papales (dont les siennes) qui la condamnent. Prenant très au sérieux ces prédictions de morts, d’ailleurs savamment entretenues par ceux qui voudraient le pousser hors du fauteuil papal, il s’en inquiète auprès de son astrologue personnel : Tomaso Campanella. On va arranger ça, promet Campanella qui vient tout juste de sortir d’un séjour de trente ans en prison et n’a aucune envie d’y retourner. Et de faire construire un faux ciel, plus clément, au plafond. Des lanternes viendront y jouer le rôle d’étoiles.
Le simulacre est mis en oeuvre en janvier 1628 pour contrer l’éclipse de Lune puis de nouveau quelques mois plus tard, pour contrer l’éclipse de Soleil de décembre. Satisfait de l’expérience, Campanella rédige l’année suivante, c’est-à-dire en 1629, un traité à l’attention du pape qui en détaille les procédés : De fato siderali vitando. Le texte originellement destiné à rester secret se retrouvera à son corps défendant inséré dans son Astrologica en guise de livre VII. La maladresse lui vaut d’entrer de nouveau en disgrâce, mais cette fois, il s’en tire sans retourner au cachot. D’autant qu’une éclipse solaire s’annonce en juin 1630. Le pape a de nouveau besoin de son faux plafond.
Concernant le céleste tour de passe-passe, voici comment D.P. Walker en décrit le déroulement :
« Ils commencèrent par fermer hermétiquement la pièce contre l’air extérieur, par l’asperger de vinaigre de rose et autres substances aromatiques, et brûlèrent du laurier, de la myrrhe, du romarin et du cyprès. Ils tendirent la pièce de soie et l’ornèrent de branchages. Puis ils allumèrent deux chandelles et cinq torches pour représenter les sept planètes ; puisque le ciel était défaillant, à cause de l’éclipse, celles-ci devaient fournir un substitut sans faille, telle la lampe allumée au coucher du soleil. Peut-être les signes du zodiaque étaient-ils représentés de la même façon, car il s’agit là d’une procédure philosophique et non pas superstitieuse, comme le pensent les gens ordinaires. L’horoscope des autres personnes présentes indiquait qu’elles étaient à l’abri de l’éclipse diabolique. Il y avait de la musique jovienne et vénérienne, destinée à dissiper la qualité pernicieuse de l’air contaminé par l’éclipse, et, en symbolisant les planètes favorables, à chasser l’influence des planètes maléfiques. Pour la même raison, ils utilisaient des pierres, des plantes, des couleurs et des odeurs appartenant aux planètes favorables (c’est-à-dire Jupiter et Vénus). Ils buvaient des alcools distillés astrologiquement ». D. P. Walker, La magie spirituelle et angélique de Ficin à Campanella, Paris, Albin Michel, 1988.
S’il est probable que l’idée de tromper les influences du ciel par un artifice architectural soit née dans l’esprit de Campanella à cette occasion (il n’en est nulle part question dans ses oeuvres antérieures), le mage dût la trouver bonne, car il l’essaya pour son bénéfice personnel en juin 1639 ; il s’agissait une fois de plus de contrer les influences néfastes d’une éclipse de Soleil. Mais sans doute que les luminaires devaient être mal accroché au plafond et qu’un rayon néfaste se glissa dans l’interstice, car Tomaso Campanella décéda onze mois plus tard.
Leurre fatidique, Melmothia, 2010.
Par Melmothia
Il est vrai qu’à force de jongler avec les planètes, le pape Urbain VIII devait bien s’attendre un jour à se prendre un coin de ciel en travers de la figure. Lui qui trouvait tellement amusant de prédire la date de leurs décès à ses cardinaux (eh, devine qui on enterre la semaine prochaine ?) s’amuse moins de la disposition des cieux depuis que le croque-mort a réglé sa montre sur l’éclipse qui s’annonce.
S’il n’y passe pas en janvier, ce sera sûrement en décembre, disent les astrologues… ah, c’est vraiment moche pour ce pauvre Urbain !
Voilà le pape dans tous ses états. Car Urbain VIII croit résolument à l’astrologie, malgré les diverses bulles papales (dont les siennes) qui la condamnent. Prenant très au sérieux ces prédictions de morts, d’ailleurs savamment entretenues par ceux qui voudraient le pousser hors du fauteuil papal, il s’en inquiète auprès de son astrologue personnel : Tomaso Campanella. On va arranger ça, promet Campanella qui vient tout juste de sortir d’un séjour de trente ans en prison et n’a aucune envie d’y retourner. Et de faire construire un faux ciel, plus clément, au plafond. Des lanternes viendront y jouer le rôle d’étoiles.
Le simulacre est mis en oeuvre en janvier 1628 pour contrer l’éclipse de Lune puis de nouveau quelques mois plus tard, pour contrer l’éclipse de Soleil de décembre. Satisfait de l’expérience, Campanella rédige l’année suivante, c’est-à-dire en 1629, un traité à l’attention du pape qui en détaille les procédés : De fato siderali vitando. Le texte originellement destiné à rester secret se retrouvera à son corps défendant inséré dans son Astrologica en guise de livre VII. La maladresse lui vaut d’entrer de nouveau en disgrâce, mais cette fois, il s’en tire sans retourner au cachot. D’autant qu’une éclipse solaire s’annonce en juin 1630. Le pape a de nouveau besoin de son faux plafond.
Concernant le céleste tour de passe-passe, voici comment D.P. Walker en décrit le déroulement :
« Ils commencèrent par fermer hermétiquement la pièce contre l’air extérieur, par l’asperger de vinaigre de rose et autres substances aromatiques, et brûlèrent du laurier, de la myrrhe, du romarin et du cyprès. Ils tendirent la pièce de soie et l’ornèrent de branchages. Puis ils allumèrent deux chandelles et cinq torches pour représenter les sept planètes ; puisque le ciel était défaillant, à cause de l’éclipse, celles-ci devaient fournir un substitut sans faille, telle la lampe allumée au coucher du soleil. Peut-être les signes du zodiaque étaient-ils représentés de la même façon, car il s’agit là d’une procédure philosophique et non pas superstitieuse, comme le pensent les gens ordinaires. L’horoscope des autres personnes présentes indiquait qu’elles étaient à l’abri de l’éclipse diabolique. Il y avait de la musique jovienne et vénérienne, destinée à dissiper la qualité pernicieuse de l’air contaminé par l’éclipse, et, en symbolisant les planètes favorables, à chasser l’influence des planètes maléfiques. Pour la même raison, ils utilisaient des pierres, des plantes, des couleurs et des odeurs appartenant aux planètes favorables (c’est-à-dire Jupiter et Vénus). Ils buvaient des alcools distillés astrologiquement ». D. P. Walker, La magie spirituelle et angélique de Ficin à Campanella, Paris, Albin Michel, 1988.
S’il est probable que l’idée de tromper les influences du ciel par un artifice architectural soit née dans l’esprit de Campanella à cette occasion (il n’en est nulle part question dans ses oeuvres antérieures), le mage dût la trouver bonne, car il l’essaya pour son bénéfice personnel en juin 1639 ; il s’agissait une fois de plus de contrer les influences néfastes d’une éclipse de Soleil. Mais sans doute que les luminaires devaient être mal accroché au plafond et qu’un rayon néfaste se glissa dans l’interstice, car Tomaso Campanella décéda onze mois plus tard.