Le texte ci-dessous, oeuvre d’un certain J.-B. Péres, bibliothécaire de la ville d’Agen, s’intitule : Comme quoi Napoléon n’a jamais existé ou grand erratum source d’un nombre infini d’errata à noter dans l’histoire du XIXe siècle.
Publiée en 1827 à Paris, cette brochure avait pour but de démontrer qu’avec un peu d’imagination, il est toujours possible de découvrir des coïncidences permettant de valider n’importe quelle thèse, aussi absurde soit-elle. Précisément, elle se voulait réfutation sur le ton de la plaisanterie du système de Charles-François Dupuis qui, dans un célèbre ouvrage paru en 1794, l’Origine de tous les Cultes, ou la Religion universelle, prétendait expliquer l’entièreté de la religion et des croyances par l’observation du ciel. Ce scientifique passionné d’astronomie voyait en effet dans l’histoire des dieux de la mythologie une expression allégorique du cours des astres et des constellations ; il appliqua notamment sa théorie à l’histoire de Jésus Christ : pour lui, le Christ n’était que le soleil, et les douze apôtres les douze signes du zodiaque. Bien qu’aberrante, sa thèse connut à l’époque un certain succès.
Pourquoi cette historiette, cette fiction mythologique sur un site ésotérique ? Il se trouve que chez nos contemporains – magiciens opératifs ou symbolistes spéculatifs – nombreux sont ceux qui plébiscitent, sans y user leur sens critique, des théories étayées sur de grands riens mais qui finissent par faire autorité à force d’être rabâchées. Plus prosaïquement, nous devons avouer que avons pris un grand plaisir à relire cet opuscule, plaisir accru dans le partage…
Napoléon n’a jamais existé, Spartakus FreeMann & Melmothia
OBSERVATION DE L’EDITEUR (1861)
Dans ce singulier écrit, n’aurait-on voulu que s’égayer en donnant une apparence fabuleuse à des faits si notoires, si célèbres et si récents ?
On a d’abord pu le croire, mais on est aujourd’hui pleinement détrompé. On sait que, par tous les étranges paradoxes énoncés dans l’opuscule, l’auteur a voulu faire la critique de l’ouvrage éminemment paradoxal qui a pour titre Origine de tous les cultes. On le sait, et d’ailleurs on le voit dans les moyens qu’il néglige, comme dans ceux qu’il emploie. Il nous dit qu’il a eu ses motifs pour ne point faire usage des ordonnances royales qui pouvaient appuyer sa thèse. Mais quels motifs peut-il avoir eus pour négliger les ordonnances de Louis XVIII qui, dès son entrée en France, en 1814, les datait de la dix-neuvième année de son règne, ce qui faisait entièrement disparaître le règne de Napoléon ? Pourquoi laisser à l’écart des arguments aussi péremptoires ? C’est qu’il n’y en a pas de ce genre dans l’Origine des Cultes, et que, pour rendre la parodie plus directe et plus flagrante, il n’a voulu employer que des moyens dans le genre de ceux que présente cette ténébreuse production : il n’a voulu se servir que de rapprochements astronomiques et mythologiques qui sont les moyens de prédilection de M. Dupuis, moyens par lesquels ce malheureux auteur cherche à rendre douteux tout ce que nous avons de plus authentique et de plus respectable.
Il est donc évident que le but de l’opuscule est de déverser un juste ridicule sur la prétendue Origine des Cultes, ce qui est la meilleure des réfutations ; et cette réfutation est d’autant plus forte que, dans tout le grand ouvrage de M. Dupuis, on ne saurait rien trouver d’aussi pressant en fait d’illusion ; illusion néanmoins qui ne peut avoir lieu maintenant, mais par la seule raison que les événements dont il s’agit sont trop près de nous. Car si cet écrit avait paru quelques centaines d’années plus tard, il n’aurait pas manqué de produire, dans l’esprit de ses lecteurs, les doutes les plus graves sur la véracité de l’histoire du XIXe siècle, relative à Napoléon ; tellement qu’aujourd’hui même on ne peut guère s’en défendre qu’en se souvenant qu’on l’a vu.
COMME QUOI NAPOLÉON N’A JAMAIS EXISTÉ.
On suppose que l’expérience est faite vers l’an 2150, dans quelque université d’Allemagne. C’est là que nous prions nos lecteurs de se transporter en esprit pour écouter le discours qu’un profond philosophe y débite à ses nombreux élèves.
« Messieurs, leur dit-il, assez et trop longtemps les peuples, abusés par des traditions sans bases, ont laissé la fable usurper les droits de l’histoire et se placer à côté d’elle dans les esprits. Il appartenait à la critique de notre siècle de séparer l’une de l’autre et d’indiquer clairement aux hommes à idées larges quels faits doivent être acceptés par eux, quels autres doivent être rejetés.
Déjà, dans des temps éloignés de nous, on avait prouvé que le prétendu poète de la guerre de Troie, le fameux Homère, n’a jamais existé ; plus tard, il y a bientôt quatre cents ans (c’était en 1794), un philosophe que la France ne sut pas apprécier, Dupuis, avait démontré que Jésus de Nazareth, auteur de la secte chrétienne dont la fraction la plus pure et la plus nombreuse, celle des chrétiens-catholiques, se meurt depuis plus de six cents ans déjà et ne peut désormais vivre longtemps, que Jésus, dis-je, n’était qu’une allégorie du soleil ; d’autres personnages, dont la réalité avait été admise de toutes parts sans plus d’examen, s’évanouissent de même sous l’observation approfondie d’historiens philosophes, et il semblait que l’humanité était à jamais prémunie contre de pareilles erreurs.
Eh bien, admirez l’incroyable crédulité des masses : il y a trois siècles et demi, une fable toute semblable s’est trouvée tellement accréditée que, jusqu’aux plus grands génies, tous l’acceptèrent ou du moins feignirent habilement de l’accepter comme une incontestable réalité.
Je veux parler de la prétendue existence de NAPOLÉON BONAPARTE, dont la croyance devint tellement générale, tellement enracinée dans les esprits que, pendant deux siècles, celui-là eût passé pour fou qui aurait tenté d’en démontrer l’absurdité, surtout en France, où l’orgueil national attachait naturellement une haute importance aux glorieux exploits que la renommée prêtait à ce héros.
Il est cependant de la dernière évidence, Messieurs, que l’histoire de Napoléon n’est, comme celle de Jésus, comme celle de Bacchus et d’Adonis, qu’une fable imaginée du soleil ; et il faudrait ne pas posséder les premières notions de la mythologie pour refuser de le reconnaître.
Prouvons-le, en passant rapidement en revue les principales circonstances qu’on a prêtées à la vie de ce fabuleux héros.
D’après les divers historiens :
Il s’appelait Napoléon Bonaparte ;
Il était né dans la Corse, île de la Méditerranée ;
Sa mère s’appelait Laetitia ;
Il avait trois sœurs ;
Il avait quatre frères, dont trois furent rois ;
Il eut deux épouses, dont l’une lui donna un enfant mâle ;
Il apaisa, en France, une révolution qui jetait partout la terreur ;
Il commandait à seize maréchaux d’empire, dont douze en activité de service ;
Il triompha dans le Midi et succomba dans le Nord ;
Enfin, après un règne de douze années, qu’il avait commencé en arrivant de l’Orient, il alla mourir dans les mers occidentales.
Voyons si chacune de ces dix circonstances n’est pas évidemment empruntée du soleil.
Tout le monde sait que le soleil est appelé par les poètes Apollon, nom qui signifie exterminateur. Il fut donné au soleil par les Grecs qui, devant Troie, perdirent beaucoup de soldats par suite de chaleurs excessives, lors de l’outrage fait par Agamemnon à Chrysès, prêtre du soleil.
Or, Apollon est le même mot qu’Apoléon. Tous deux dérivent d’Apolluo ou Âpoleo, verbes grecs qui signifient tuer, exterminer, de sorte que déjà l’initiale est la seule différence entre Apollon et Napoléon. Mais cette différence, loin de détruire l’étymologie, la confirme au contraire.
En effet, le vrai nom de notre héros prétendu était, non pas Napoléon, mais bien Néapoléon, comme on le voit encore aujourd’hui sur divers monuments de la capitale de la France. C’est donc la syllabe Né qui se trouve ici en plus. Or, né ou nai signifie en grec “certes”, vraiment, assurément ; de telle sorte que Né apoléon ou Napoléon signifie le Dieu vraiment exterminateur, le véritable Apollon.
Le second nom, Bonaparte, s’explique aussi clairement que le premier.
Bona parte signifie en latin, ‘du bon côté, en bonne part’ ; il s’agit donc là d’une chose qui a deux côtés, l’un bon, l’autre mauvais. C’est certainement le double effet de la révolution par laquelle le soleil produit le jour et la nuit : c’est une allégorie des Perses, C’est l’empire d’Oromaze et celui d’Arimane, l’empire des anges de lumière et des esprits de ténèbres ; et comme on dévouait autrefois à ceux-ci par cette formule : abi mala parte, nul doute que par Néapoléon Bonaparte on n’ait voulu signifier le véritable Apollon envoyé à la France en bonne part, pour son bonheur, pour exterminer les ennemis.
En vous rappelant, Messieurs, que les poètes grecs avaient fait naître Apollon à Délos, île de la Méditerranée très rapprochée de la Grèce, où étaient les principaux temples de ce Dieu, vous concevrez sans peine que les auteurs de la fabuleuse légende aient placé la naissance de leur héros dans la Méditerranée également, mais dans l’île de Corse, qui se trouve sur les côtes du royaume de France où ils voulaient le faire régner.
D’après la même légende, la mère de Napoléon s’appelait Laetitia, mot qui, signifiant la joie, désigne ici l’aurore qui répand la joie dans la nature, parce qu’elle enfante au monde le soleil, en lui ouvrant les portes de l’Orient.
Chez les Grecs, la mère d’Apollon s’appelait Laeto, et, tandis que de ce nom les Romains firent Latone, les poètes français aimèrent mieux en faire Laetitia, parce que ce mot est le substantif du verbe inusité laeto, qui veut dire avoir de la joie.
Pour ce qui est des trois sœurs du prétendu fils de Laetitia, je n’ai pas besoin de vous dire, Messieurs, que ce sont les trois Grâces, sœurs d’Apollon.
Les quatre frères qu’on a donnés à l’Apollon français sont certainement les quatre saisons de l’année.
Et ne vous étonnez pas, Messieurs, de voir les saisons représentées par des hommes. En latin, vous le savez, les noms des quatre saisons sont masculins : en français, trois l’ont toujours été, et à l’époque à laquelle remonte l’invention de notre fable, c’était un point très controversé entre les grammairiens de France, que de savoir si le dernier, l’Automne, était masculin ou féminin. Pas de difficulté là-dessus, par conséquent.
Les trois de ses frères qui furent rois sont : le Printemps, qui règne sur les fleurs ; l’Eté qui règne sur les moissons ; et l’Automne, qui règne sur les fruits. On a dit qu’ils tenaient leur royauté de leur frère Napoléon, parce que c’est de l’influence du soleil que ces trois saisons tiennent tout. L’hiver ne régnant sur rien, on a dit que le quatrième frère n’avait pas été roi.
Si pourtant on prétendait que l’hiver n’est pas absolument sans empire et qu’on lui attribue la principauté des neiges et des frimas dont il blanchit nos campagnes, ceci viendrait encore à l’appui de la vérité que nous développons. C’est là, selon toute apparence, ce que les poètes français ont indiqué vu la vaine principauté dont ils nous montrent revêtu le quatrième frère de Napoléon. Celle principauté, ils l’ont attachée de préférence au village de Canino, parce que ce mot vient de Cani, qui signifie les cheveux blancs de la froide vieillesse ; ce qui rappelle l’hiver.
Et notez que ce frère n’aurait eu cette principauté de Canino qu’après la décadence de Napoléon et de ses trois autres frères ; parce qu’effectivement l’hiver commence quand il ne reste plus rien des trois belles saisons, et que le soleil est très éloigné de nos contrées.
Vous voyez également, dans cet éloignement du soleil et des belles saisons, le sujet de la fabuleuse invasion des peuples du Nord, qui, en renversant Napoléon, auraient fait disparaître en France un drapeau de diverses couleurs dont elle était embellie, pour y substituer un drapeau entièrement blanc. C’est là l’emblème ingénieux des frimas que les vents d’hiver, appelés par les poètes Enfant du Nord, apportent à la place des belles couleurs que maintenait le soleil.
Napoléon, dit-on, eut deux femmes, dont une lui donna un enfant mâle.
Or, vous savez que le soleil, d’après la mythologie, avait eu deux femmes : la Lune, dont il n’eût point de postérité, et la Terre dont il eut un fils unique, le petit Horus. C’est une allégorie égyptienne dans laquelle le jeune Horus, fils d’Osiris et d’Isis, représente les fruits de l’agriculture que donne la terre fécondée par le soleil. Aussi a-t-on placé la naissance du fils de l’Apollon français au 20 mars, à l’équinoxe du printemps, époque à laquelle les productions de l’agriculture prennent leur grand développement.
L’hydre révolutionnaire, qui jetait partout la terreur et que vainquit Napoléon, est certainement ce serpent Python qui ravageait la Grèce, et dont Apollon la délivra. Ce fut là son premier exploit, d’après la mythologie ; aussi nous dit-on que c’est en étouffant l’hydre révolutionnaire que Napoléon commença son règne. Que si l’on a figuré le serpent Python par une révolution, c’est que les mots revolutia, revolutus caractérisent bien le serpent, qui, soit dans ses mouvements, soit dans son repos, se présente toujours sous forme d’anneaux et roulé sur lui-même.
Notre fabuleux héros avait, dit-on, douze maréchaux en activité de service et quatre en non-activité. Évidemment, les douze premiers sont les douze signes du zodiaque marchant sous les ordres du soleil, et commandant chacun une division de l’innombrable armée des étoiles. Les quatre autres sont les quatre points cardinaux, qui, immobiles au milieu du mouvement général, représentent très bien la non-activité.
La force du soleil dans le midi, sa marche vers les régions septentrionales, après l’équinoxe du printemps, le retour qu’à la rencontre du tropique boréal il opère sur ses pas vers le midi, en suivant le signe du Cancer ou écrevisse (ainsi nommé pour exprimer cette marche rétrograde du soleil), tout cela, vous le voyez clairement, Messieurs, a fait imaginer les triomphes de Napoléon dans les contrées méridionales, son expédition dans le Nord, vers Moscou et la retraite désastreuse dont celle expédition aurait été suivie.
Enfin, Messieurs, tout le monde saisit dès le premier coup d’œil pourquoi l’on a dit que Napoléon était venu par mer de l’Orient (de l’Égypte) pour régner sur la France, et qu’il avait été disparaître dans les mers occidentales, après un règne de douze ans. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir là le lever du soleil à l’Orient et son coucher à l’Occident, après sa course de douze heures sur l’horizon. Il n’a régné qu’un jour, a dit le poète Casimir Delavigne, qui, bien qu’il n’ait pas osé le proclamer, parce qu’il vivait à une époque où cette erreur était trop répandue, n’a certainement vu qu’une fiction du soleil dans ce prétendu héros. Il n’a régné qu’un jour : quoi de plus précis ?
Nous aurions pu, Messieurs, vous présenter, à l’appui de la vérité que nous venons d’établir, bien d’autres considérations, bien d’autres faits. Nous aurions pu surtout invoquer des actes du roi Louis XVIII, dont les dates sont inconciliables avec le règne du prétendu empereur. Mais nous tenions à prendre la question au cœur, à combattre la fable par la fable même, en mettant au grand jour les sources où l’on a été puiser tous les faits racontés de ce héros imaginaire.
Nous l’avons fait, vous le voyez, Messieurs, avec un plein succès. Napoléon n’est qu’une allégorie du soleil. C’est démontré par ses deux noms, par ses trois sœurs, ses quatre frères, ses deux femmes, son fils, ses maréchaux, ses exploits ; c’est démontré par le lieu de sa naissance, par la région d’où il partit pour régner en France, par les contrées où il triompha et celles où il succomba, par la durée de son règne, par la région où il disparut. Refuser de le reconnaître, c’est vraiment nier l’évidence.
Que quelques intelligences crédules continuent de regarder l’existence de Napoléon comme une vérité historique, nous ne nous en étonnerons pas.
Ne voit-on pas aujourd’hui encore, six cents ans après les démonstrations de Luther et de Calvin, plus de trois siècles après les explications lucides du savant Dupuis, une foule d’hommes de tous pays croire plus fortement que jamais, à la réalité de l’existence du Christ, à la vérité des dogmes ridicules qu’on dit prêchés par lui !
Pour vous, Messieurs, ces deux personnages sont désormais appréciés ; tous deux sont pour vous sur la même ligne. L’existence de Napoléon Bonaparte n’est qu’une fable, absolument comme l’existence de Jésus-Christ, les batailles et les conquêtes de l’empereur français ne sont ni plus ni moins chimériques que les prédications et les miracles du dieu des chrétiens ».
HOROSCOPE DES DESTINÉES FUTURES DE L’ERRATUM
Suivant le Journal du département de Lot-et-Garonne, N° du 2 février 18..
« Ce petit livre ne sera pas un écrit
« éphémère ; il subsistera, parce qu’il
« sera utile, tant que l’ouvrage de M.Du
« puis sera nuisible, c’est-à-dire jusqu’à
« ce que sa méthode soit entièrement
« discréditée, ce à quoi ce petit livre ne
« cessera de contribuer ; et il pourra fort
« bien arriver qu’enfin le pygmée en vol
« lume renversera le géant. »
Napoléon n’a jamais existé : les preuves. Illustration extraite du site Empire Costume.
Le texte ci-dessous, oeuvre d’un certain J.-B. Péres, bibliothécaire de la ville d’Agen, s’intitule : Comme quoi Napoléon n’a jamais existé ou grand erratum source d’un nombre infini d’errata à noter dans l’histoire du XIXe siècle.
Publiée en 1827 à Paris, cette brochure avait pour but de démontrer qu’avec un peu d’imagination, il est toujours possible de découvrir des coïncidences permettant de valider n’importe quelle thèse, aussi absurde soit-elle. Précisément, elle se voulait réfutation sur le ton de la plaisanterie du système de Charles-François Dupuis qui, dans un célèbre ouvrage paru en 1794, l’Origine de tous les Cultes, ou la Religion universelle, prétendait expliquer l’entièreté de la religion et des croyances par l’observation du ciel. Ce scientifique passionné d’astronomie voyait en effet dans l’histoire des dieux de la mythologie une expression allégorique du cours des astres et des constellations ; il appliqua notamment sa théorie à l’histoire de Jésus Christ : pour lui, le Christ n’était que le soleil, et les douze apôtres les douze signes du zodiaque. Bien qu’aberrante, sa thèse connut à l’époque un certain succès.
Pourquoi cette historiette, cette fiction mythologique sur un site ésotérique ? Il se trouve que chez nos contemporains – magiciens opératifs ou symbolistes spéculatifs – nombreux sont ceux qui plébiscitent, sans y user leur sens critique, des théories étayées sur de grands riens mais qui finissent par faire autorité à force d’être rabâchées. Plus prosaïquement, nous devons avouer que avons pris un grand plaisir à relire cet opuscule, plaisir accru dans le partage…
Napoléon n’a jamais existé, Spartakus FreeMann & Melmothia
OBSERVATION DE L’EDITEUR (1861)
Dans ce singulier écrit, n’aurait-on voulu que s’égayer en donnant une apparence fabuleuse à des faits si notoires, si célèbres et si récents ?
On a d’abord pu le croire, mais on est aujourd’hui pleinement détrompé. On sait que, par tous les étranges paradoxes énoncés dans l’opuscule, l’auteur a voulu faire la critique de l’ouvrage éminemment paradoxal qui a pour titre Origine de tous les cultes. On le sait, et d’ailleurs on le voit dans les moyens qu’il néglige, comme dans ceux qu’il emploie. Il nous dit qu’il a eu ses motifs pour ne point faire usage des ordonnances royales qui pouvaient appuyer sa thèse. Mais quels motifs peut-il avoir eus pour négliger les ordonnances de Louis XVIII qui, dès son entrée en France, en 1814, les datait de la dix-neuvième année de son règne, ce qui faisait entièrement disparaître le règne de Napoléon ? Pourquoi laisser à l’écart des arguments aussi péremptoires ? C’est qu’il n’y en a pas de ce genre dans l’Origine des Cultes, et que, pour rendre la parodie plus directe et plus flagrante, il n’a voulu employer que des moyens dans le genre de ceux que présente cette ténébreuse production : il n’a voulu se servir que de rapprochements astronomiques et mythologiques qui sont les moyens de prédilection de M. Dupuis, moyens par lesquels ce malheureux auteur cherche à rendre douteux tout ce que nous avons de plus authentique et de plus respectable.
Il est donc évident que le but de l’opuscule est de déverser un juste ridicule sur la prétendue Origine des Cultes, ce qui est la meilleure des réfutations ; et cette réfutation est d’autant plus forte que, dans tout le grand ouvrage de M. Dupuis, on ne saurait rien trouver d’aussi pressant en fait d’illusion ; illusion néanmoins qui ne peut avoir lieu maintenant, mais par la seule raison que les événements dont il s’agit sont trop près de nous. Car si cet écrit avait paru quelques centaines d’années plus tard, il n’aurait pas manqué de produire, dans l’esprit de ses lecteurs, les doutes les plus graves sur la véracité de l’histoire du XIXe siècle, relative à Napoléon ; tellement qu’aujourd’hui même on ne peut guère s’en défendre qu’en se souvenant qu’on l’a vu.
COMME QUOI NAPOLÉON N’A JAMAIS EXISTÉ.
On suppose que l’expérience est faite vers l’an 2150, dans quelque université d’Allemagne. C’est là que nous prions nos lecteurs de se transporter en esprit pour écouter le discours qu’un profond philosophe y débite à ses nombreux élèves.
« Messieurs, leur dit-il, assez et trop longtemps les peuples, abusés par des traditions sans bases, ont laissé la fable usurper les droits de l’histoire et se placer à côté d’elle dans les esprits. Il appartenait à la critique de notre siècle de séparer l’une de l’autre et d’indiquer clairement aux hommes à idées larges quels faits doivent être acceptés par eux, quels autres doivent être rejetés.
Déjà, dans des temps éloignés de nous, on avait prouvé que le prétendu poète de la guerre de Troie, le fameux Homère, n’a jamais existé ; plus tard, il y a bientôt quatre cents ans (c’était en 1794), un philosophe que la France ne sut pas apprécier, Dupuis, avait démontré que Jésus de Nazareth, auteur de la secte chrétienne dont la fraction la plus pure et la plus nombreuse, celle des chrétiens-catholiques, se meurt depuis plus de six cents ans déjà et ne peut désormais vivre longtemps, que Jésus, dis-je, n’était qu’une allégorie du soleil ; d’autres personnages, dont la réalité avait été admise de toutes parts sans plus d’examen, s’évanouissent de même sous l’observation approfondie d’historiens philosophes, et il semblait que l’humanité était à jamais prémunie contre de pareilles erreurs.
Eh bien, admirez l’incroyable crédulité des masses : il y a trois siècles et demi, une fable toute semblable s’est trouvée tellement accréditée que, jusqu’aux plus grands génies, tous l’acceptèrent ou du moins feignirent habilement de l’accepter comme une incontestable réalité.
Je veux parler de la prétendue existence de NAPOLÉON BONAPARTE, dont la croyance devint tellement générale, tellement enracinée dans les esprits que, pendant deux siècles, celui-là eût passé pour fou qui aurait tenté d’en démontrer l’absurdité, surtout en France, où l’orgueil national attachait naturellement une haute importance aux glorieux exploits que la renommée prêtait à ce héros.
Il est cependant de la dernière évidence, Messieurs, que l’histoire de Napoléon n’est, comme celle de Jésus, comme celle de Bacchus et d’Adonis, qu’une fable imaginée du soleil ; et il faudrait ne pas posséder les premières notions de la mythologie pour refuser de le reconnaître.
Prouvons-le, en passant rapidement en revue les principales circonstances qu’on a prêtées à la vie de ce fabuleux héros.
D’après les divers historiens :
Il s’appelait Napoléon Bonaparte ;
Il était né dans la Corse, île de la Méditerranée ;
Sa mère s’appelait Laetitia ;
Il avait trois sœurs ;
Il avait quatre frères, dont trois furent rois ;
Il eut deux épouses, dont l’une lui donna un enfant mâle ;
Il apaisa, en France, une révolution qui jetait partout la terreur ;
Il commandait à seize maréchaux d’empire, dont douze en activité de service ;
Il triompha dans le Midi et succomba dans le Nord ;
Enfin, après un règne de douze années, qu’il avait commencé en arrivant de l’Orient, il alla mourir dans les mers occidentales.
Voyons si chacune de ces dix circonstances n’est pas évidemment empruntée du soleil.
Tout le monde sait que le soleil est appelé par les poètes Apollon, nom qui signifie exterminateur. Il fut donné au soleil par les Grecs qui, devant Troie, perdirent beaucoup de soldats par suite de chaleurs excessives, lors de l’outrage fait par Agamemnon à Chrysès, prêtre du soleil.
Or, Apollon est le même mot qu’Apoléon. Tous deux dérivent d’Apolluo ou Âpoleo, verbes grecs qui signifient tuer, exterminer, de sorte que déjà l’initiale est la seule différence entre Apollon et Napoléon. Mais cette différence, loin de détruire l’étymologie, la confirme au contraire.
En effet, le vrai nom de notre héros prétendu était, non pas Napoléon, mais bien Néapoléon, comme on le voit encore aujourd’hui sur divers monuments de la capitale de la France. C’est donc la syllabe Né qui se trouve ici en plus. Or, né ou nai signifie en grec “certes”, vraiment, assurément ; de telle sorte que Né apoléon ou Napoléon signifie le Dieu vraiment exterminateur, le véritable Apollon.
Le second nom, Bonaparte, s’explique aussi clairement que le premier.
Bona parte signifie en latin, ‘du bon côté, en bonne part’ ; il s’agit donc là d’une chose qui a deux côtés, l’un bon, l’autre mauvais. C’est certainement le double effet de la révolution par laquelle le soleil produit le jour et la nuit : c’est une allégorie des Perses, C’est l’empire d’Oromaze et celui d’Arimane, l’empire des anges de lumière et des esprits de ténèbres ; et comme on dévouait autrefois à ceux-ci par cette formule : abi mala parte, nul doute que par Néapoléon Bonaparte on n’ait voulu signifier le véritable Apollon envoyé à la France en bonne part, pour son bonheur, pour exterminer les ennemis.
En vous rappelant, Messieurs, que les poètes grecs avaient fait naître Apollon à Délos, île de la Méditerranée très rapprochée de la Grèce, où étaient les principaux temples de ce Dieu, vous concevrez sans peine que les auteurs de la fabuleuse légende aient placé la naissance de leur héros dans la Méditerranée également, mais dans l’île de Corse, qui se trouve sur les côtes du royaume de France où ils voulaient le faire régner.
D’après la même légende, la mère de Napoléon s’appelait Laetitia, mot qui, signifiant la joie, désigne ici l’aurore qui répand la joie dans la nature, parce qu’elle enfante au monde le soleil, en lui ouvrant les portes de l’Orient.
Chez les Grecs, la mère d’Apollon s’appelait Laeto, et, tandis que de ce nom les Romains firent Latone, les poètes français aimèrent mieux en faire Laetitia, parce que ce mot est le substantif du verbe inusité laeto, qui veut dire avoir de la joie.
Pour ce qui est des trois sœurs du prétendu fils de Laetitia, je n’ai pas besoin de vous dire, Messieurs, que ce sont les trois Grâces, sœurs d’Apollon.
Les quatre frères qu’on a donnés à l’Apollon français sont certainement les quatre saisons de l’année.
Et ne vous étonnez pas, Messieurs, de voir les saisons représentées par des hommes. En latin, vous le savez, les noms des quatre saisons sont masculins : en français, trois l’ont toujours été, et à l’époque à laquelle remonte l’invention de notre fable, c’était un point très controversé entre les grammairiens de France, que de savoir si le dernier, l’Automne, était masculin ou féminin. Pas de difficulté là-dessus, par conséquent.
Les trois de ses frères qui furent rois sont : le Printemps, qui règne sur les fleurs ; l’Eté qui règne sur les moissons ; et l’Automne, qui règne sur les fruits. On a dit qu’ils tenaient leur royauté de leur frère Napoléon, parce que c’est de l’influence du soleil que ces trois saisons tiennent tout. L’hiver ne régnant sur rien, on a dit que le quatrième frère n’avait pas été roi.
Si pourtant on prétendait que l’hiver n’est pas absolument sans empire et qu’on lui attribue la principauté des neiges et des frimas dont il blanchit nos campagnes, ceci viendrait encore à l’appui de la vérité que nous développons. C’est là, selon toute apparence, ce que les poètes français ont indiqué vu la vaine principauté dont ils nous montrent revêtu le quatrième frère de Napoléon. Celle principauté, ils l’ont attachée de préférence au village de Canino, parce que ce mot vient de Cani, qui signifie les cheveux blancs de la froide vieillesse ; ce qui rappelle l’hiver.
Et notez que ce frère n’aurait eu cette principauté de Canino qu’après la décadence de Napoléon et de ses trois autres frères ; parce qu’effectivement l’hiver commence quand il ne reste plus rien des trois belles saisons, et que le soleil est très éloigné de nos contrées.
Vous voyez également, dans cet éloignement du soleil et des belles saisons, le sujet de la fabuleuse invasion des peuples du Nord, qui, en renversant Napoléon, auraient fait disparaître en France un drapeau de diverses couleurs dont elle était embellie, pour y substituer un drapeau entièrement blanc. C’est là l’emblème ingénieux des frimas que les vents d’hiver, appelés par les poètes Enfant du Nord, apportent à la place des belles couleurs que maintenait le soleil.
Napoléon, dit-on, eut deux femmes, dont une lui donna un enfant mâle.
Or, vous savez que le soleil, d’après la mythologie, avait eu deux femmes : la Lune, dont il n’eût point de postérité, et la Terre dont il eut un fils unique, le petit Horus. C’est une allégorie égyptienne dans laquelle le jeune Horus, fils d’Osiris et d’Isis, représente les fruits de l’agriculture que donne la terre fécondée par le soleil. Aussi a-t-on placé la naissance du fils de l’Apollon français au 20 mars, à l’équinoxe du printemps, époque à laquelle les productions de l’agriculture prennent leur grand développement.
L’hydre révolutionnaire, qui jetait partout la terreur et que vainquit Napoléon, est certainement ce serpent Python qui ravageait la Grèce, et dont Apollon la délivra. Ce fut là son premier exploit, d’après la mythologie ; aussi nous dit-on que c’est en étouffant l’hydre révolutionnaire que Napoléon commença son règne. Que si l’on a figuré le serpent Python par une révolution, c’est que les mots revolutia, revolutus caractérisent bien le serpent, qui, soit dans ses mouvements, soit dans son repos, se présente toujours sous forme d’anneaux et roulé sur lui-même.
Notre fabuleux héros avait, dit-on, douze maréchaux en activité de service et quatre en non-activité. Évidemment, les douze premiers sont les douze signes du zodiaque marchant sous les ordres du soleil, et commandant chacun une division de l’innombrable armée des étoiles. Les quatre autres sont les quatre points cardinaux, qui, immobiles au milieu du mouvement général, représentent très bien la non-activité.
La force du soleil dans le midi, sa marche vers les régions septentrionales, après l’équinoxe du printemps, le retour qu’à la rencontre du tropique boréal il opère sur ses pas vers le midi, en suivant le signe du Cancer ou écrevisse (ainsi nommé pour exprimer cette marche rétrograde du soleil), tout cela, vous le voyez clairement, Messieurs, a fait imaginer les triomphes de Napoléon dans les contrées méridionales, son expédition dans le Nord, vers Moscou et la retraite désastreuse dont celle expédition aurait été suivie.
Enfin, Messieurs, tout le monde saisit dès le premier coup d’œil pourquoi l’on a dit que Napoléon était venu par mer de l’Orient (de l’Égypte) pour régner sur la France, et qu’il avait été disparaître dans les mers occidentales, après un règne de douze ans. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir là le lever du soleil à l’Orient et son coucher à l’Occident, après sa course de douze heures sur l’horizon. Il n’a régné qu’un jour, a dit le poète Casimir Delavigne, qui, bien qu’il n’ait pas osé le proclamer, parce qu’il vivait à une époque où cette erreur était trop répandue, n’a certainement vu qu’une fiction du soleil dans ce prétendu héros. Il n’a régné qu’un jour : quoi de plus précis ?
Nous aurions pu, Messieurs, vous présenter, à l’appui de la vérité que nous venons d’établir, bien d’autres considérations, bien d’autres faits. Nous aurions pu surtout invoquer des actes du roi Louis XVIII, dont les dates sont inconciliables avec le règne du prétendu empereur. Mais nous tenions à prendre la question au cœur, à combattre la fable par la fable même, en mettant au grand jour les sources où l’on a été puiser tous les faits racontés de ce héros imaginaire.
Nous l’avons fait, vous le voyez, Messieurs, avec un plein succès. Napoléon n’est qu’une allégorie du soleil. C’est démontré par ses deux noms, par ses trois sœurs, ses quatre frères, ses deux femmes, son fils, ses maréchaux, ses exploits ; c’est démontré par le lieu de sa naissance, par la région d’où il partit pour régner en France, par les contrées où il triompha et celles où il succomba, par la durée de son règne, par la région où il disparut. Refuser de le reconnaître, c’est vraiment nier l’évidence.
Que quelques intelligences crédules continuent de regarder l’existence de Napoléon comme une vérité historique, nous ne nous en étonnerons pas.
Ne voit-on pas aujourd’hui encore, six cents ans après les démonstrations de Luther et de Calvin, plus de trois siècles après les explications lucides du savant Dupuis, une foule d’hommes de tous pays croire plus fortement que jamais, à la réalité de l’existence du Christ, à la vérité des dogmes ridicules qu’on dit prêchés par lui !
Pour vous, Messieurs, ces deux personnages sont désormais appréciés ; tous deux sont pour vous sur la même ligne. L’existence de Napoléon Bonaparte n’est qu’une fable, absolument comme l’existence de Jésus-Christ, les batailles et les conquêtes de l’empereur français ne sont ni plus ni moins chimériques que les prédications et les miracles du dieu des chrétiens ».
HOROSCOPE DES DESTINÉES FUTURES DE L’ERRATUM
Suivant le Journal du département de Lot-et-Garonne, N° du 2 février 18..