Par Robert Anton Wilson
Comment, comment, mais comment donc nous sommes-nous retrouvés dans une situation où un despote de style oriental contrôle la médecine américaine, à tel point que la plupart des médecins craignent de prescrire ce qu’ils estiment être le mieux pour leurs patients ? Pourquoi, 200 ans après la guerre qui nous libéra d’un roi à moitié fou, avons-nous permis que notre vie et notre santé tombent sous la coupe d’un tzar totalement timbré ? Et cette monstrueuse tumeur a-t-elle détruit la presque totalité de la constitution par « simple accident » ou bien ses créateurs en avaient-ils l’intention dès le départ ?
Et bien, voici ma théorie : la plupart des gens pensent que le G.O.T. (Gouvernement d’Occupation Tsariste) a commencé son infestation de l’Amérique avec Georges Bush Senior, lorsqu’il nomma un Tsar afin de mettre à bas notre forme démocratique de gouvernement ; mais Bush avait une longue carrière à la C.I.A. derrière lui et la C.I.A. avait une longue, longue, histoire tsariste avant que n’émerge ouvertement à la lumière un tsar, un fonctionnaire qui n’est ni prévu ni permis par les clauses de notre Constitution. En réalité, le G.O.T. a commencé à remplacer la démocratie représentative des É.-U. dès 1945, lorsque le général Rheinhard Gehlen, le chef de l’intelligence soviétique d’Hitler, s’est rendu à l’armée américaine, après avoir prudemment enterré en un lieu secret plusieurs camions d’informations sensibles concernant l’Union soviétique.
Gehlen n’était pas seulement passé maître dans l’art de l’espionnage, mais excellait également dans la négociation. Une semaine lui suffit pour se débarrasser de son uniforme nazi et revêtir celui d’un général américain ; les services secrets américains, en contrepartie, ont obtenu des informations sur les soviets, ainsi qu’un contact privilégié avec les agents de Gehlen au sein du gouvernement soviétique – un groupe de tsaristes mystiques qui avaient infiltré à la fois l’Armée Rouge et le K.G.B.
Vous voyez, leur chef et principal « atout » de Gehlen, le général Andreï Vlassov, avait une foi ardente dans le tsarisme et particulièrement dans le « tsarisme mystique » adopté durant la seconde moitié du 19e siècle par l’écrivain antisémite Dostoïevski et plus encore par Konstantin Pobedonostsev, un conseiller sous deux Tsars (Alexandre III et Nicholas II).
Chez Pobedonostsev, surnommé « le Grand Inquisiteur » du fait de son vaste réseau d’espions, de taupes, de provocateurs et informateurs infiltrés dans le peuple russe, les obsessions théologiques se combinaient avec une politique réactionnaire, ce qui est toujours un mélange explosif.
Le « Tsarisme mystique » mériterait un livre entier à lui seul. D’autant qu’il dirige actuellement notre pays ; mais nous devons nous contenter d’être brefs. Cette sainte religion, ou superstition – comme vous voulez – a deux doctrines principales : (1) le Tsar est guidé par Dieu et ne peut avoir tort (2) la Raison est « froide » et inhumaine, la foi est « chaude » et humaine ; par conséquent, nous devons ignorer la Raison et nous laisser guider par la foi dans le Tsar, notre « Petit Père ». Je ne crois pas qu’un seul membre de l’équipe de Pobedonostsev ait pu croire ce conte de fées.
D’un autre côté, les catholiques romains de la vieille école cultivent une attitude similaire, mais ils préfèrent un pape pour penser à leur place plutôt qu’un Tsar, et la plupart d’entre nous les considèrent comme sains d’esprit, juste un peu « étranges ».
Le général Gehlen et le général Vlassov constituèrent ce qui devint le Gehlenapparat, la principale source de la C.I.A. concernant les affaires soviétiques ; Gehlen devint le pivot du département « pénétration soviétique » de la C.I.A., travaillant sous les ordres de James Jésus Angleton, le chef du contre-espionnage, cultivateur d’orchidées, amoureux des arts et catholique dévot.
Comme le gouvernement américain a basé toute sa politique étrangère sur les rapports de la C.I.A., et que la C.I.A. basait ses rapports sur ceux de Gehlen et d’autres anciens nazis, assortis d’une équipe de tsaristes mystiques, un intellectuel papiste et le reste du monde peuvent trouver que les idées et les actions du gouvernement américain sont devenues extrêmement « étranges », bizarres et effrayantes. Les résultats en sont à la fois très tristes et très marrants. En un mot, la majorité du monde pense que nous sommes devenus totalement cinglés. « Des tsaristes, des nazis et des fantômes, oh mon dieu ! »
Bien que James Jésus Angleton fût le superviseur de Gehlen, des informations indiquent que le Gehlenapparat s’est engagé dans de nombreuses activités, dont le kidnapping, l’extorsion, le meurtre, etc. Activités qu’Angelton ignorait totalement.
Mais, Angleton était une somme pathologique à lui seul. Étudiant excessivement intelligent et sensible à la littérature moderne à l’université de Yale, Angleton adorait Ezra Pound, Wallace Stevens, I.A. Richard, E.E. Cummings et bien d’autres superstars du Modernisme ; il les rencontra personnellement presque tous. Collectivement ils ont influencé la fascination d’Angleton pour des perspectives multiples, les ambiguïtés des labyrinthes et l’incertitude éternelle liée à toutes les inférences et « interprétations ». Ces tendances modernistes, qui apparaissaient aussi dans la science et la philosophie de l’époque, s’épanouirent sous la forme d’obsessions et, peut-être, de folie furieuse lorsqu’Angleton les appliqua à l’espionnage. Après tout, le modernisme a réellement commencé avec le The Reality of Masks de Wilde et la mystique hermétique de Yeats ; le monde tel que nous le connaissons émergeant de l’interaction du Masque, de l’Anti-Masque, du Moi et de l’Anti-Moi : ce qui peut ne pas convenir à chacun de nous, mais qui s’accorde certainement au monde de fantômes et de fouineurs qu’Angleton forgea.
Un autre officier de la C.I.A., Efward Petty, décrit Angleton comme un « loup solitaire » et un « oiseau étrange » ; les autres sources que j’ai pu trouver le qualifient de « paranoïaque ». Il suspectait tout le monde au sein de la C.I.A. et de « notre » gouvernement en général, d’être à la solde du K.G.B. et il opérait avec tant d’ambiguïté « moderniste » et de secret que personne ne sait réellement ce qu’il pouvait bien faire la plupart du temps. En résumé, il devint aussi ésotérique que les poètes qu’il admirait et il remodela la C.I.A., ainsi que notre nation, en un théâtre de mystères impénétrables.
A.J. Weberman, un passionné de l’assassinat de Kennedy, pense qu’Angleton organisa personnellement le coup, une idée récurrente dans le livre documentaire de Norman Mailer, Harlot’s Ghost, dans lequel Angleton apparaît sous le nom de « Hugh Montague » (le père d’Angleton était prénommé Hugh ; le nom de code d’Angleton était « Mère » et celle de Montague est « harlot », prostituée. Bossez là-dessus, ô gentils chercheurs de significations multiples !)
Si James Jésus a réellement arrangé l’assassinat de JFK, c’est qu’il a probablement dû décider que Kennedy était la taupe des Soviétiques au plus haut niveau.
Pourquoi pas ? Angleton avait des agents tsaristes dans tous les recoins du système soviétique, et il savait que le K.G.B. était assez intelligent et retord pour placer eux aussi un de leurs Masques et Anti-Masques dans son propre jardin, ou peut-être sous son lit. Selon Edward Jay Epstein, la traque des taupes soviétiques par Angleton a presque détruit la C.I.A. elle-même. Il est certain que tout le monde au sein de la « Compagnie » avait appris à se méfier de tout le monde.
Imaginez un USS Caine avec non pas un Queeg comme capitaine, mais tout un équipage de Queeg, chacun inquiet de ce que peuvent manigancer les autres. Angleton a bâti ce navire au sein de la C.I.A. et, ensuite, par osmose il s’est étendu à travers tout le gouvernement pour devenir le G.O.T.
En résumé, le gouvernement ne peut avoir confiance en nous, car il ne peut savoir avec une absolue certitude quelles bêtises nous pouvons faire ; et chaque phrase que nous disons dans notre téléphone placé sur écoute peut avoir autant de significations que dans la phrase d’Eliot « la rose et le feu sont un ».
Dans le livre documentaire de F. Buckley Junior, Spytime : The Undoing of James Jesus Angleton, il y a une scène qui épiphanise la logique tortueuse du G.O.T. : Angleton et l’un de ses collaborateurs discutent de 17 ou 37 interprétations possibles à un morceau d’information (ou de désinformation) transmise par un déserteur soviétique (qui pourrait être une taupe soviétique). À la fin de cette discussion, J.J.A. met en avant une interprétation supplémentaire que son collaborateur n’a pas envisagée : que lui, Angleton, soit une taupe soviétique. Vous pourriez apprendre davantage sur l’ambiguïté et l’ironie lors d’un séminaire de poésie d’Empson.
Dans la même veine, après la mort par noyade de « Montague » (Angleton) dans Harlot’s Ghost, la C.I.A. investigue systématiquement des scénarios alternatifs : il n’est pas mort et un corps lui a été substitué ; les Soviétiques l’ont capturé et fait parler sous sérum de vérité ; il s’est rendu de lui-même aux Soviétiques ; il travaillait déjà pour les Rouges.
« Ne croyez personne », le slogan de « X Files », semble la seule règle prudente dans le monde qu’Angleton a créé.
« Le Tsarisme représente une forme intermédiaire entre le monarchisme européen et le despotisme asiatique, plus proche sans doute de ce dernier ». Léon Trotsky, Développement social russe et tsarisme.
« Le G.O.T. émerge du sol et les serfs se courbent et l’adorent. Il vole la propriété, il brûle les maisons ; il tue toute opposition. Tu penses qu’il ne fait violence qu’aux Blacks, aux Hispanos ou aux Coréens aux religions étranges, mais sa main est sur ta propre gorge maintenant. G.O.T. fthagn ! Quoi, vous êtes stupide ou quoi ? » Abdul Alhazred, Le Tsaronomicon.
« I’m only kidding — not ! » Madonna, Truth Or Dare.
Dans tous les cas, Angleton avait fait alliance avec les fascistes italiens et la mafia en 1944 lorsqu’il était officier de l’O.S.S. en Italie. L’opération « Gladio », un projet de la C.I.A. afin de contrôler les élections italiennes, s’appuyait sur les relations qu’Angleton s’était faites dans ces milieux ; il employa des techniques assez variées comme de louer les services de Sophia Loren pour tourner des publicités pour les hommes politiques favoris de la C.I.A., soudoyant les politiciens de gauche afin qu’ils se rangent aux idées de la droite et se servant de la mafia pour faire assassiner ceux qu’il ne pouvait corrompre, par exemple le premier ministre Aldo Moro. Lors de la période de recrutement pour Gladio, Angleton rencontra son vieil ami Ezra Pound à Gênes. Pound, inculpé pour des émissions radios que lui-même appelait « propagande personnelle pour la Constitution des É.-U. » et le département de la justice « trahison », ne fut pas recruté pour Gladio ; par contre, il passa 13 années dans un hôpital psychiatrique pour avoir exprimé ses idées sur les banquiers sur une mauvaise station de radio.
J.J.A. eut plus de chance avec l’ancien membre de la Gestapo, Licio Gelli, qui avait constitué une société secrète appelée « P2 » au sein du Grand Orient de la maçonnerie égyptienne et qui infiltra probablement plus de 950 agents au sein du gouvernement italien. Grâce aux relations de « P2 » et de Roberto Calvi, un membre de « P2 » et président de la Banco Ambrosiano à Milan, Gladio combina le système de blanchiment de l’argent de la drogue de la mafia et les projets de la C.I.A., en utilisant comme paravent la banque du Vatican et plus de 200 banques fantômes.
Les chefs Tsaristes-C.I.A.-Mafia obtinrent alors un contrôle presque total à la fois sur les milliards du business illégal de la drogue et sur le business tout aussi profitable de la lutte antidrogue. Le cartel de la drogue du G.O.T. marqua aussi un score sur le plan psycho-politique. En inondant les É.-U. de crack, ils parvinrent à créer une hystérie qui surpassa le maccarthysme ; dans toute cette fumée, peu remarquèrent que notre Constitution était démantelée morceau par morceau. Comme William S. Burroughs l’écrivit il y a 30 ans, « le contrôle de la drogue n’est qu’un mince prétexte, et s’amenuisant, il augmente les pouvoirs de la police et étiquette les dissidents comme étant des criminels ». Une voix dans le désert… Angleton fut finalement démis de la C.I.A. en 1974 lorsqu’il fut pris en pleine fraude électorale – quelque chose que la C.I.A. n’était censée faire que dans d’autres pays. Licio Gelli fut jugé pour conspiration, mais fut acquitté. Plus tard, des preuves éclatèrent prouvant que Gelli travaillait à la fois pour le K.G.B. et la C.I.A. Il avait déjà travaillé en underground pour les communistes lors de la Seconde Guerre Mondiale alors qu’il était appointé par la Gestapo, et personne ne peut dire quel camp il trahit le plus souvent.
La principale œuvre du tsarisme mystique est aujourd’hui la Drug Enforcement Administration (D.E.A.) et la Food and Drug Administration (F.D.A.). La F.D.A. opère comme la D.E.A., mais avec moins de publicité. Elle fut décrite en ces termes par Saul Kent de la Life Extension Foundation : « la tactique du gros bras de la F.D.A. est utilisée afin d’intimider et de terroriser les Américains en mettant les troupes de l’état policier aux basques des soins de santé et de la médecine ». En 1957, la F.D.A. a brûlé tous les livres d’un médecin dissident, Wilhem Reich, a détruit son laboratoire et l’a mis en prison, où il finit par mourir. Plus récemment, leurs cibles furent les sages-femmes, les herboristes et autres offrant une santé moins onéreuse et plus saine que le G.O.T. Bien que notre premier Tsar officiel s’incarnat dans le bref et sanglant règne de Georges Bush, le tsarisme atteignit un niveau tyrannique sous Bill Clinton, un drôle de type avec une érection permanente. Notre dernier Tsar, le général Barry McCaffrey, a récemment formulé la théologie du tsarisme mystique dans un article paru dans le Denver Post. Je condense ici quelque peu, car, comme la plupart des Tsars, Mac le Canif est une forme d’outre à vent :
« Chaque semaine, des millions d’Américains se rendent à l’office religieux afin d’y chercher conseil, de réaffirmer les valeurs morales, de faire la charité et de ressentir la chaleur de la communauté. Chacun de ces quatre éléments souligne l’importance d’organisations basées sur la foi… Éduquer les jeunes… demande que nous les guidions et que nous leur enseignions les valeurs… Le 10 mai, j’ai voyagé à Colorado Springs afin de rencontrer le docteur James Dobson et le « Young Life Christian Ministry » dont le programme est un modèle démontrant comment nos organisations basées sur la foi peuvent jouer un rôle critique dans l’aide qu’elles apportent aux jeunes gens qui se tiennent sur le chemin droit et juste… (blah blah blah)… Le programme « One Way 2 Play » du Fellowship of Christian Athletes est un autre exemple de la façon dont les groupes de foi aident les jeunes gens… Ce programme utilise le sport afin d’enseigner l’importance d’un style de vie sain et d’un engagement dans la foi… Comme le dit le théologien anglais Dean William Inge : « Si nous devons protéger nos enfants et nos communautés, les rabbis, les prêtres, les clercs, les diacres, les sœurs set les frères doivent ouvrir la voie » »
La foi et la docilité sont les étendards du Tsarisme ; tout signe de connaissance scientifique, de rationalité ou de simple « bon sens » parmi les serfs est un souci majeur, et ils le contrecarreront de toutes les manières à leur disposition. Aucun Tsar ne louera les scientifiques ou les autres professionnels de la façon dont MacCaffrey a encensé les croyants et les gardiens de troupeaux qui les mènent et les flouent. Et ainsi, la Constitution est en lambeaux, il y a des espions partout, nous habitons « une nation sous surveillance avec des enregistreurs pour tous » ; tout le monde est terrorisé, ignorant si sa maison et ses biens seront saisis ou non.
En résumé, nous nous trouvons, comme Trotsky a trouvé les Russes il y a cent ans, à mi-chemin entre le monarchisme européen et le despotisme asiatique. Il n’est pas surprenant que McCaffrey ait été accusé de crimes de guerre selon les règles de Nuremberg. Bill Clinton peut bien être un enfoiré de première comme nous le savons tous aujourd’hui, cependant il n’est pas fou. Lorsqu’il choisit un Tsar, il sait qu’il a trouvé le bon type pour le job. La seule manière par laquelle Bore (ennui) et Gush (raclure) pourraient améliorer le « Mac Canif » serait, avec l’aide du génie génétique, de déterrer les os et de cloner le plus célèbre, mystique et meurtrier de tous les Tsars, Ivan le Terrible qui, durant ses journées, alternait massacres de masse et retraites en monastère pour méditer et prier.
La Créature qui Mangea la Constitution, R.A. Wilson. Titre original : « T.S.O.G. – The Creature That Ate the Constitution ». Traduction française par Spartakus FreeMann, avril 2009 e.v.
Par Robert Anton Wilson
Comment, comment, mais comment donc nous sommes-nous retrouvés dans une situation où un despote de style oriental contrôle la médecine américaine, à tel point que la plupart des médecins craignent de prescrire ce qu’ils estiment être le mieux pour leurs patients ? Pourquoi, 200 ans après la guerre qui nous libéra d’un roi à moitié fou, avons-nous permis que notre vie et notre santé tombent sous la coupe d’un tzar totalement timbré ? Et cette monstrueuse tumeur a-t-elle détruit la presque totalité de la constitution par « simple accident » ou bien ses créateurs en avaient-ils l’intention dès le départ ?
Et bien, voici ma théorie : la plupart des gens pensent que le G.O.T. (Gouvernement d’Occupation Tsariste) a commencé son infestation de l’Amérique avec Georges Bush Senior, lorsqu’il nomma un Tsar afin de mettre à bas notre forme démocratique de gouvernement ; mais Bush avait une longue carrière à la C.I.A. derrière lui et la C.I.A. avait une longue, longue, histoire tsariste avant que n’émerge ouvertement à la lumière un tsar, un fonctionnaire qui n’est ni prévu ni permis par les clauses de notre Constitution. En réalité, le G.O.T. a commencé à remplacer la démocratie représentative des É.-U. dès 1945, lorsque le général Rheinhard Gehlen, le chef de l’intelligence soviétique d’Hitler, s’est rendu à l’armée américaine, après avoir prudemment enterré en un lieu secret plusieurs camions d’informations sensibles concernant l’Union soviétique.
Gehlen n’était pas seulement passé maître dans l’art de l’espionnage, mais excellait également dans la négociation. Une semaine lui suffit pour se débarrasser de son uniforme nazi et revêtir celui d’un général américain ; les services secrets américains, en contrepartie, ont obtenu des informations sur les soviets, ainsi qu’un contact privilégié avec les agents de Gehlen au sein du gouvernement soviétique – un groupe de tsaristes mystiques qui avaient infiltré à la fois l’Armée Rouge et le K.G.B.
Vous voyez, leur chef et principal « atout » de Gehlen, le général Andreï Vlassov, avait une foi ardente dans le tsarisme et particulièrement dans le « tsarisme mystique » adopté durant la seconde moitié du 19e siècle par l’écrivain antisémite Dostoïevski et plus encore par Konstantin Pobedonostsev, un conseiller sous deux Tsars (Alexandre III et Nicholas II).
Chez Pobedonostsev, surnommé « le Grand Inquisiteur » du fait de son vaste réseau d’espions, de taupes, de provocateurs et informateurs infiltrés dans le peuple russe, les obsessions théologiques se combinaient avec une politique réactionnaire, ce qui est toujours un mélange explosif.
Le « Tsarisme mystique » mériterait un livre entier à lui seul. D’autant qu’il dirige actuellement notre pays ; mais nous devons nous contenter d’être brefs. Cette sainte religion, ou superstition – comme vous voulez – a deux doctrines principales : (1) le Tsar est guidé par Dieu et ne peut avoir tort (2) la Raison est « froide » et inhumaine, la foi est « chaude » et humaine ; par conséquent, nous devons ignorer la Raison et nous laisser guider par la foi dans le Tsar, notre « Petit Père ». Je ne crois pas qu’un seul membre de l’équipe de Pobedonostsev ait pu croire ce conte de fées.
D’un autre côté, les catholiques romains de la vieille école cultivent une attitude similaire, mais ils préfèrent un pape pour penser à leur place plutôt qu’un Tsar, et la plupart d’entre nous les considèrent comme sains d’esprit, juste un peu « étranges ».
Le général Gehlen et le général Vlassov constituèrent ce qui devint le Gehlenapparat, la principale source de la C.I.A. concernant les affaires soviétiques ; Gehlen devint le pivot du département « pénétration soviétique » de la C.I.A., travaillant sous les ordres de James Jésus Angleton, le chef du contre-espionnage, cultivateur d’orchidées, amoureux des arts et catholique dévot.
Comme le gouvernement américain a basé toute sa politique étrangère sur les rapports de la C.I.A., et que la C.I.A. basait ses rapports sur ceux de Gehlen et d’autres anciens nazis, assortis d’une équipe de tsaristes mystiques, un intellectuel papiste et le reste du monde peuvent trouver que les idées et les actions du gouvernement américain sont devenues extrêmement « étranges », bizarres et effrayantes. Les résultats en sont à la fois très tristes et très marrants. En un mot, la majorité du monde pense que nous sommes devenus totalement cinglés. « Des tsaristes, des nazis et des fantômes, oh mon dieu ! »
Bien que James Jésus Angleton fût le superviseur de Gehlen, des informations indiquent que le Gehlenapparat s’est engagé dans de nombreuses activités, dont le kidnapping, l’extorsion, le meurtre, etc. Activités qu’Angelton ignorait totalement.
Mais, Angleton était une somme pathologique à lui seul. Étudiant excessivement intelligent et sensible à la littérature moderne à l’université de Yale, Angleton adorait Ezra Pound, Wallace Stevens, I.A. Richard, E.E. Cummings et bien d’autres superstars du Modernisme ; il les rencontra personnellement presque tous. Collectivement ils ont influencé la fascination d’Angleton pour des perspectives multiples, les ambiguïtés des labyrinthes et l’incertitude éternelle liée à toutes les inférences et « interprétations ». Ces tendances modernistes, qui apparaissaient aussi dans la science et la philosophie de l’époque, s’épanouirent sous la forme d’obsessions et, peut-être, de folie furieuse lorsqu’Angleton les appliqua à l’espionnage. Après tout, le modernisme a réellement commencé avec le The Reality of Masks de Wilde et la mystique hermétique de Yeats ; le monde tel que nous le connaissons émergeant de l’interaction du Masque, de l’Anti-Masque, du Moi et de l’Anti-Moi : ce qui peut ne pas convenir à chacun de nous, mais qui s’accorde certainement au monde de fantômes et de fouineurs qu’Angleton forgea.
Un autre officier de la C.I.A., Efward Petty, décrit Angleton comme un « loup solitaire » et un « oiseau étrange » ; les autres sources que j’ai pu trouver le qualifient de « paranoïaque ». Il suspectait tout le monde au sein de la C.I.A. et de « notre » gouvernement en général, d’être à la solde du K.G.B. et il opérait avec tant d’ambiguïté « moderniste » et de secret que personne ne sait réellement ce qu’il pouvait bien faire la plupart du temps. En résumé, il devint aussi ésotérique que les poètes qu’il admirait et il remodela la C.I.A., ainsi que notre nation, en un théâtre de mystères impénétrables.
A.J. Weberman, un passionné de l’assassinat de Kennedy, pense qu’Angleton organisa personnellement le coup, une idée récurrente dans le livre documentaire de Norman Mailer, Harlot’s Ghost, dans lequel Angleton apparaît sous le nom de « Hugh Montague » (le père d’Angleton était prénommé Hugh ; le nom de code d’Angleton était « Mère » et celle de Montague est « harlot », prostituée. Bossez là-dessus, ô gentils chercheurs de significations multiples !)
Si James Jésus a réellement arrangé l’assassinat de JFK, c’est qu’il a probablement dû décider que Kennedy était la taupe des Soviétiques au plus haut niveau.
Pourquoi pas ? Angleton avait des agents tsaristes dans tous les recoins du système soviétique, et il savait que le K.G.B. était assez intelligent et retord pour placer eux aussi un de leurs Masques et Anti-Masques dans son propre jardin, ou peut-être sous son lit. Selon Edward Jay Epstein, la traque des taupes soviétiques par Angleton a presque détruit la C.I.A. elle-même. Il est certain que tout le monde au sein de la « Compagnie » avait appris à se méfier de tout le monde.
Imaginez un USS Caine avec non pas un Queeg comme capitaine, mais tout un équipage de Queeg, chacun inquiet de ce que peuvent manigancer les autres. Angleton a bâti ce navire au sein de la C.I.A. et, ensuite, par osmose il s’est étendu à travers tout le gouvernement pour devenir le G.O.T.
En résumé, le gouvernement ne peut avoir confiance en nous, car il ne peut savoir avec une absolue certitude quelles bêtises nous pouvons faire ; et chaque phrase que nous disons dans notre téléphone placé sur écoute peut avoir autant de significations que dans la phrase d’Eliot « la rose et le feu sont un ».
Dans le livre documentaire de F. Buckley Junior, Spytime : The Undoing of James Jesus Angleton, il y a une scène qui épiphanise la logique tortueuse du G.O.T. : Angleton et l’un de ses collaborateurs discutent de 17 ou 37 interprétations possibles à un morceau d’information (ou de désinformation) transmise par un déserteur soviétique (qui pourrait être une taupe soviétique). À la fin de cette discussion, J.J.A. met en avant une interprétation supplémentaire que son collaborateur n’a pas envisagée : que lui, Angleton, soit une taupe soviétique. Vous pourriez apprendre davantage sur l’ambiguïté et l’ironie lors d’un séminaire de poésie d’Empson.
Dans la même veine, après la mort par noyade de « Montague » (Angleton) dans Harlot’s Ghost, la C.I.A. investigue systématiquement des scénarios alternatifs : il n’est pas mort et un corps lui a été substitué ; les Soviétiques l’ont capturé et fait parler sous sérum de vérité ; il s’est rendu de lui-même aux Soviétiques ; il travaillait déjà pour les Rouges.
« Ne croyez personne », le slogan de « X Files », semble la seule règle prudente dans le monde qu’Angleton a créé.
« Le Tsarisme représente une forme intermédiaire entre le monarchisme européen et le despotisme asiatique, plus proche sans doute de ce dernier ». Léon Trotsky, Développement social russe et tsarisme.
« Le G.O.T. émerge du sol et les serfs se courbent et l’adorent. Il vole la propriété, il brûle les maisons ; il tue toute opposition. Tu penses qu’il ne fait violence qu’aux Blacks, aux Hispanos ou aux Coréens aux religions étranges, mais sa main est sur ta propre gorge maintenant. G.O.T. fthagn ! Quoi, vous êtes stupide ou quoi ? » Abdul Alhazred, Le Tsaronomicon.
« I’m only kidding — not ! » Madonna, Truth Or Dare.
Dans tous les cas, Angleton avait fait alliance avec les fascistes italiens et la mafia en 1944 lorsqu’il était officier de l’O.S.S. en Italie. L’opération « Gladio », un projet de la C.I.A. afin de contrôler les élections italiennes, s’appuyait sur les relations qu’Angleton s’était faites dans ces milieux ; il employa des techniques assez variées comme de louer les services de Sophia Loren pour tourner des publicités pour les hommes politiques favoris de la C.I.A., soudoyant les politiciens de gauche afin qu’ils se rangent aux idées de la droite et se servant de la mafia pour faire assassiner ceux qu’il ne pouvait corrompre, par exemple le premier ministre Aldo Moro. Lors de la période de recrutement pour Gladio, Angleton rencontra son vieil ami Ezra Pound à Gênes. Pound, inculpé pour des émissions radios que lui-même appelait « propagande personnelle pour la Constitution des É.-U. » et le département de la justice « trahison », ne fut pas recruté pour Gladio ; par contre, il passa 13 années dans un hôpital psychiatrique pour avoir exprimé ses idées sur les banquiers sur une mauvaise station de radio.
J.J.A. eut plus de chance avec l’ancien membre de la Gestapo, Licio Gelli, qui avait constitué une société secrète appelée « P2 » au sein du Grand Orient de la maçonnerie égyptienne et qui infiltra probablement plus de 950 agents au sein du gouvernement italien. Grâce aux relations de « P2 » et de Roberto Calvi, un membre de « P2 » et président de la Banco Ambrosiano à Milan, Gladio combina le système de blanchiment de l’argent de la drogue de la mafia et les projets de la C.I.A., en utilisant comme paravent la banque du Vatican et plus de 200 banques fantômes.
Les chefs Tsaristes-C.I.A.-Mafia obtinrent alors un contrôle presque total à la fois sur les milliards du business illégal de la drogue et sur le business tout aussi profitable de la lutte antidrogue. Le cartel de la drogue du G.O.T. marqua aussi un score sur le plan psycho-politique. En inondant les É.-U. de crack, ils parvinrent à créer une hystérie qui surpassa le maccarthysme ; dans toute cette fumée, peu remarquèrent que notre Constitution était démantelée morceau par morceau. Comme William S. Burroughs l’écrivit il y a 30 ans, « le contrôle de la drogue n’est qu’un mince prétexte, et s’amenuisant, il augmente les pouvoirs de la police et étiquette les dissidents comme étant des criminels ». Une voix dans le désert… Angleton fut finalement démis de la C.I.A. en 1974 lorsqu’il fut pris en pleine fraude électorale – quelque chose que la C.I.A. n’était censée faire que dans d’autres pays. Licio Gelli fut jugé pour conspiration, mais fut acquitté. Plus tard, des preuves éclatèrent prouvant que Gelli travaillait à la fois pour le K.G.B. et la C.I.A. Il avait déjà travaillé en underground pour les communistes lors de la Seconde Guerre Mondiale alors qu’il était appointé par la Gestapo, et personne ne peut dire quel camp il trahit le plus souvent.
La principale œuvre du tsarisme mystique est aujourd’hui la Drug Enforcement Administration (D.E.A.) et la Food and Drug Administration (F.D.A.). La F.D.A. opère comme la D.E.A., mais avec moins de publicité. Elle fut décrite en ces termes par Saul Kent de la Life Extension Foundation : « la tactique du gros bras de la F.D.A. est utilisée afin d’intimider et de terroriser les Américains en mettant les troupes de l’état policier aux basques des soins de santé et de la médecine ». En 1957, la F.D.A. a brûlé tous les livres d’un médecin dissident, Wilhem Reich, a détruit son laboratoire et l’a mis en prison, où il finit par mourir. Plus récemment, leurs cibles furent les sages-femmes, les herboristes et autres offrant une santé moins onéreuse et plus saine que le G.O.T. Bien que notre premier Tsar officiel s’incarnat dans le bref et sanglant règne de Georges Bush, le tsarisme atteignit un niveau tyrannique sous Bill Clinton, un drôle de type avec une érection permanente. Notre dernier Tsar, le général Barry McCaffrey, a récemment formulé la théologie du tsarisme mystique dans un article paru dans le Denver Post. Je condense ici quelque peu, car, comme la plupart des Tsars, Mac le Canif est une forme d’outre à vent :
« Chaque semaine, des millions d’Américains se rendent à l’office religieux afin d’y chercher conseil, de réaffirmer les valeurs morales, de faire la charité et de ressentir la chaleur de la communauté. Chacun de ces quatre éléments souligne l’importance d’organisations basées sur la foi… Éduquer les jeunes… demande que nous les guidions et que nous leur enseignions les valeurs… Le 10 mai, j’ai voyagé à Colorado Springs afin de rencontrer le docteur James Dobson et le « Young Life Christian Ministry » dont le programme est un modèle démontrant comment nos organisations basées sur la foi peuvent jouer un rôle critique dans l’aide qu’elles apportent aux jeunes gens qui se tiennent sur le chemin droit et juste… (blah blah blah)… Le programme « One Way 2 Play » du Fellowship of Christian Athletes est un autre exemple de la façon dont les groupes de foi aident les jeunes gens… Ce programme utilise le sport afin d’enseigner l’importance d’un style de vie sain et d’un engagement dans la foi… Comme le dit le théologien anglais Dean William Inge : « Si nous devons protéger nos enfants et nos communautés, les rabbis, les prêtres, les clercs, les diacres, les sœurs set les frères doivent ouvrir la voie » »
La foi et la docilité sont les étendards du Tsarisme ; tout signe de connaissance scientifique, de rationalité ou de simple « bon sens » parmi les serfs est un souci majeur, et ils le contrecarreront de toutes les manières à leur disposition. Aucun Tsar ne louera les scientifiques ou les autres professionnels de la façon dont MacCaffrey a encensé les croyants et les gardiens de troupeaux qui les mènent et les flouent. Et ainsi, la Constitution est en lambeaux, il y a des espions partout, nous habitons « une nation sous surveillance avec des enregistreurs pour tous » ; tout le monde est terrorisé, ignorant si sa maison et ses biens seront saisis ou non.
En résumé, nous nous trouvons, comme Trotsky a trouvé les Russes il y a cent ans, à mi-chemin entre le monarchisme européen et le despotisme asiatique. Il n’est pas surprenant que McCaffrey ait été accusé de crimes de guerre selon les règles de Nuremberg. Bill Clinton peut bien être un enfoiré de première comme nous le savons tous aujourd’hui, cependant il n’est pas fou. Lorsqu’il choisit un Tsar, il sait qu’il a trouvé le bon type pour le job. La seule manière par laquelle Bore (ennui) et Gush (raclure) pourraient améliorer le « Mac Canif » serait, avec l’aide du génie génétique, de déterrer les os et de cloner le plus célèbre, mystique et meurtrier de tous les Tsars, Ivan le Terrible qui, durant ses journées, alternait massacres de masse et retraites en monastère pour méditer et prier.