Spare est, avec Aleister Crowley, l’une des figures les plus énigmatiques et emblématiques du revival occulte du XXème siècle. Emergeant en même temps que la théosophie scabreuse de H.P. Blavatsky et les relents rosicruciens de l’Ordre Hermétique de l’Aube Dorée, il méprise ses contemporains et préfère utiliser ses capacités artistiques comme véhicule d’expression pour ses travaux liés à la magie. Il a réalisé très tôt ce potentiel que l’Art a de corporiser des choses, de la chair – restaurant par là-même l’art à son propos originel et rendant ses lettres de noblesse à : l’Ars Magica.
SA VIE, SON ŒUVRE
C’est du côté de Snowhill, le 31 / 12 / 1886, que naît Austin Osman Spare, issu d’une famille modeste. Encore que l’on serait tenté d’imaginer sa naissance à la manière du nourrisson Ossie dans le film Velvet Goldmine : une cigogne supraterrestre déposant le landau de ce génie au seuil d’une maisonnée Londonienne… Doté d’un talent certain, il suit les cours du soir de dessin à l’Art school de Lambeth dès l’âge de sept ans. Bénéficiant par la suite d’une bourse, il entre au Royal College of Art en 1902, où il jouira d’une singulière réputation (en partie due à ses airs de dandy sinistre et à sa lucidité fortement parfumée d’amertume). Digne héritier du Dr John Dee et de William Blake, à sa pratique de l’écriture et du dessin automatiques, il faut ajouter qu’il baigne rapidement dans des volutes d’ésotérisme par l’entremise de son mentor, Mrs Paterson. Cette médium d’un grand âge prétendument initiée à une Tradition Sabbatique ancestrale va initier le jeune Austin aux arts magiques et lui donner envie d’approfondir ses recherches.
Après s’être penché sur le taoïsme chinois, il rejoint les rangs de la Golden Dawn, fameux cercle d’études hermétiques dont la pompe et paillettes invisibles attiraient moult artistes (tels que le poète visionnaire William Butler Yeats, l’écrivain angoissé Arthur Machen, l’actrice Fiona Burr…). Pour l’occasion, il se rebaptise Frater Yihoveaum. Surnom de courte durée puisque le cyclone Crowley s’abat sur l’Aube Dorée et détourne l’attention de notre jeune recrue. A.O.S. suit alors le nouvel ordre que fonde vers 1909 le Maître Thérion : l’Astrum Argentinum. Il est bien connu qu’une forte personnalité en attire toujours une autre jusqu’à l’inévitable clash – aussi les forces telluriques qui ont uni Spare et Crowley ne tardent donc pas à les séparer… A la fin de cette incarnation terrestre, A.O.S. désigne toutefois l’ancien secrétaire de la « Bête 666 » (un pseudonyme d’Aleister C., parmi tant d’autres), Kenneth Grant (par ailleurs membre de l’Ordo Templis Orientis, autre branche dissidente de la G.D.), comme exécuteur testamentaire de ses œuvres, puis s’éteint en 1956 dans un taudis Londonien.
A l’instar de Crowley, A.O.S. meurt donc dans une misère noire, sans que son travail ne reçoive l’attention u’il mérite. Et pour cause, ses recherches sont éclipsées par le flamboyant train de vie d’occultistes comme Mathers ou Crowley, dont les vont jusqu’à défrayer les fastes chroniques mondaines. Loin des scandales, intrigues et conflits menés afin de diriger tel ou tel Ordre, A.O.S. méprise l’exubérance de la magie cérémonielle (qui se résume à ses yeux à un « marasme de l’imagination et à un chaos de conditions ») et préconise une magie individuelle aspirant à « intensifier le normal ». En effet, comment se libérer des contraintes et des entraves quotidiennes en s’imposant de nouvelles disciplines et astreintes (ie. rituelles) ? C’est sa vision originale et éminemment personnlle de la magie qu’il livre tout au long du Book of Pleasure (Self-Love) (1913) dans lequel transparaît l’intérêt qu’il porte à la psychologie – et plus particulièrement aux idées de Carl Jung. Des réflexions qu’il affine dans son recueil de maximes pertinentes, Axiomata. Après quoi sa plume s’envenime le temps d’un Anathema of Zos… Zos parle dans son sommeil et, à son réveil, a la surprise de voir un amas « de mendiants, de parias, de fornicateurs, d’adultères, de ventres dilatés… » s’amonceler autour de lui et le supplier de leur apprendre sa religion et sa sagesse. Also spracht Zos : « C’est avec brutalité que j’enseignerai les Evangiles du suicide de l’âme et de la contraception – mais certainement pas celui de la préservation et encore moins celui de la procréation ! Bande d’abrutis ! Vous vous fourvoyez dans la croyance ue l’Ego est éternel, répondant ainsi un désir depuis longtemps perdu. Toute chose procède du désir – des jambes du poisson aux ailes du serpent. C’est ainsi que votre âme a été engendrée. Écoutez, O, Vermines ! L’HOMME A VOULU L’HOMME ! Vos désirs se matérialisent, vos rêves deviennent réalité et rien ne saurait altérer la portée de cette Vérité. » On reconnaîtra dans cette encre plongée dans une marmite de v.i.t.r.i.o.l., ainsi que dans son livre illustré The Witches’ Sabbath, le ton d’un homme qui sait ce qu’il avance… Côté graphique, la vitalité organique de son trac coulant et assuré est plus remarquable encore dans sa gallégorie de portraits, le bien-nommé Book of Satyrs. Enfin, il semblerait que Fulgur (BCM Fulgur / London WC1N 3XX / Albion) ait retrouvé et édité pour la première fois les épreuves de l’inachevé Book of Ugly Ecstasy, qui contient 23 peintures inédites. Et pour clore ce bref tour d’horizon, First impressions a compilé les œuvres complètes d’A.O.S. sous le titre From the Inferno to Zos (épuisé depuis et fort côté).
« Le corps considéré comme un tout, voilà ce que je nomme Zos. » (Book of Pleasure, soit tout ce qui est incarné et manifeste – l’Ego aperceptif qui s’apprête à ’recevoir’ le Kia. En préface du Livre du Plaisir, A.O.S. définit Kia – le contrepoint de Zos – comme étant « la liberté absolue qui, étant libre, est suffisamment puissante pour être la ’réalité’ de tout temps ; par conséquent elle n’expose jamais son potentiel et ne se manifeste pas par le biais des idées ou de techniques diverses, mais par l’entremise de l’Ego qui est apte à la recevoir, c’est-à-dire l’Ego qui s’est débarrassé des idées que l’on peut se faire au sujet de Kia, un Ego qui se serait libéré d’une éventuelle foi en Kia. Moins il en est dit sur Kia, moins sa perception paraît obscure. » Ce n’est donc que lorsque le microcosme (en l’occurrence l’homme pétrit de chair, d’os, d’eau et de sang) transcende la conscience de Soi qu’il est à même de reconnaître sa ressemblance avec le macrocosme, le Soi nébuleux (aussi appelé le ’Je’ atmosphérique – ou, plus globalement, l’Un, l’Essence Divine etc.). Mais la vive et nostalgique aspiration de Zos à retrouver l’union originelle avec Kia ne peut se faire sans fournir « l’effort du souvenir » (cf. la Résurgence Atavique plus bas).
Zos Kia Cultus
En voici le manifeste :
« Notre Livre Sacré : le Livre du Plaisir. Notre Voie : le sentier éclectique entre les extases ; la voie précaire du funambule. Notre Divinité : la femme Toute-Puissante (et j’errais à ses côtés le long du chemin direct…). Notre Foi : (et à nouveau je dis que voilà votre grand moment de réalité : ) la chair vivante / Zos. Notre Sacrement : les Saints Concepts Intercalaires. Notre Mot : pas d’importance – nul besoin. Notre Demeure Éternelle : l’état mystique de Non-Négation ; le « je » atmosphérique / Kia. Notre Loi : le trépas de toutes les lois. »
Plus l’apparence des choses est compacte et plus les illusions du Réel-Réel (pour reprendre les termes du regretté Cpm et de la fraternité Norma Loy) prennent de l’importance, au point d’en devenir presque palpables/concrètes, et dénoncent une simulation. D’où l’urgente nécessité de s’en détacher, de démanteler ces illusions harassantes. L’Amour de Soi (et non du Soi) participe à cette thérapie d’assainissement et n’a bien entendu rien à voir avec les orgiaques bacchanales qui ont pu se tenir dans l’Abbaye de Cefalu « les extases hideuses – l’humanité est majoritairement composée d’adolescents rigides et d’obsédés sexuels qui font de l’Acte même une banalité dégradante ou obscène, une décadence méphitique de passions et d’émotions mal utilisées. Pourtant le mystère de la procréation n’a d’égal que celui du Souffle – les deux sont la Vie, initiale et fondamentale. Oui ! L’union mystique se résume trop souvent à une simple coucherie, une excitation primaire, une vulgaire copulation ; » (Axiomata 11) De l’auto-sexualité à « l’union idéale entre une femme virile et un homme efféminé, l’acte charnel ne retrouve son orginel caractère cérébral qu’à travers cet Amour de Soi et son partage, sa diffusion – une fois nos corps affranchis de la gangue de morale castratrice et infondée (celle que nous ont inculquées les principales religions monothéistes) ».
La Posture de la Mort
Cette pratique des yogis hindous s’appre à une extase vide de tout contenu, le corps se trouvant complètement détendu et la volonté au repos. « Allongé sur votre dos, paresseusement, le corps exprimant tout entier la sensation du bâillement », vous pouvez ainsi vous libérer de toutes les entraves du quotidien (stress, tensions, craintes, doutes…) – le but étant plus ou moins d’oublier ce fardeau qu’est la conscience du Soi ; De plus, A.O.S. considérait que cette position de relaxation favorisait la communion avec Kia, dans un élan de Non-Négation (là encore on pourrait établir un lien avec une expression bouddhique : « le vide du vide », c’est-à-dire l’annulation de tous les concepts possibles et concevables, un affranchissement absolu des conditions auxquelles l’homme est généralement accroché, un univers d’absence : Neither/Neither World).
Le Système des Sceaux
La première formule sigillique apparaît dans Un Livre de Satyres où A.O.S. signe ses croquis d’un monogramme, combinaison stylisée des initiales de son nom. Ces sigles (ou sceaux) étant « les monogrammes de la pensée pour le gouvernement de l’énergie » (Book of Pleasure), ce système de visualisation a des buts créatifs et aspire à concrétiser et matérialiser nos souhaits les plus profonds. Cependant, la conscience de ce souhait, de ce désir, est l’obstacle même à sa réalisation : « nous ’sommes’ ce que nous désirons, donc nous ne pouvons rien obtenir. Ne désirez rien et il n’y a rien que vous ne pourrez réaliser. » Ainsi ne suffit-il point de désirer ardemment une chose et de la visualiser sous forme sigillisée, il faut surtout se détacher de ce désir et l’évacuer… « Pour être vrai, le désir se doit d’être organique et subconscient. Ce désir peut seulement devenir organique au cours d’un moment de vacuité en lui donnant (la) forme (d’un sceau). Lorsque l’on prend conscience de la forme ainsi sigillisée, il faut la réprimer et délibérément tenter de l’oublier… Alors elle devient active et dominante pendant ce moment d’inconscience ; sa forme lui permettant d’être rattachée au subconscient et de le nourrir. Finalement, le désir devient organique et se réal-ise. »
Là encore les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît. Prenons pour exemple ce diagramme, ou sceau, que A.O.S. effectua à partir du mot désignant la chose désirée (la force du tigre, en l’occurrence) :
Il combine le désir actuel (la force) à la couche de l’inconscient à atteindre (l’atavisme du tigre). Il considérait effectivement l’inconscient comme la forme pure et limpide de tout génie et de l’inspiration, car il porte en lui les connaissances acquises lors de nos existences passées. Nul besoin pour autant de souscrire aux hypothèses réincarnationistes : il est juste nécessaire de remonter aux sources, les atavismes en question (et l’on pourrait allègrement s’aventurer à émettre l’idée que ce ne sont ni plus ni moins que des transmissions génétiques contenues dans l’ADN). Ce n’est qu’à travers ce cheminement complexe dans les ramifications d’une mémoire anesthésiée, et après avoir anéantit ce parasite qu’est la conscience de soi, que A.O.S. entend remonter au Principe Universel…
BREF
A.O.S. réalisa qu’afin de (re)devenir dieu, ou plutôt de réintégrer ce qu’il convient de nommer le Principe Universel, l’homme doit régresser jusqu’à l’état primaire ou originel de la conscience, aux tous premiers soubresauts de celle-ci. Pour ce faire, il a laissé derrière lui une conception de la magie comme processus de changement, d’amélioration et surtout de Création. Une magie sans dogmes ni rituels fixes où l’Individu est souverain ; une magie pour les ascètes et introvertis, laissant cérémonials pompeux et rites kitschs aux frustrés qui se pâment dans le dilettantisme de la pourriture et aux mages de foire. Grâce aux soins de son disciple Kenneth Grant, ses recherches trouveront un certain écho dans les années 1960s où d’autres initiés prendront le relais en peaufinant la Magie du Chaos – les Illuminés de Thanateros. L’I.O.T. qui semble par ailleurs toucher une certaine frange de la scène underground contemporaine, au vu des productions du label Asafoetida (FIRE+ICE, DEATH IN JUNE, BLOOD AXIS, STRENGTH THROUGH JOY, CHANGES…) dont les bénéfices sont reversés en partie à cet Ordre. Un héritage que revendique également l’ineffable Genesis P-Orridge avec son groupe PSYCHIC TV (« New Sexuality », le livret de l’album Allegory & Self illustré par quelques Satyres, publication via Temple Press d‘ouvrages inédits d‘A.O.S. et consorts…). Dans une veine similaire, l’on pourrait aussi citer COIL, CURRENT 93, NEITHER/NEITHER WORLD etc. Tous semblent aspirer à la même libération de la matière par l’esprit. Tous ont saisi le but ultime de l’homme – « dérober le feu du Paradis : le plus grand acte de bravoure qui puisse exister… »
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
* d’A.O.S. : The Book of Pleasure (Self-Love), édition privée ; Un Livre de Satyres Les Presses de Babalon ; Axiomata / Le Sabbat des Sorcières Les Presses de Babalon ; Anathema of Zos in « Fenris Wolf, No.3 » Psychick Release ; Ethos I-h-o Books.
* autres sources Austin Osman Spare et le Zos kia par Adénosine Triphosphate (Editions du Chaos) ; Zos : the New Flesh of Desire, collectif (Michel Staley éditions) ; What Is Chaos Magick ? par Damien G. Anderson (Primal Chaos).
Austin Osman Spare : Ch+aos, Amadeo. Texte sous contrat Creative Commons, (publication originale dans Ostia).
Austin Osman Spare : Ch+aos
Spare est, avec Aleister Crowley, l’une des figures les plus énigmatiques et emblématiques du revival occulte du XXème siècle. Emergeant en même temps que la théosophie scabreuse de H.P. Blavatsky et les relents rosicruciens de l’Ordre Hermétique de l’Aube Dorée, il méprise ses contemporains et préfère utiliser ses capacités artistiques comme véhicule d’expression pour ses travaux liés à la magie. Il a réalisé très tôt ce potentiel que l’Art a de corporiser des choses, de la chair – restaurant par là-même l’art à son propos originel et rendant ses lettres de noblesse à : l’Ars Magica.
SA VIE, SON ŒUVRE
C’est du côté de Snowhill, le 31 / 12 / 1886, que naît Austin Osman Spare, issu d’une famille modeste. Encore que l’on serait tenté d’imaginer sa naissance à la manière du nourrisson Ossie dans le film Velvet Goldmine : une cigogne supraterrestre déposant le landau de ce génie au seuil d’une maisonnée Londonienne… Doté d’un talent certain, il suit les cours du soir de dessin à l’Art school de Lambeth dès l’âge de sept ans. Bénéficiant par la suite d’une bourse, il entre au Royal College of Art en 1902, où il jouira d’une singulière réputation (en partie due à ses airs de dandy sinistre et à sa lucidité fortement parfumée d’amertume). Digne héritier du Dr John Dee et de William Blake, à sa pratique de l’écriture et du dessin automatiques, il faut ajouter qu’il baigne rapidement dans des volutes d’ésotérisme par l’entremise de son mentor, Mrs Paterson. Cette médium d’un grand âge prétendument initiée à une Tradition Sabbatique ancestrale va initier le jeune Austin aux arts magiques et lui donner envie d’approfondir ses recherches.
Après s’être penché sur le taoïsme chinois, il rejoint les rangs de la Golden Dawn, fameux cercle d’études hermétiques dont la pompe et paillettes invisibles attiraient moult artistes (tels que le poète visionnaire William Butler Yeats, l’écrivain angoissé Arthur Machen, l’actrice Fiona Burr…). Pour l’occasion, il se rebaptise Frater Yihoveaum. Surnom de courte durée puisque le cyclone Crowley s’abat sur l’Aube Dorée et détourne l’attention de notre jeune recrue. A.O.S. suit alors le nouvel ordre que fonde vers 1909 le Maître Thérion : l’Astrum Argentinum. Il est bien connu qu’une forte personnalité en attire toujours une autre jusqu’à l’inévitable clash – aussi les forces telluriques qui ont uni Spare et Crowley ne tardent donc pas à les séparer… A la fin de cette incarnation terrestre, A.O.S. désigne toutefois l’ancien secrétaire de la « Bête 666 » (un pseudonyme d’Aleister C., parmi tant d’autres), Kenneth Grant (par ailleurs membre de l’Ordo Templis Orientis, autre branche dissidente de la G.D.), comme exécuteur testamentaire de ses œuvres, puis s’éteint en 1956 dans un taudis Londonien.
A l’instar de Crowley, A.O.S. meurt donc dans une misère noire, sans que son travail ne reçoive l’attention u’il mérite. Et pour cause, ses recherches sont éclipsées par le flamboyant train de vie d’occultistes comme Mathers ou Crowley, dont les vont jusqu’à défrayer les fastes chroniques mondaines. Loin des scandales, intrigues et conflits menés afin de diriger tel ou tel Ordre, A.O.S. méprise l’exubérance de la magie cérémonielle (qui se résume à ses yeux à un « marasme de l’imagination et à un chaos de conditions ») et préconise une magie individuelle aspirant à « intensifier le normal ». En effet, comment se libérer des contraintes et des entraves quotidiennes en s’imposant de nouvelles disciplines et astreintes (ie. rituelles) ? C’est sa vision originale et éminemment personnlle de la magie qu’il livre tout au long du Book of Pleasure (Self-Love) (1913) dans lequel transparaît l’intérêt qu’il porte à la psychologie – et plus particulièrement aux idées de Carl Jung. Des réflexions qu’il affine dans son recueil de maximes pertinentes, Axiomata. Après quoi sa plume s’envenime le temps d’un Anathema of Zos… Zos parle dans son sommeil et, à son réveil, a la surprise de voir un amas « de mendiants, de parias, de fornicateurs, d’adultères, de ventres dilatés… » s’amonceler autour de lui et le supplier de leur apprendre sa religion et sa sagesse. Also spracht Zos : « C’est avec brutalité que j’enseignerai les Evangiles du suicide de l’âme et de la contraception – mais certainement pas celui de la préservation et encore moins celui de la procréation ! Bande d’abrutis ! Vous vous fourvoyez dans la croyance ue l’Ego est éternel, répondant ainsi un désir depuis longtemps perdu. Toute chose procède du désir – des jambes du poisson aux ailes du serpent. C’est ainsi que votre âme a été engendrée. Écoutez, O, Vermines ! L’HOMME A VOULU L’HOMME ! Vos désirs se matérialisent, vos rêves deviennent réalité et rien ne saurait altérer la portée de cette Vérité. » On reconnaîtra dans cette encre plongée dans une marmite de v.i.t.r.i.o.l., ainsi que dans son livre illustré The Witches’ Sabbath, le ton d’un homme qui sait ce qu’il avance… Côté graphique, la vitalité organique de son trac coulant et assuré est plus remarquable encore dans sa gallégorie de portraits, le bien-nommé Book of Satyrs. Enfin, il semblerait que Fulgur (BCM Fulgur / London WC1N 3XX / Albion) ait retrouvé et édité pour la première fois les épreuves de l’inachevé Book of Ugly Ecstasy, qui contient 23 peintures inédites. Et pour clore ce bref tour d’horizon, First impressions a compilé les œuvres complètes d’A.O.S. sous le titre From the Inferno to Zos (épuisé depuis et fort côté).
ZOS KIA
Zos / Kia
« Le corps considéré comme un tout, voilà ce que je nomme Zos. » (Book of Pleasure, soit tout ce qui est incarné et manifeste – l’Ego aperceptif qui s’apprête à ’recevoir’ le Kia. En préface du Livre du Plaisir, A.O.S. définit Kia – le contrepoint de Zos – comme étant « la liberté absolue qui, étant libre, est suffisamment puissante pour être la ’réalité’ de tout temps ; par conséquent elle n’expose jamais son potentiel et ne se manifeste pas par le biais des idées ou de techniques diverses, mais par l’entremise de l’Ego qui est apte à la recevoir, c’est-à-dire l’Ego qui s’est débarrassé des idées que l’on peut se faire au sujet de Kia, un Ego qui se serait libéré d’une éventuelle foi en Kia. Moins il en est dit sur Kia, moins sa perception paraît obscure. » Ce n’est donc que lorsque le microcosme (en l’occurrence l’homme pétrit de chair, d’os, d’eau et de sang) transcende la conscience de Soi qu’il est à même de reconnaître sa ressemblance avec le macrocosme, le Soi nébuleux (aussi appelé le ’Je’ atmosphérique – ou, plus globalement, l’Un, l’Essence Divine etc.). Mais la vive et nostalgique aspiration de Zos à retrouver l’union originelle avec Kia ne peut se faire sans fournir « l’effort du souvenir » (cf. la Résurgence Atavique plus bas).
Zos Kia Cultus
En voici le manifeste :
« Notre Livre Sacré : le Livre du Plaisir. Notre Voie : le sentier éclectique entre les extases ; la voie précaire du funambule. Notre Divinité : la femme Toute-Puissante (et j’errais à ses côtés le long du chemin direct…). Notre Foi : (et à nouveau je dis que voilà votre grand moment de réalité : ) la chair vivante / Zos. Notre Sacrement : les Saints Concepts Intercalaires. Notre Mot : pas d’importance – nul besoin. Notre Demeure Éternelle : l’état mystique de Non-Négation ; le « je » atmosphérique / Kia. Notre Loi : le trépas de toutes les lois. »
CONTRIBUTIONS A L’OCCULTISME CONTEMPORAIN
New Sexuality
Plus l’apparence des choses est compacte et plus les illusions du Réel-Réel (pour reprendre les termes du regretté Cpm et de la fraternité Norma Loy) prennent de l’importance, au point d’en devenir presque palpables/concrètes, et dénoncent une simulation. D’où l’urgente nécessité de s’en détacher, de démanteler ces illusions harassantes. L’Amour de Soi (et non du Soi) participe à cette thérapie d’assainissement et n’a bien entendu rien à voir avec les orgiaques bacchanales qui ont pu se tenir dans l’Abbaye de Cefalu « les extases hideuses – l’humanité est majoritairement composée d’adolescents rigides et d’obsédés sexuels qui font de l’Acte même une banalité dégradante ou obscène, une décadence méphitique de passions et d’émotions mal utilisées. Pourtant le mystère de la procréation n’a d’égal que celui du Souffle – les deux sont la Vie, initiale et fondamentale. Oui ! L’union mystique se résume trop souvent à une simple coucherie, une excitation primaire, une vulgaire copulation ; » (Axiomata 11) De l’auto-sexualité à « l’union idéale entre une femme virile et un homme efféminé, l’acte charnel ne retrouve son orginel caractère cérébral qu’à travers cet Amour de Soi et son partage, sa diffusion – une fois nos corps affranchis de la gangue de morale castratrice et infondée (celle que nous ont inculquées les principales religions monothéistes) ».
La Posture de la Mort
Cette pratique des yogis hindous s’appre à une extase vide de tout contenu, le corps se trouvant complètement détendu et la volonté au repos. « Allongé sur votre dos, paresseusement, le corps exprimant tout entier la sensation du bâillement », vous pouvez ainsi vous libérer de toutes les entraves du quotidien (stress, tensions, craintes, doutes…) – le but étant plus ou moins d’oublier ce fardeau qu’est la conscience du Soi ; De plus, A.O.S. considérait que cette position de relaxation favorisait la communion avec Kia, dans un élan de Non-Négation (là encore on pourrait établir un lien avec une expression bouddhique : « le vide du vide », c’est-à-dire l’annulation de tous les concepts possibles et concevables, un affranchissement absolu des conditions auxquelles l’homme est généralement accroché, un univers d’absence : Neither/Neither World).
Le Système des Sceaux
La première formule sigillique apparaît dans Un Livre de Satyres où A.O.S. signe ses croquis d’un monogramme, combinaison stylisée des initiales de son nom. Ces sigles (ou sceaux) étant « les monogrammes de la pensée pour le gouvernement de l’énergie » (Book of Pleasure), ce système de visualisation a des buts créatifs et aspire à concrétiser et matérialiser nos souhaits les plus profonds. Cependant, la conscience de ce souhait, de ce désir, est l’obstacle même à sa réalisation : « nous ’sommes’ ce que nous désirons, donc nous ne pouvons rien obtenir. Ne désirez rien et il n’y a rien que vous ne pourrez réaliser. » Ainsi ne suffit-il point de désirer ardemment une chose et de la visualiser sous forme sigillisée, il faut surtout se détacher de ce désir et l’évacuer… « Pour être vrai, le désir se doit d’être organique et subconscient. Ce désir peut seulement devenir organique au cours d’un moment de vacuité en lui donnant (la) forme (d’un sceau). Lorsque l’on prend conscience de la forme ainsi sigillisée, il faut la réprimer et délibérément tenter de l’oublier… Alors elle devient active et dominante pendant ce moment d’inconscience ; sa forme lui permettant d’être rattachée au subconscient et de le nourrir. Finalement, le désir devient organique et se réal-ise. »
La Résurgence Atavique
Là encore les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît. Prenons pour exemple ce diagramme, ou sceau, que A.O.S. effectua à partir du mot désignant la chose désirée (la force du tigre, en l’occurrence) :
Il combine le désir actuel (la force) à la couche de l’inconscient à atteindre (l’atavisme du tigre). Il considérait effectivement l’inconscient comme la forme pure et limpide de tout génie et de l’inspiration, car il porte en lui les connaissances acquises lors de nos existences passées. Nul besoin pour autant de souscrire aux hypothèses réincarnationistes : il est juste nécessaire de remonter aux sources, les atavismes en question (et l’on pourrait allègrement s’aventurer à émettre l’idée que ce ne sont ni plus ni moins que des transmissions génétiques contenues dans l’ADN). Ce n’est qu’à travers ce cheminement complexe dans les ramifications d’une mémoire anesthésiée, et après avoir anéantit ce parasite qu’est la conscience de soi, que A.O.S. entend remonter au Principe Universel…
BREF
A.O.S. réalisa qu’afin de (re)devenir dieu, ou plutôt de réintégrer ce qu’il convient de nommer le Principe Universel, l’homme doit régresser jusqu’à l’état primaire ou originel de la conscience, aux tous premiers soubresauts de celle-ci. Pour ce faire, il a laissé derrière lui une conception de la magie comme processus de changement, d’amélioration et surtout de Création. Une magie sans dogmes ni rituels fixes où l’Individu est souverain ; une magie pour les ascètes et introvertis, laissant cérémonials pompeux et rites kitschs aux frustrés qui se pâment dans le dilettantisme de la pourriture et aux mages de foire. Grâce aux soins de son disciple Kenneth Grant, ses recherches trouveront un certain écho dans les années 1960s où d’autres initiés prendront le relais en peaufinant la Magie du Chaos – les Illuminés de Thanateros. L’I.O.T. qui semble par ailleurs toucher une certaine frange de la scène underground contemporaine, au vu des productions du label Asafoetida (FIRE+ICE, DEATH IN JUNE, BLOOD AXIS, STRENGTH THROUGH JOY, CHANGES…) dont les bénéfices sont reversés en partie à cet Ordre. Un héritage que revendique également l’ineffable Genesis P-Orridge avec son groupe PSYCHIC TV (« New Sexuality », le livret de l’album Allegory & Self illustré par quelques Satyres, publication via Temple Press d‘ouvrages inédits d‘A.O.S. et consorts…). Dans une veine similaire, l’on pourrait aussi citer COIL, CURRENT 93, NEITHER/NEITHER WORLD etc. Tous semblent aspirer à la même libération de la matière par l’esprit. Tous ont saisi le but ultime de l’homme – « dérober le feu du Paradis : le plus grand acte de bravoure qui puisse exister… »
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
* d’A.O.S. : The Book of Pleasure (Self-Love), édition privée ; Un Livre de Satyres Les Presses de Babalon ; Axiomata / Le Sabbat des Sorcières Les Presses de Babalon ; Anathema of Zos in « Fenris Wolf, No.3 » Psychick Release ; Ethos I-h-o Books.
* autres sources Austin Osman Spare et le Zos kia par Adénosine Triphosphate (Editions du Chaos) ; Zos : the New Flesh of Desire, collectif (Michel Staley éditions) ; What Is Chaos Magick ? par Damien G. Anderson (Primal Chaos).