.i vous vous promenez dans un musée suffisamment grand, vous remarquerez que Van Gogh ne peint pas le même monde que Rembrandt, Picasso ne voit pas les choses comme Goya, les œuvres de Georgia O’Keefe ne ressemblent pas beaucoup à Rivera, Salvador Dali ne ressemble à personne d’autre que lui-même, et, en général, aucun artiste de classe mondiale n’est devenu un « classique » en faisant ce que quelqu’un d’autre avait déjà fait ou même ce que tout le monde à cette époque a pu réaliser.
Et dans les sciences, les noms d’Einstein, Dirac, les Curie, Bohr, Heisenberg, Schrödinger, John Bell, etc. subsistent, car aucun d’entre eux n’a considéré les découvertes de Newton comme le Saint Évangile : ils ont tous produit des innovations uniques et imprévisibles du point de vue des théories de base.
Et, si vous pensez que cela s’applique uniquement aux « arts et aux sciences »,considérez les individus qui ont le mieux réussi dans l’industrie. Henry Ford n’a pas fait fortune en copiant le bateau à vapeur de Fulton, il a fait une voiture si bon marché que n’importe qui pouvait se l’offrir.
Howard Hughes a produit des films que personne d’autre n’aurait osé faire, et par la suite, il révolutionna l’industrie du transport aérien. Buckminster Fuller n’a pas choisi de copier la forme cubique classique en usage chez les architectes précédents, mais a inventé le dôme géodésique ; au dernier décompte, plus de 300 000 de ses bâtiments existent, faisant de lui l’architecte qui a le plus visiblement réussi dans l’histoire de notre espèce. Steve Wozniak ne copie pas les ordinateurs de son époque, mais en invente un que même un « foutu idiot » (comme moi) pourrait utiliser (et même apprécier !) Bill Gates a créé de nouveaux types de logiciels. Etc.
Nous avons tous besoin de la répétition constante de ces truismes parce que nous vivons dans un monde où une multitude de forces très puissantes ont travaillé sur nous, de la naissance, en passant par l’école jusqu’au travail, en essayant de supprimer notre individualité, notre créativité et, surtout, notre curiosité – bref, de détruire tout ce qui nous encourageait à penser par nous-mêmes.
Nos parents voulaient que nous agissions comme les autres enfants de notre quartier, ils ne voulaient catégoriquement pas d’un garçon ou d’une fille qui semblait « bizarre » ou « différent » ou « diablement trop intelligent ».
Ensuite, nous entrons à l’école primaire, un sort pire que la mort et l’enfer réunis. Que nous atterrissions dans une école publique ou une école religieuse privée, nous apprenons deux leçons fondamentales: 1) Il existe une seule bonne réponse pour chaque question et 2) l’éducation consiste à mémoriser la réponse correcte et à la régurgiter lors d’un « examen ».
La même tactique se poursuit lors des études secondaires et, mis à part les sciences, même à l’université.
Tout au long de cette « éducation », nous nous trouvons bombardés par la religion organisée. La plupart des religions, dans cette partie du monde, nous enseignent aussi « une bonne réponse », que nous devrions accepter avec une foi aveugle ; pire, ils tentent de nous terroriser avec des menaces post-mortem où nous serions condamnés à rôtir, griller et carboniser, si jamais nous osions commencer à penser, ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Après 18 à 30 ans de tout cela, nous entrons dans le marché du travail, et apprenons à devenir, ou tenter de devenir, presque sourd, muet et aveugle. Nous devons toujours dire à nos « supérieurs » ce qu’ils veulent entendre, ce qui convient à leurs préjugés et/ou leurs fantasmes et leurs désirs. Si nous remarquons quelque chose qu’ils ne veulent pas savoir, nous apprenons à nous taire. Sinon : « Un mot de plus, et je te vire ! »
Comme mon gourou mahatma JR « Bob » Dobbs le dit si bien: « Vous savez à quel point le gars moyen est stupide ? Eh bien, mathématiquement, par définition, la moitié d’entre eux est encore plus bête que cela ».
« Bob » peut avoir confondu la moyenne avec la médiane, mais néanmoins il a fait mouche. La moitié des gens que vous rencontrez peuvent en effet sembler plus bêtes qu’une caisse pleine de cailloux, mais ils n’ont pas commencé de cette façon. Les parents, les conformistes, les écoles, les églises, les publicitaires et les employeurs les ont rendus comme ça. Tous les bébés à la naissance ont un tempérament curieux et expérimentent sans relâche. Il faut au moins le premier tiers de notre vie pour détruire la curiosité et le goût pour l’expérimentation, mais dans la plupart des cas, nous devenons les composantes placides d’un troupeau docile.
Ce troupeau humain. Nous commençons tous comme des génies potentiels, avant que le complot tacite de la conformité sociale ne nous flétrisse le cerveau. Mais on peut tous racheter la liberté perdue, si nous y travaillons assez dur.
J’ai travaillé à ça pendant 50 ans maintenant, et je trouve encore des parties de moi qui agissent comme un robot ou un zombie à l’occasion. « Apprendre à devenir ce que vous êtes » (pour reprendre l’expression de Nietzsche) prend toute une vie. Mais il semblerait que ça reste encore le meilleur jeu qui puisse en valoir la chandelle.
Devenir ce que nous sommes, Robert Anton Wilson. Traduction française par Nagwal, 2011.
.i vous vous promenez dans un musée suffisamment grand, vous remarquerez que Van Gogh ne peint pas le même monde que Rembrandt, Picasso ne voit pas les choses comme Goya, les œuvres de Georgia O’Keefe ne ressemblent pas beaucoup à Rivera, Salvador Dali ne ressemble à personne d’autre que lui-même, et, en général, aucun artiste de classe mondiale n’est devenu un « classique » en faisant ce que quelqu’un d’autre avait déjà fait ou même ce que tout le monde à cette époque a pu réaliser.
Et dans les sciences, les noms d’Einstein, Dirac, les Curie, Bohr, Heisenberg, Schrödinger, John Bell, etc. subsistent, car aucun d’entre eux n’a considéré les découvertes de Newton comme le Saint Évangile : ils ont tous produit des innovations uniques et imprévisibles du point de vue des théories de base.
Et, si vous pensez que cela s’applique uniquement aux « arts et aux sciences »,considérez les individus qui ont le mieux réussi dans l’industrie. Henry Ford n’a pas fait fortune en copiant le bateau à vapeur de Fulton, il a fait une voiture si bon marché que n’importe qui pouvait se l’offrir.
Howard Hughes a produit des films que personne d’autre n’aurait osé faire, et par la suite, il révolutionna l’industrie du transport aérien. Buckminster Fuller n’a pas choisi de copier la forme cubique classique en usage chez les architectes précédents, mais a inventé le dôme géodésique ; au dernier décompte, plus de 300 000 de ses bâtiments existent, faisant de lui l’architecte qui a le plus visiblement réussi dans l’histoire de notre espèce. Steve Wozniak ne copie pas les ordinateurs de son époque, mais en invente un que même un « foutu idiot » (comme moi) pourrait utiliser (et même apprécier !) Bill Gates a créé de nouveaux types de logiciels. Etc.
Nous avons tous besoin de la répétition constante de ces truismes parce que nous vivons dans un monde où une multitude de forces très puissantes ont travaillé sur nous, de la naissance, en passant par l’école jusqu’au travail, en essayant de supprimer notre individualité, notre créativité et, surtout, notre curiosité – bref, de détruire tout ce qui nous encourageait à penser par nous-mêmes.
Nos parents voulaient que nous agissions comme les autres enfants de notre quartier, ils ne voulaient catégoriquement pas d’un garçon ou d’une fille qui semblait « bizarre » ou « différent » ou « diablement trop intelligent ».
Ensuite, nous entrons à l’école primaire, un sort pire que la mort et l’enfer réunis. Que nous atterrissions dans une école publique ou une école religieuse privée, nous apprenons deux leçons fondamentales: 1) Il existe une seule bonne réponse pour chaque question et 2) l’éducation consiste à mémoriser la réponse correcte et à la régurgiter lors d’un « examen ».
La même tactique se poursuit lors des études secondaires et, mis à part les sciences, même à l’université.
Tout au long de cette « éducation », nous nous trouvons bombardés par la religion organisée. La plupart des religions, dans cette partie du monde, nous enseignent aussi « une bonne réponse », que nous devrions accepter avec une foi aveugle ; pire, ils tentent de nous terroriser avec des menaces post-mortem où nous serions condamnés à rôtir, griller et carboniser, si jamais nous osions commencer à penser, ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Après 18 à 30 ans de tout cela, nous entrons dans le marché du travail, et apprenons à devenir, ou tenter de devenir, presque sourd, muet et aveugle. Nous devons toujours dire à nos « supérieurs » ce qu’ils veulent entendre, ce qui convient à leurs préjugés et/ou leurs fantasmes et leurs désirs. Si nous remarquons quelque chose qu’ils ne veulent pas savoir, nous apprenons à nous taire. Sinon : « Un mot de plus, et je te vire ! »
Comme mon gourou mahatma JR « Bob » Dobbs le dit si bien: « Vous savez à quel point le gars moyen est stupide ? Eh bien, mathématiquement, par définition, la moitié d’entre eux est encore plus bête que cela ».
« Bob » peut avoir confondu la moyenne avec la médiane, mais néanmoins il a fait mouche. La moitié des gens que vous rencontrez peuvent en effet sembler plus bêtes qu’une caisse pleine de cailloux, mais ils n’ont pas commencé de cette façon. Les parents, les conformistes, les écoles, les églises, les publicitaires et les employeurs les ont rendus comme ça. Tous les bébés à la naissance ont un tempérament curieux et expérimentent sans relâche. Il faut au moins le premier tiers de notre vie pour détruire la curiosité et le goût pour l’expérimentation, mais dans la plupart des cas, nous devenons les composantes placides d’un troupeau docile.
Ce troupeau humain. Nous commençons tous comme des génies potentiels, avant que le complot tacite de la conformité sociale ne nous flétrisse le cerveau. Mais on peut tous racheter la liberté perdue, si nous y travaillons assez dur.
J’ai travaillé à ça pendant 50 ans maintenant, et je trouve encore des parties de moi qui agissent comme un robot ou un zombie à l’occasion. « Apprendre à devenir ce que vous êtes » (pour reprendre l’expression de Nietzsche) prend toute une vie. Mais il semblerait que ça reste encore le meilleur jeu qui puisse en valoir la chandelle.