Hakim Bey

Communiqué n°6 de l’Association pour l’Anarchisme Ontologique

stalin 1029494 1920 - Communiqué n°6 de l’Association pour l’Anarchisme Ontologique

I. Salon Apocalypse : « Théâtre Secret ».

Aussi longtemps qu’aucun Staline ne nous soufflera dans le cou, pourquoi ne pas faire un peu d’art au service d’une… insurrection ?

Qu’importe que cela soit « impossible ». Que pouvons-nous espérer atteindre d’autre que l’impossible ? Devrions-nous attendre que quelqu’un d’autre révèle nos véritables désirs ?

Si l’art est trépassé, ou que l’audience s’est évaporée, alors nous sommes libérés de deux poids morts. Potentiellement, tout le monde est, aujourd’hui, une sorte d’artiste – & potentiellement toute audience a retrouvé son innocence, sa capacité à devenir l’art dont elle fait l’expérience.

Si nous pouvons échapper aux musées que nous portons en nous ; si nous pouvons arrêter de nous vendre des tickets pour les galeries de nos propres crânes ; alors nous pouvons commencer à contempler un art qui recrée le but du sorcier : modifier la structure de la réalité par la manipulation de symboles vivants (dans le cas présent, les images qui nous ont été « données » par les organisateurs de ce salon – meurtre, guerre, famine & avidité).

Il se pourrait que nous puissions contempler des actes esthétiques possédant un peu de la résonnance du terrorisme (ou de la « cruauté » ainsi qu’Artaud le disait) dirigé vers la destruction des abstractions plutôt que celle des gens, vers la libération plutôt que vers le pouvoir, le plaisir plutôt que le profit, la joie plutôt que la peur. Du « terrorisme poétique ». Nos images favorites ont le pouvoir des ténèbres – mais les images sont des masques, & derrière ces masques résident les énergies que nous pouvons utiliser pour la lumière & le plaisir.

Par exemple, l’homme qui a inventé l’aïkido était un samouraï devenu pacifiste & qui refusait de se battre pour l’impérialisme japonais. Il devint ermite, vécut sur une montagne assis sous un arbre…

Un jour, un ancien camarade officier vint le voir & l’accusa de trahison, de couardise, etc. L’ermite ne dit rien, mais demeura assis – & l’officier entra en rage, sortit sont sabre & frappa. Le maître, sans arme, désarma spontanément l’officier & lui rendit son sabre. Encore & encore l’officier tenta de le tuer, usant de tous les kata de son répertoire – mais l’esprit vide de l’ermite inventa chaque fois une nouvelle parade pour le désarmer.

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L’officier, bien sûr, devint son premier disciple. Plus tard, ils apprirent comment éviter les balles. Nous pouvons admirer ici une certaine forme de métadrame destiné à subjuguer notre goût pour ce genre de performance qui a donné naissance à un art entièrement nouveau, une manière de se battre totalement non violente – une guerre sans meurtre, « le sabre de la vie » plutôt que de la mort.

Une conspiration d’artistes, aussi anonymes que des plastiqueurs fous, dirigée vers un acte de pure générosité gratuite plutôt que vers la violence – le millénium plutôt que l’apocalypse – ou plutôt, orientée vers le présent d’un choc esthétique au service de la réalisation & de la libération.

L’art raconte de merveilleux mensonges qui deviennent réalité.

Est-il possible de créer un THÉÂTRE SECRET dans lequel à la fois l’artiste & l’audience auraient totalement disparu – ne réapparaissant que sur un autre plan où vie & art seraient devenus une seule & même chose – une pure offrande de cadeaux ?

Note : le « Salon Apocalypse » fut organisé par Sharon Gannon en juillet 1986.

 II. Meurtre – Guerre – Famine – Avidité

Les manichéens & les cathares croyaient que le corps pouvait être spiritualisé – ou plutôt que le corps contaminait l’esprit pur & devait donc être rejeté avec force. Les perfecti gnostiques (dualistes radicaux) se laissaient mourir de faim afin d’échapper à leur corps & retourner dans le plérôme de pure lumière. Ainsi, pour échapper aux démons de la chair – meurtre, famine, guerre, avidité – il n’y a qu’une seule voie : le meurtre de son propre corps, la guerre à la chair, la famine jusqu’à la mort, l’avidité du salut.

Les monistes radicaux cependant (les ismaéliens, les harangueurs, les antinomiens) considèrent que le corps & l’esprit sont uns, que le même esprit qui imprègne une pierre noire infuse également sa lumière dans la chair ; que tout vit & que tout est vie.

« Les choses sont ce qu’elles sont spontanément… Tout est naturel… Toutes les choses sont en mouvement comme s’il y avait un Véritable Seigneur pour les mouvoir – mais si nous cherchons une preuve de ce Seigneur alors nous échouons à en trouver la moindre » (Kuo Hsiang).

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Paradoxalement, la voie moniste ne peut être également suivie qu’avec une certaine dose de « meurtre, de guerre, de famine, d’avidité » : la transformation de la mort en vie (en nourriture, négentropie) – la guerre contre l’Empire des Mensonges – « le jeûne de l’âme » ou la renonciation au Mensonge, à de tout ce qui n’est pas la Vie – & l’avidité pour la Vie elle-même, le pouvoir absolu du désir.

Plus encore : sans la connaissance des ténèbres (« la connaissance de la chair ») il ne peut exister de connaissance de la lumière (« gnose »). Les deux connaissances ne sont pas seulement complémentaires, disons qu’elles sont identiques, comme la même note jouée sur deux octaves différentes. Héraclite prétend que la réalité ne persiste que dans un état de « guerre ». Seules des notes en conflit peuvent produire de l’harmonie (« le Chaos est la somme de tous les ordres »). Donnez à ces quatre termes des masques du langage différents (surnommer les Furies les « Gentilles Petites Filles » n’est pas qu’un euphémisme, mais une manière de dévoiler encore plus de significations). Masqués, ritualisés, réalisés en tant qu’art, ces termes se vêtent de leur sombre beauté, de leur « Lumière Noire ».

Au lieu de meurtre, disons chasse, la pure économie paléolithique de toute société archaïque & non-autoritaire – « la vénerie », à la fois meurtre & consommation de la chair & voie de Vénus, du désir. Au lieu de guerre, disons insurrection, pas la révolution des classes & des pouvoirs, mais la rébellion éternelle, sombre, celle qui dévoile la lumière. Au lieu d’avidité, disons désir ardent, désir insoumis, amour fou. Et au lieu de famine, qui est une forme de mutilation, parlons de plénitude, de totalité, de surabondance, de générosité de soi s’épanouissant vers l’Autre.

Sans cette danse des masques, rien ne sera créé. La plus antique mythologie fait d’Éros le premier-né du Chaos. Éros, le sauvage qui apprivoise, est la porte que doit repasser l’artiste afin de revenir au Chaos, l’Unique, et ensuite re-retourner, revenir encore, portant les motifs de la beauté. L’artiste, le chasseur, le guerrier ; celui qui est à la fois passionné & tempéré, avide & altruiste, à la démesure. Nous devons être sauvés de tout salut qui nous sauve de nous-mêmes, de notre animal qui est aussi notre anima, notre force de vie même, ainsi que notre animus, notre pouvoir animant, qui peut aussi se manifester par la colère & l’avidité. BABYLONE nous a dit que notre chair était déjà « sauvée », déjà de la lumière – si la conscience elle-même est aussi une forme de chair, un éther palpable & vivant, alors nous n’avons nul besoin qu’une puissance intercède pour nous. Le désert, comme le dit Omar, c’est le paradis même maintenant.

La véritable propriété du meurtre revient à l’Empire, car seule la liberté est une vie totale. La guerre est babylonienne également – nulle personne libre ne mourra jamais pour l’accroissement d’un autre. La famine n’advient qu’avec la civilisation des sauveurs, des prêtres-rois – n’est-ce pas Joseph qui enseigna à Pharaon à spéculer sur les grains à venir ? L’avidité – pour de la terre, de la richesse symbolique, pour le pouvoir de déformer les âmes & les corps des autres pour leur propre salut – l’avidité, également, ne naît pas de la « Nature naturante », mais de l’endiguement & de la canalisation de toutes les énergies à la Gloire de l’Empire.

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Contre tout cela, l’artiste possède la danse des masques, la radicalisation absolue du langage, l’invention d’un « terrorisme poétique » qui frappera non pas les êtres vivants mais les idées malignes, les poids morts sur les cercueils de nos désirs. L’architecture de la suffocation & de la paralysie ne sera mise à bas que par notre totale célébration de tout – même des ténèbres.

Solstice d’été 1986.

Communiqué n°6 de l’Association pour l’Anarchisme Ontologique, Hakim Bey. Titre original « Communique #6 : I. Salon Apocalypse : ‘Secret Theater’, II. Murder–War–Famine–Greed ». Extrait de T. A. Z. , Autonomedia, Anti-copyright, 1985-1991.  Traduction française par Spartakus FreeMann au nadir de Libertalia, août 2011 e.v.

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Nouvelle version de KAosphOruS, le WebZine Chaote francophone. Ce projet est né en 2002 suite à une discussion avec un ami, Prospéro, qui fut à la source d’Hermésia, la Tortuga de l’Occulte. Le webzine alors n’était pas exclusivement dédié à la Magie du Chaos, mais après la disparition de son fondateur, il a évolué vers la version que vous pouvez aujourd’hui lire. L’importance de la Chaos Magic(k) ou Magie du Chaos grandit au sein de la scène magique francophone. Nous espérons apporter notre clou au cercueil… Melmothia & Spartakus FreeMann

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