Hakim Bey et l’internet par Hakim Bey & Spartakus FreeMann
À Tau AVDLB
« Je trouve l’Internet intéressant à mon sens car il semble posséder un potentiel libératoire – nous voulons découvrir son aspect psychédélique. Personnellement je suis de plus en plus pessimiste ; les trajectoires semblent toutes aboutir à une réduction de notre autonomie » (« Cybernetics & Entheogenics: From Cyberspace to Neurospace » par Peter Lamborn Wilson)
Hakim Bey l’hacktiviste… C’est ce que l’on peut lire depuis longtemps, ici et là sur l’internet. Hakim, « l’ayatollah de la révolte virtuelle », du détournement des réseaux binaires dans un but de contestation du réel. Rien n’est moins vrai ! S’il s’est engoué pour les premiers bits d’information échangés sur les ancêtres du Web, il s’est vite aperçu que l’outil – le média tactique – avait été récupéré, retourné et reconverti en arme de destruction massive de l’imaginal et du sociétal.
En réalité, la théorie d’Hakim Bey concernant le Net (ou « ensemble de tous les transferts d’informations et de communications ») et le Web (« le réseau non hiérarchique ») précède l’invention de l’Internet. Bey insiste sur le fait que le Web, tel qu’il le définit, ne dépend aucunement des ordinateurs ou de la technologie. Dans son « système », le Réseau est ce qu’il signifie au sens premier, social et humain, du terme : des sous-ensembles réunis par des moyens devant demeurer humains. Il n’a jamais – autrement que poétiquement, selon son habitude – envisagé une virtualisation des rapports entre les êtres vivants, bien au contraire. L’Internet ne devait jouer au mieux qu’un rôle d’outil temporaire dans la lutte intégrale contre le capitalisme global. Ainsi, « la séparation physique ne peut jamais être surmontée par l’électronique, mais bien par la « convivialité », la « vie ensemble » dans le sens physique du terme le plus littéral. Ce qui est physiquement divisé est également conquis & contrôlé. Les « Véritables Désirs » – érotiques, gustatifs, olfactifs, musicaux, esthétiques, psychiques & spirituels – sont bien mieux satisfaits dans un contexte de liberté de soi & des autres, dans la proximité physique & dans l’entraide. Tout le reste est, au mieux, une sorte de représentation. Toute la révolte contre la Civilisation peut être vue comme la tentative de recréer l’intimité autonome de la bande, la libre association des individus » (« L’Océan de Limonade & les Temps Modernes »).
Et quoi ? Aujourd’hui, en pleine jeunesse de ce siècle que l’on aurait voulu spirituel, nous sommes déjà plus de 2 milliards d’individus connectés passant la majeure partie de notre temps – libre ou de travail – à accepter l’illusion que nous sommes interconnectés. Chaque matin, on ouvre Facebook et on « voit » nos « amis », ce qu’ils « disent », ce qu’ils « font ». On répond, on aime, ou l’on est indifférent. Et soyons en certains, derrière ces écrans, il y a bien des « amis » réels, des êtres de chair et de sang, qui agissent ce qu’ils narrent, l’illusion est ailleurs, elle ressort de cette croyance à l’ubiquité alors que l’on sombre, tous, dans un appauvrissement des rapports humains sociaux réels. On regarde les révolutions, on clique « j’aime », on en parle le temps de la pause café, le temps de rien, le temps d’un oubli et l’on passe à Tatie Danièle qui vient de poster les photos de ses roses en fleur que l’on ne verra pas, car il y a bien longtemps que l’on ne visite plus réellement « l’amie » Tatie Danièle. À présent, il serait fou de nier que le Net puisse être encore aujourd’hui un outil dans la révolte, dans l’insurrection qui n’arrête plus de venir. Cependant, nous ici et maintenant ne devons pas sombrer dans le côté obscur du Net, car on finirait par ne vivre que par procuration électronique et le pouvoir pourrait alors se tranquilliser, car nous dormirions profondément devant nos lucarnes endiablées d’amis et autres vedettes fantomatiques…
Mais las. Avant de passer à l’extrait de l’interview, concluons notre propos en citant la TAZ : « L’existence du Web ne dépend d’aucune technologie informatique. Le langage parlé, le courrier, les fanzines marginaux, les «liens téléphoniques» suffisent déjà au développement d’un travail d’information en réseau. La clé n’est pas le niveau ou la nouveauté technologique, mais l’ouverture et l’horizontalité de la structure. Néanmoins le concept même du Net implique l’utilisation d’ordinateurs. Dans l’imaginaire de la science-fiction, le Net aspire à la condition de Cyberespace (comme dans Tron ou Le Neuromancien) et à la pseudo-télépathie de la «réalité virtuelle». En bon fan du Cyberpunk, je suis convaincu que le Reality hacking(6) jouera un rôle majeur dans la création des TAZs. Comme Gibson et Sterling, je ne pense pas que le Net officiel parviendra un jour à interrompre le Web ou le contre-Net. Le piratage de données, les transmissions non autorisées et le libre flux de l’information ne peuvent être arrêtés ».
Spartakus FreeMann, nadir de Libertalia, octobre 2011 e.v.
SM (Sasha Miltsov) : … Revenons au Net. Que penses-tu du mouvement anti-copyright qui est très actif sur l’Internet ?
HB (Hakim Bey) : Dans un sens, j’appelle l’Internet le « parfait miroir du capital global ». On rencontre le même genre de ruptures de frontières dans le globalisme ou dans l’économie globale que dans l’information sur l’Internet. C’est-à-dire que tout est un virus. Le Capital lui-même est viral par nature. Et l’Internet en est sa parfaite manifestation. Le fait même que tu ne puisses pas faire du fric avec concorde avec ce concept. Ce n’est pas identique, c’est le reflet du Capital : tout est différent, tout est à l’envers, mais c’est malgré tout une image en miroir. Et le résultat est que peu importe que tu penses l’utiliser en tant qu’arme contre le capitalisme, tu utilises cette structure qui est le Capital ! Purement et simplement.
En fin de compte il s’agit là de mon plus grand problème avec l’Internet. Ce n’est même pas la question de son contenu débile et de ses autres aspects, mais le fait que, in fine, il s’agit de Capital pur.
Et à cause de cette étrange inversion, d’étranges anomalies surviennent, comme ce problème de copyrights. Certains capitalistes font leur beurre grâce aux copyrights et ils sont contrariés si quelqu’un les freine. D’autres capitalistes font de l’argent là où il n’y a pas de copyright, lorsque tout circule librement. Mais ils ont déjà résolu l’équation : « tous les clients doivent être satisfaits » et ils peuvent le faire eux-mêmes sur l’Internet. Le Capitalisme n’a même pas à payer pour ça. Ils vendent les machines et ensuite les gens les utilisent en pensant qu’ils font là quelque chose d’indépendant ou même de critique vis-à-vis de l’économie. Tout ça participe du même bastringue.
C’est comme dire qu’il y a quelque chose de libérateur dans le téléphone. En fait, oui, d’une certaine manière ; mais d’une autre, non. Et ces deux facettes s’annulent. Le charme des téléphones, c’est que je peux t’appeler à Moscou pour parler, mais c’est également là le problème, car tu es à Moscou et je suis ici. Et ce n’est pas sociétal, c’est juste de la communication. La communication n’est pas la communauté.
Voilà quel est mon problème avec la situation actuelle de l’Internet, et il ne s’agit pas seulement de théorie, car ce que je vois ici en Amérique c’est que TOUTE l’activité de ce que nous appelons « la Gauche » est ENTIÈREMENT virtuelle ! Mis à part quelques communes ici et là, quelques jeteurs de bombes, quelques personnes détruisant des plants génétiquement modifiés. J’ai beaucoup de respect pour ces gens, même si je pense que leurs tactiques sont stupides, je les respecte néanmoins, car au moins ils font quelque chose.
Tous les autres sont simplement « en ligne », tout le temps. C’est exaspérant ! Exaspérant ! Tout particulièrement parce que je n’y participe pas. Si j’y participais, je sombrerais vite dans l’état hypnotique que cela induit.
SM : C’est l’illusion que quelque chose se passe réellement : on produit des pensées et les gens y réagissent.
HB : Tout à fait. Dans les années 70, il y avait un livre intitulé Quatre arguments pour l’élimination de la télévision écrit par Jerry Mander. L’un de ses arguments était très subtil ; les autres étaient bien moins clairs, et le dernier était assez difficile à comprendre. Et nombre de personnes ne le comprennent toujours pas. Il a dit, par exemple, imaginons que vous regardiez une heure de Public Broadcasting Service (NDT : réseau de télévision public américain disposant de 354 stations à travers les États-Unis) au sujet d’une quelconque putain de tribu indienne en voie de disparition. Et vous vous dites « Oh, mais c’est terrible ! » Vous sentez votre cœur saigner de chagrin. Et ensuite vous zappez sur un jeu télévisé. Et, au fond, ce qui se passe ici c’est que la télévision vous donne l’illusion de faire quelque chose, car vous avez gaspillé une heure, vous avez passé une heure à regarder ce mauvais programme télévisé, alors que vous auriez pu regarder le dernier film d’horreur ou autre chose de plus divertissant. Donc, vous avez fait quelque chose ! Vous avez sacrifié une heure de votre vie. Et maintenant vous savez des choses. Vous pouvez aller au travail demain et dire « vous savez au sujet de ces Indiens, et blablabla… », et tout le monde d’aller de son « Oh, les pauvres indiens ! » Et c’est tout ! C’est la fin.
Et la télévision s’assure en réalité que personne n’ira plus loin que ça.
SM : Oui, et si c’est déjà passé à la télé, alors pourquoi aller plus loin ? Après tout, les journalistes ont fait des recherches et ils ont été payés pour ça. Ensuite les gens ressentent le besoin de parler de quelque chose, alors pourquoi ne pas parler des Indiens aujourd’hui ?
HB : Et cela remplace totalement les relations humaines. Il y a des personnes qui pensent qu’elles ont des amis, mais en réalité ce ne sont que des personnes au travail qui parlent de la télévision.
Une femme m’a raconté s’être disputée avec sa mère des années plus tôt avant finalement de se réconcilier. Elle a voyagé des milliers de kilomètres afin de rendre visite à sa mère et aussitôt qu’elle est entrée chez elle, la mère a dit « Oh, il y a une émission spéciale à la télé que je dois regarder maintenant ». Elle a répondu « Mais maman, je pensais que nous étions en train de nous réconcilier et maintenant tu vas regarder une émission de télé ? » La mère a répondu, « Tu ne comprends pas. Je bosse pour vivre et mes seuls amis sont les gens avec qui je travaille et cette émission est celle dont nous discutons tous les jeudis. Je dois la regarder ou je n’aurai rien à dire à mes amis. Tu vas devoir attendre. »
Eh bien, on peut ressentir une certaine sympathie pour la mère, car c’est tout ce qui lui reste du social.
Hakim Bey et l’internet. Extrait de l’interview de Hakim Bey par Sasha Miltsov : « We had a war in 1968 and we lost but apparently we haven’t realized it, so instead of retreating we do this ritual of repeating the prayers of the 1960s. » – Arthur Magazine, 2007. Traduction française par Spartakus FreeMann, nadir de Libertalia, octobre 2011 e.v.
Hakim Bey et l’internet par Hakim Bey & Spartakus FreeMann
À Tau AVDLB
« Je trouve l’Internet intéressant à mon sens car il semble posséder un potentiel libératoire – nous voulons découvrir son aspect psychédélique. Personnellement je suis de plus en plus pessimiste ; les trajectoires semblent toutes aboutir à une réduction de notre autonomie » (« Cybernetics & Entheogenics: From Cyberspace to Neurospace » par Peter Lamborn Wilson)
Hakim Bey l’hacktiviste… C’est ce que l’on peut lire depuis longtemps, ici et là sur l’internet. Hakim, « l’ayatollah de la révolte virtuelle », du détournement des réseaux binaires dans un but de contestation du réel. Rien n’est moins vrai ! S’il s’est engoué pour les premiers bits d’information échangés sur les ancêtres du Web, il s’est vite aperçu que l’outil – le média tactique – avait été récupéré, retourné et reconverti en arme de destruction massive de l’imaginal et du sociétal.
En réalité, la théorie d’Hakim Bey concernant le Net (ou « ensemble de tous les transferts d’informations et de communications ») et le Web (« le réseau non hiérarchique ») précède l’invention de l’Internet. Bey insiste sur le fait que le Web, tel qu’il le définit, ne dépend aucunement des ordinateurs ou de la technologie. Dans son « système », le Réseau est ce qu’il signifie au sens premier, social et humain, du terme : des sous-ensembles réunis par des moyens devant demeurer humains. Il n’a jamais – autrement que poétiquement, selon son habitude – envisagé une virtualisation des rapports entre les êtres vivants, bien au contraire. L’Internet ne devait jouer au mieux qu’un rôle d’outil temporaire dans la lutte intégrale contre le capitalisme global. Ainsi, « la séparation physique ne peut jamais être surmontée par l’électronique, mais bien par la « convivialité », la « vie ensemble » dans le sens physique du terme le plus littéral. Ce qui est physiquement divisé est également conquis & contrôlé. Les « Véritables Désirs » – érotiques, gustatifs, olfactifs, musicaux, esthétiques, psychiques & spirituels – sont bien mieux satisfaits dans un contexte de liberté de soi & des autres, dans la proximité physique & dans l’entraide. Tout le reste est, au mieux, une sorte de représentation. Toute la révolte contre la Civilisation peut être vue comme la tentative de recréer l’intimité autonome de la bande, la libre association des individus » (« L’Océan de Limonade & les Temps Modernes »).
Et quoi ? Aujourd’hui, en pleine jeunesse de ce siècle que l’on aurait voulu spirituel, nous sommes déjà plus de 2 milliards d’individus connectés passant la majeure partie de notre temps – libre ou de travail – à accepter l’illusion que nous sommes interconnectés. Chaque matin, on ouvre Facebook et on « voit » nos « amis », ce qu’ils « disent », ce qu’ils « font ». On répond, on aime, ou l’on est indifférent. Et soyons en certains, derrière ces écrans, il y a bien des « amis » réels, des êtres de chair et de sang, qui agissent ce qu’ils narrent, l’illusion est ailleurs, elle ressort de cette croyance à l’ubiquité alors que l’on sombre, tous, dans un appauvrissement des rapports humains sociaux réels. On regarde les révolutions, on clique « j’aime », on en parle le temps de la pause café, le temps de rien, le temps d’un oubli et l’on passe à Tatie Danièle qui vient de poster les photos de ses roses en fleur que l’on ne verra pas, car il y a bien longtemps que l’on ne visite plus réellement « l’amie » Tatie Danièle. À présent, il serait fou de nier que le Net puisse être encore aujourd’hui un outil dans la révolte, dans l’insurrection qui n’arrête plus de venir. Cependant, nous ici et maintenant ne devons pas sombrer dans le côté obscur du Net, car on finirait par ne vivre que par procuration électronique et le pouvoir pourrait alors se tranquilliser, car nous dormirions profondément devant nos lucarnes endiablées d’amis et autres vedettes fantomatiques…
Mais las. Avant de passer à l’extrait de l’interview, concluons notre propos en citant la TAZ : « L’existence du Web ne dépend d’aucune technologie informatique. Le langage parlé, le courrier, les fanzines marginaux, les «liens téléphoniques» suffisent déjà au développement d’un travail d’information en réseau. La clé n’est pas le niveau ou la nouveauté technologique, mais l’ouverture et l’horizontalité de la structure. Néanmoins le concept même du Net implique l’utilisation d’ordinateurs. Dans l’imaginaire de la science-fiction, le Net aspire à la condition de Cyberespace (comme dans Tron ou Le Neuromancien) et à la pseudo-télépathie de la «réalité virtuelle». En bon fan du Cyberpunk, je suis convaincu que le Reality hacking(6) jouera un rôle majeur dans la création des TAZs. Comme Gibson et Sterling, je ne pense pas que le Net officiel parviendra un jour à interrompre le Web ou le contre-Net. Le piratage de données, les transmissions non autorisées et le libre flux de l’information ne peuvent être arrêtés ».
Spartakus FreeMann, nadir de Libertalia, octobre 2011 e.v.
SM (Sasha Miltsov) : … Revenons au Net. Que penses-tu du mouvement anti-copyright qui est très actif sur l’Internet ?
HB (Hakim Bey) : Dans un sens, j’appelle l’Internet le « parfait miroir du capital global ». On rencontre le même genre de ruptures de frontières dans le globalisme ou dans l’économie globale que dans l’information sur l’Internet. C’est-à-dire que tout est un virus. Le Capital lui-même est viral par nature. Et l’Internet en est sa parfaite manifestation. Le fait même que tu ne puisses pas faire du fric avec concorde avec ce concept. Ce n’est pas identique, c’est le reflet du Capital : tout est différent, tout est à l’envers, mais c’est malgré tout une image en miroir. Et le résultat est que peu importe que tu penses l’utiliser en tant qu’arme contre le capitalisme, tu utilises cette structure qui est le Capital ! Purement et simplement.
En fin de compte il s’agit là de mon plus grand problème avec l’Internet. Ce n’est même pas la question de son contenu débile et de ses autres aspects, mais le fait que, in fine, il s’agit de Capital pur.
Et à cause de cette étrange inversion, d’étranges anomalies surviennent, comme ce problème de copyrights. Certains capitalistes font leur beurre grâce aux copyrights et ils sont contrariés si quelqu’un les freine. D’autres capitalistes font de l’argent là où il n’y a pas de copyright, lorsque tout circule librement. Mais ils ont déjà résolu l’équation : « tous les clients doivent être satisfaits » et ils peuvent le faire eux-mêmes sur l’Internet. Le Capitalisme n’a même pas à payer pour ça. Ils vendent les machines et ensuite les gens les utilisent en pensant qu’ils font là quelque chose d’indépendant ou même de critique vis-à-vis de l’économie. Tout ça participe du même bastringue.
C’est comme dire qu’il y a quelque chose de libérateur dans le téléphone. En fait, oui, d’une certaine manière ; mais d’une autre, non. Et ces deux facettes s’annulent. Le charme des téléphones, c’est que je peux t’appeler à Moscou pour parler, mais c’est également là le problème, car tu es à Moscou et je suis ici. Et ce n’est pas sociétal, c’est juste de la communication. La communication n’est pas la communauté.
Voilà quel est mon problème avec la situation actuelle de l’Internet, et il ne s’agit pas seulement de théorie, car ce que je vois ici en Amérique c’est que TOUTE l’activité de ce que nous appelons « la Gauche » est ENTIÈREMENT virtuelle ! Mis à part quelques communes ici et là, quelques jeteurs de bombes, quelques personnes détruisant des plants génétiquement modifiés. J’ai beaucoup de respect pour ces gens, même si je pense que leurs tactiques sont stupides, je les respecte néanmoins, car au moins ils font quelque chose.
Tous les autres sont simplement « en ligne », tout le temps. C’est exaspérant ! Exaspérant ! Tout particulièrement parce que je n’y participe pas. Si j’y participais, je sombrerais vite dans l’état hypnotique que cela induit.
SM : C’est l’illusion que quelque chose se passe réellement : on produit des pensées et les gens y réagissent.
HB : Tout à fait. Dans les années 70, il y avait un livre intitulé Quatre arguments pour l’élimination de la télévision écrit par Jerry Mander. L’un de ses arguments était très subtil ; les autres étaient bien moins clairs, et le dernier était assez difficile à comprendre. Et nombre de personnes ne le comprennent toujours pas. Il a dit, par exemple, imaginons que vous regardiez une heure de Public Broadcasting Service (NDT : réseau de télévision public américain disposant de 354 stations à travers les États-Unis) au sujet d’une quelconque putain de tribu indienne en voie de disparition. Et vous vous dites « Oh, mais c’est terrible ! » Vous sentez votre cœur saigner de chagrin. Et ensuite vous zappez sur un jeu télévisé. Et, au fond, ce qui se passe ici c’est que la télévision vous donne l’illusion de faire quelque chose, car vous avez gaspillé une heure, vous avez passé une heure à regarder ce mauvais programme télévisé, alors que vous auriez pu regarder le dernier film d’horreur ou autre chose de plus divertissant. Donc, vous avez fait quelque chose ! Vous avez sacrifié une heure de votre vie. Et maintenant vous savez des choses. Vous pouvez aller au travail demain et dire « vous savez au sujet de ces Indiens, et blablabla… », et tout le monde d’aller de son « Oh, les pauvres indiens ! » Et c’est tout ! C’est la fin.
Et la télévision s’assure en réalité que personne n’ira plus loin que ça.
SM : Oui, et si c’est déjà passé à la télé, alors pourquoi aller plus loin ? Après tout, les journalistes ont fait des recherches et ils ont été payés pour ça. Ensuite les gens ressentent le besoin de parler de quelque chose, alors pourquoi ne pas parler des Indiens aujourd’hui ?
HB : Et cela remplace totalement les relations humaines. Il y a des personnes qui pensent qu’elles ont des amis, mais en réalité ce ne sont que des personnes au travail qui parlent de la télévision.
Une femme m’a raconté s’être disputée avec sa mère des années plus tôt avant finalement de se réconcilier. Elle a voyagé des milliers de kilomètres afin de rendre visite à sa mère et aussitôt qu’elle est entrée chez elle, la mère a dit « Oh, il y a une émission spéciale à la télé que je dois regarder maintenant ». Elle a répondu « Mais maman, je pensais que nous étions en train de nous réconcilier et maintenant tu vas regarder une émission de télé ? » La mère a répondu, « Tu ne comprends pas. Je bosse pour vivre et mes seuls amis sont les gens avec qui je travaille et cette émission est celle dont nous discutons tous les jeudis. Je dois la regarder ou je n’aurai rien à dire à mes amis. Tu vas devoir attendre. »
Eh bien, on peut ressentir une certaine sympathie pour la mère, car c’est tout ce qui lui reste du social.