Par Nebala 293
Austin Osman Spare est essentiellement connu pour ses peintures extraordinaires et ses techniques de Sigillisation largement adoptées par la Chaos Magic. L’une des contributions les plus ambiguës de Spare à ce qu’il est convenu d’appeler la « Magie » est son « alphabet du désir ». Comparativement à l’art de la sigillisation, cette autre ramification des recherches d’AOS est demeurée relativement inexplorée depuis sa mort. Le système originel de Spare comprenait 22 glyphes qu’il disait correspondre à 22 « aspects de la sexualité ». Les écrits du peintre sur le sujet sont très loin d’être complets et nous ne possédons que certains fragments des véritables glyphes qu’il utilisa et seulement quelques indices quant à leur utilisation.
Peter Carroll applique certaines conceptions et techniques de Spare dans son livre Liber Null & Psychonaut (publié chez Weiser), mais en les réinterprétant à sa manière. Carroll développe un système qu’il qualifie de « dualismes complémentaires » dans lequel certains états émotionnels sont polarisés et opposés terme à terme. Les exemples sont de type intérêt/ennui, joie/terreur, et bien évidemment : douleur/plaisir. Personnellement, je trouve que cette dichotomie abstraite est plus un obstacle qu’un véritable soutien pour créer un « langage de l’expérience » ou comme il vous il plaira de l’appeler. Bien que l’interaction de tels « états » (ce terme est lui-même trompeur, car les émotions sont plutôt des processus que des états) soit réelle, l’accent porté sur leurs relations mutuelles implique le risque de les exclure de la totalité de l’expérience humaine. Je veux seulement dire par là que l’accent porté sur ce point est excessif, même si le principe demeure recevable quand on l’aborde de manière appropriée. Mais quelle est la manière appropriée ? Selon moi, elle implique d’identifier la complexité des liens entre l’émotionnel, le psychologique, le physique et les autres processus par le biais de langages personnels. Peut-être que ce qui, pour moi, n’est qu’une grille de lecture artificielle de l’expérience (comme le système de Carroll) fonctionnera parfaitement pour quelqu’un d’autre. Mais il m’est difficile de considérer comment le fait d’isoler des émotions, etc. à l’intérieur d’unités bi-univoques (*) peut donner d’autre résultat que la division et la confusion chez son « utilisateur ».
[ * Biunivoque est meilleur terme que j’ai trouvé pour décrire deux « choses » polarisées se trouvant sur seule ligne, une même échelle ou dans un seul spectre de l’expérience – ce qui réduit à un duo ce qui était potentiellement au départ de nombreuses « voix » ou de nombreux possibles. Ce duo se réduit en dernière instance à une unité et le résultat final est que l’on n’entend plus qu’une seule « voix », celle-ci étant devenue une « unité » isolée.]
Image extraite de Liber Null & Psychonaut : An Introduction to Chaos Magic, Peter J. Carroll, Weiser, 1987.
Frater U. D. est un autre commentateur de « l’alphabet du désir » d’Austin Osman Spare (auteur de Practical Magic Sigil et de Secrets of the German Sex Magicians, deux livres que je recommande fortement). Dans Practical Magic Sigil, Frater U.D. utilise le même arrière-plan théorique ou idéologique que celui investi par Peter Carroll pour son propre système. Et il l’appelle dualisme. Fort heureusement cependant, il met l’accent sur la nature personnelle des langages qu’il convient de développer, plutôt que sur la segmentation de l’expérience appliquée à la technique.
L’une des grandes beautés du système de « l’alphabet du désir » est cette possibilité de créer des mots, glyphes ou images pour des choses normalement ineffables dans les langages que l’on connaît (dans mon cas, 99% d’anglais). Alors… Comment puis-je créer mon propre « Alphabet du Désir » ? Mon Alphabet, ou Langage, comme je préfère l’appeler, est simplement un dictionnaire contenant un résumé de chaque glyphe que j’ai créé pour exprimer un mot, une image, une idée, une émotion, une expérience, etc. La majorité de ces glyphes fut créée dans le contexte d’un travail de sigillisation, mais pas tous. Certains ont été créés pour pallier aux déficiences des langages et moyens d’expression dont je dispose, là où une autre formulation aurait été inadéquate pour représenter ce que je voulais signifier. Avec le temps ce catalogue ou dictionnaire grandit et commencent à se dessiner un code, une grammaire et une syntaxe propres, sans l’aide des langages que je ne pouvais pas insérer dans les glyphes (langages parlés, visuels, etc.). Cela crée également un réseau, comme c’est le cas pour tout autre langage, qui connecte les termes entre eux pour former une toile, une interdépendance de création et de significations. Et, dans ce cas, de significations personnelles.
Concernant l’utilisation de cet alphabet, les sigils en sont l’application la plus évidente. L’utilisation d’un alphabet pour la création de sigils aide à intégrer les désirs dispersés et parfois contradictoires. Ces derniers doivent être sigillisés ou simplement exprimés en un « langage du Désir » particulier pour atteindre l’efficacité. C’est pour le moins un processus intéressant à observer. L’alphabet tisse également un lien plutôt lâche entre le langage graphique et écrit, pour former comme des hiéroglyphes intimes. Il est également utile d’analyser son propre « dictionnaire des sigils » pour voir quels sont qui sont utilisés le plus souvent et ceux qui le sont moins. Lesquels ne le sont jamais ? Comme un journal, archiver son propre « langage du désir » peut révéler beaucoup de choses dont on n’est pas forcément conscient au moment de son élaboration. Cette technique peut être utilisée pour l’auto-observation, l’auto-analyse, l’auto-(re)construction, l’auto-expression et quantité d’autres applications. C’est une œuvre d’imagination demandant à être utilisée avec imagination.
L’alphabet du désir, « Alphabet ov desire », Par nebala 293, article rédigé pour le site aujourd’hui disparu Thee Sigil Garden. Traduction française par Melmothia, 2012.
Par Nebala 293
Austin Osman Spare est essentiellement connu pour ses peintures extraordinaires et ses techniques de Sigillisation largement adoptées par la Chaos Magic. L’une des contributions les plus ambiguës de Spare à ce qu’il est convenu d’appeler la « Magie » est son « alphabet du désir ». Comparativement à l’art de la sigillisation, cette autre ramification des recherches d’AOS est demeurée relativement inexplorée depuis sa mort. Le système originel de Spare comprenait 22 glyphes qu’il disait correspondre à 22 « aspects de la sexualité ». Les écrits du peintre sur le sujet sont très loin d’être complets et nous ne possédons que certains fragments des véritables glyphes qu’il utilisa et seulement quelques indices quant à leur utilisation.
Peter Carroll applique certaines conceptions et techniques de Spare dans son livre Liber Null & Psychonaut (publié chez Weiser), mais en les réinterprétant à sa manière. Carroll développe un système qu’il qualifie de « dualismes complémentaires » dans lequel certains états émotionnels sont polarisés et opposés terme à terme. Les exemples sont de type intérêt/ennui, joie/terreur, et bien évidemment : douleur/plaisir. Personnellement, je trouve que cette dichotomie abstraite est plus un obstacle qu’un véritable soutien pour créer un « langage de l’expérience » ou comme il vous il plaira de l’appeler. Bien que l’interaction de tels « états » (ce terme est lui-même trompeur, car les émotions sont plutôt des processus que des états) soit réelle, l’accent porté sur leurs relations mutuelles implique le risque de les exclure de la totalité de l’expérience humaine. Je veux seulement dire par là que l’accent porté sur ce point est excessif, même si le principe demeure recevable quand on l’aborde de manière appropriée. Mais quelle est la manière appropriée ? Selon moi, elle implique d’identifier la complexité des liens entre l’émotionnel, le psychologique, le physique et les autres processus par le biais de langages personnels. Peut-être que ce qui, pour moi, n’est qu’une grille de lecture artificielle de l’expérience (comme le système de Carroll) fonctionnera parfaitement pour quelqu’un d’autre. Mais il m’est difficile de considérer comment le fait d’isoler des émotions, etc. à l’intérieur d’unités bi-univoques (*) peut donner d’autre résultat que la division et la confusion chez son « utilisateur ».
[ * Biunivoque est meilleur terme que j’ai trouvé pour décrire deux « choses » polarisées se trouvant sur seule ligne, une même échelle ou dans un seul spectre de l’expérience – ce qui réduit à un duo ce qui était potentiellement au départ de nombreuses « voix » ou de nombreux possibles. Ce duo se réduit en dernière instance à une unité et le résultat final est que l’on n’entend plus qu’une seule « voix », celle-ci étant devenue une « unité » isolée.]
Frater U. D. est un autre commentateur de « l’alphabet du désir » d’Austin Osman Spare (auteur de Practical Magic Sigil et de Secrets of the German Sex Magicians, deux livres que je recommande fortement). Dans Practical Magic Sigil, Frater U.D. utilise le même arrière-plan théorique ou idéologique que celui investi par Peter Carroll pour son propre système. Et il l’appelle dualisme. Fort heureusement cependant, il met l’accent sur la nature personnelle des langages qu’il convient de développer, plutôt que sur la segmentation de l’expérience appliquée à la technique.
L’une des grandes beautés du système de « l’alphabet du désir » est cette possibilité de créer des mots, glyphes ou images pour des choses normalement ineffables dans les langages que l’on connaît (dans mon cas, 99% d’anglais). Alors… Comment puis-je créer mon propre « Alphabet du Désir » ? Mon Alphabet, ou Langage, comme je préfère l’appeler, est simplement un dictionnaire contenant un résumé de chaque glyphe que j’ai créé pour exprimer un mot, une image, une idée, une émotion, une expérience, etc. La majorité de ces glyphes fut créée dans le contexte d’un travail de sigillisation, mais pas tous. Certains ont été créés pour pallier aux déficiences des langages et moyens d’expression dont je dispose, là où une autre formulation aurait été inadéquate pour représenter ce que je voulais signifier. Avec le temps ce catalogue ou dictionnaire grandit et commencent à se dessiner un code, une grammaire et une syntaxe propres, sans l’aide des langages que je ne pouvais pas insérer dans les glyphes (langages parlés, visuels, etc.). Cela crée également un réseau, comme c’est le cas pour tout autre langage, qui connecte les termes entre eux pour former une toile, une interdépendance de création et de significations. Et, dans ce cas, de significations personnelles.
Concernant l’utilisation de cet alphabet, les sigils en sont l’application la plus évidente. L’utilisation d’un alphabet pour la création de sigils aide à intégrer les désirs dispersés et parfois contradictoires. Ces derniers doivent être sigillisés ou simplement exprimés en un « langage du Désir » particulier pour atteindre l’efficacité. C’est pour le moins un processus intéressant à observer. L’alphabet tisse également un lien plutôt lâche entre le langage graphique et écrit, pour former comme des hiéroglyphes intimes. Il est également utile d’analyser son propre « dictionnaire des sigils » pour voir quels sont qui sont utilisés le plus souvent et ceux qui le sont moins. Lesquels ne le sont jamais ? Comme un journal, archiver son propre « langage du désir » peut révéler beaucoup de choses dont on n’est pas forcément conscient au moment de son élaboration. Cette technique peut être utilisée pour l’auto-observation, l’auto-analyse, l’auto-(re)construction, l’auto-expression et quantité d’autres applications. C’est une œuvre d’imagination demandant à être utilisée avec imagination.