« Nous ne prétendons nullement dans ce livre renverser le cours des choses. Nous espérons seulement, en proposant quelques expériences de sorcellerie banales, montrer comment un certain nombre de sorciers modernes abusent le pauvre monde ! En apprenant à berner les autres, vous serez mieux préparés à déceler les boniments des marchands d’illusions qui cherchent à vous persuader de leurs connaissances hors du commun, que ce soit dans les domaines touchant à la santé, à la vie sentimentale ou à la politique. Nous ne voulons en aucun cas imposer une pensée unique, nous militons au contraire pour le doute, le scepticisme, la curiosité et la science. Restez savants, devenez sorciers ! » (extrait du quatrième de couverture)
Sorti en 2002, l’ouvrage de Broch et Charpak, Devenez sorciers, devenez savants, se propose de nous éclairer sur les techniques de manipulation utilisées par les escrocs du paranormal. Et en effet, elle s’y trouvent quasiment toutes, mais contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, si le lecteur en sort plus savant en matière d’impostures intellectuelles, c’est moins parce que les auteurs les décrivent que parce qu’ils les emploient.
Une longue introduction nous apprend que la planète est en danger, surpopulation, réchauffement climatique, pollution. La science c’est formidable, mais on a décidément trop poussé le moteur. Or, seul le progrès peut nous sauver des bavures du progrès en inventant d’autres façons d’être au monde, nous dit Broch, cependant, pour cela, il faudrait «qu’une large fraction des sociétés humaines maîtrise le raisonnement scientifique », or de vieux réflexes obscurantistes : « les superstitions, l’astrologie, le paranormal, les trucages habiles » empêchent le miracle.
Voilà ça commence bien : les trous dans la couche d’ozone, c’est de notre faute.
Après l’ouverture visant à responsabiliser le pauvre péquin qui n’aurait pas compris que son système de croyances menace la survie de l’univers, vient ensuite la présentation du menu : On va vous enseigner des trucs de magiciens – lapin là, lapin plus là -, ce qui va vous rendre plus intelligent, car l’ignorance [petit cours sur la radioactivité] est cause de tous les maux.
Pour rester dans le lapin, le chapitre suivant nous en sort deux plus très frais du chapeau, la précession des équinoxes censée porter un coup mortel à l’astrologie et l’indémodable effet Barnum : « plus un discours est vague, plus les personnes qui l’écoutent peuvent se reconnaître et se reconnaître majoritairement dans ce discours ». Profitez-en, ce sont les deux seuls arguments de l’ouvrage, et qu’ils soient discutés et glosés depuis plus de soixante ans n’empêche en rien nos auteurs de les exposer avec la fierté d’une poule qui a pondu un œuf tout chaud.
Ensuite, petit exercice amusant : Fixez l’image dix secondes et regardez ensuite la page blanche [petit cours sur la persistance rétinienne] ce qui nous permet de conclure que… ? Rien. Escamotage de la conclusion et retour du lapin dans le chapeau. On enchaîne immédiatement sur un tour téléphonique destiné à faire croire à vos potes que vous êtes télépathes. Le truc est assez habile ; moins fort cependant que celui de Broch consistant à faire disparaître une fois de plus la conclusion. Mais il est vrai qu’avec toute la mauvaise foi du monde, il est difficile de soutenir que la persistance rétinienne puisse suffire à expliquer les apparitions spectrales. Par contre, on peut insinuer. C’est d’ailleurs là toute la dynamique de l’ouvrage, qui s’inspire beaucoup des analyses politiques de ma concierge : amalgames, insinuations, raccourcis, discrédit des acteurs… C’est que nos auteurs savent qu’il est plus payant de jouer de l’insinuation en laissant le lecteur tirer tout seul ses conclusions erronées. Bavez, il en restera toujours quelque chose.
Un petit cours sur les alliages à mémoire de forme] plus loin, destiné à montrer la vanité de la télékinésie, on apprend que les coïncidences ne sont que des coïncidences. Quant aux résultats publiés par les chercheurs en parapsychologie, ils sont dus à des trompe l’œil statistiques lorsque la fraude n’est pas « une des sources principales des recherches en parapsychologie » – Ça c’est fait…
Pour tout dire, j’attendais quand même quelque chose de ce livre. Des réflexions, des arguments, mais il ne s’y trouve rien de ce genre. Il m’aurait pourtant suffi de le feuilleter avant de l’acquérir, puisque le sommet de l’argumentaire culmine dans les illustrations. Ô lecteurs naïfs qui croyez en toutes ces foutaises, voilà comment on vous trompe :
Image extraite du livre Devenez sorciers, devenez savants.
En fin de compte, on arrive au bout du livre sans être, malgré la promesse du titre, ni plus sorcier ni plus savant, par contre avec la vague impression d’avoir été pris pour un abruti.
Plus intéressante est l’expérience de marche sur le feu où Broch a donné de sa personne. Hélas après l’exposé des diverses hypothèses visant à expliquer l’absence de brûlure [en passant, petit cours sur la cuisson du poulet], les auteurs oublient de préciser que personne n’a jamais prétendu que marcher sur le feu relevait du paranormal. Mais comme il s’agit de constituer un dossier à charge, on ne va pas se priver de mélanger les torchons et les serviettes.
Vous pensez que j’exagère ? Hélas non. Voilà tout le contenu du livre, deux-cents pages d’autodafé dont tout l’argumentaire est du goût de cette anecdote fermant le chapitre 2 : le physicien Frédéric Joliot, nous dit Broch, aurait déclaré, au cours d’un dîner où des étudiants lui faisaient part de leur étonnement face à des expériences ressemblant à de la télépathie, qu’il y avait forcément « un truc ». C’est tout ? Oui, c’est tout. N’est-il pas édifiant et riche d’enseignement ce récit ?… Non ? Alors plus intéressante sera sans doute la conclusion qu’y apporte Broch : « Il importe peu que vous soyez toujours en mesure de mettre à jour une supercherie ».
Le chiffre insolent des ventes de l’ouvrage tend à confirmer que Broch et Charpak ont au moins raison sur un point : Les gens sont vraiment prêts à gober n’importe quoi.
Par Melmothia
« Nous ne prétendons nullement dans ce livre renverser le cours des choses. Nous espérons seulement, en proposant quelques expériences de sorcellerie banales, montrer comment un certain nombre de sorciers modernes abusent le pauvre monde ! En apprenant à berner les autres, vous serez mieux préparés à déceler les boniments des marchands d’illusions qui cherchent à vous persuader de leurs connaissances hors du commun, que ce soit dans les domaines touchant à la santé, à la vie sentimentale ou à la politique. Nous ne voulons en aucun cas imposer une pensée unique, nous militons au contraire pour le doute, le scepticisme, la curiosité et la science. Restez savants, devenez sorciers ! » (extrait du quatrième de couverture)
Sorti en 2002, l’ouvrage de Broch et Charpak, Devenez sorciers, devenez savants, se propose de nous éclairer sur les techniques de manipulation utilisées par les escrocs du paranormal. Et en effet, elle s’y trouvent quasiment toutes, mais contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, si le lecteur en sort plus savant en matière d’impostures intellectuelles, c’est moins parce que les auteurs les décrivent que parce qu’ils les emploient.
Une longue introduction nous apprend que la planète est en danger, surpopulation, réchauffement climatique, pollution. La science c’est formidable, mais on a décidément trop poussé le moteur. Or, seul le progrès peut nous sauver des bavures du progrès en inventant d’autres façons d’être au monde, nous dit Broch, cependant, pour cela, il faudrait «qu’une large fraction des sociétés humaines maîtrise le raisonnement scientifique », or de vieux réflexes obscurantistes : « les superstitions, l’astrologie, le paranormal, les trucages habiles » empêchent le miracle.
Voilà ça commence bien : les trous dans la couche d’ozone, c’est de notre faute.
Après l’ouverture visant à responsabiliser le pauvre péquin qui n’aurait pas compris que son système de croyances menace la survie de l’univers, vient ensuite la présentation du menu : On va vous enseigner des trucs de magiciens – lapin là, lapin plus là -, ce qui va vous rendre plus intelligent, car l’ignorance [petit cours sur la radioactivité] est cause de tous les maux.
Pour rester dans le lapin, le chapitre suivant nous en sort deux plus très frais du chapeau, la précession des équinoxes censée porter un coup mortel à l’astrologie et l’indémodable effet Barnum : « plus un discours est vague, plus les personnes qui l’écoutent peuvent se reconnaître et se reconnaître majoritairement dans ce discours ». Profitez-en, ce sont les deux seuls arguments de l’ouvrage, et qu’ils soient discutés et glosés depuis plus de soixante ans n’empêche en rien nos auteurs de les exposer avec la fierté d’une poule qui a pondu un œuf tout chaud.
Ensuite, petit exercice amusant : Fixez l’image dix secondes et regardez ensuite la page blanche [petit cours sur la persistance rétinienne] ce qui nous permet de conclure que… ? Rien. Escamotage de la conclusion et retour du lapin dans le chapeau. On enchaîne immédiatement sur un tour téléphonique destiné à faire croire à vos potes que vous êtes télépathes. Le truc est assez habile ; moins fort cependant que celui de Broch consistant à faire disparaître une fois de plus la conclusion. Mais il est vrai qu’avec toute la mauvaise foi du monde, il est difficile de soutenir que la persistance rétinienne puisse suffire à expliquer les apparitions spectrales. Par contre, on peut insinuer. C’est d’ailleurs là toute la dynamique de l’ouvrage, qui s’inspire beaucoup des analyses politiques de ma concierge : amalgames, insinuations, raccourcis, discrédit des acteurs… C’est que nos auteurs savent qu’il est plus payant de jouer de l’insinuation en laissant le lecteur tirer tout seul ses conclusions erronées. Bavez, il en restera toujours quelque chose.
Un petit cours sur les alliages à mémoire de forme] plus loin, destiné à montrer la vanité de la télékinésie, on apprend que les coïncidences ne sont que des coïncidences. Quant aux résultats publiés par les chercheurs en parapsychologie, ils sont dus à des trompe l’œil statistiques lorsque la fraude n’est pas « une des sources principales des recherches en parapsychologie » – Ça c’est fait…
Pour tout dire, j’attendais quand même quelque chose de ce livre. Des réflexions, des arguments, mais il ne s’y trouve rien de ce genre. Il m’aurait pourtant suffi de le feuilleter avant de l’acquérir, puisque le sommet de l’argumentaire culmine dans les illustrations. Ô lecteurs naïfs qui croyez en toutes ces foutaises, voilà comment on vous trompe :
Image extraite du livre Devenez sorciers, devenez savants.
En fin de compte, on arrive au bout du livre sans être, malgré la promesse du titre, ni plus sorcier ni plus savant, par contre avec la vague impression d’avoir été pris pour un abruti.
Plus intéressante est l’expérience de marche sur le feu où Broch a donné de sa personne. Hélas après l’exposé des diverses hypothèses visant à expliquer l’absence de brûlure [en passant, petit cours sur la cuisson du poulet], les auteurs oublient de préciser que personne n’a jamais prétendu que marcher sur le feu relevait du paranormal. Mais comme il s’agit de constituer un dossier à charge, on ne va pas se priver de mélanger les torchons et les serviettes.
Vous pensez que j’exagère ? Hélas non. Voilà tout le contenu du livre, deux-cents pages d’autodafé dont tout l’argumentaire est du goût de cette anecdote fermant le chapitre 2 : le physicien Frédéric Joliot, nous dit Broch, aurait déclaré, au cours d’un dîner où des étudiants lui faisaient part de leur étonnement face à des expériences ressemblant à de la télépathie, qu’il y avait forcément « un truc ». C’est tout ? Oui, c’est tout. N’est-il pas édifiant et riche d’enseignement ce récit ?… Non ? Alors plus intéressante sera sans doute la conclusion qu’y apporte Broch : « Il importe peu que vous soyez toujours en mesure de mettre à jour une supercherie ».
Le chiffre insolent des ventes de l’ouvrage tend à confirmer que Broch et Charpak ont au moins raison sur un point : Les gens sont vraiment prêts à gober n’importe quoi.