Left Hand Path

Le Dragon aveugle

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Le Dragon aveugle par Melmothia

Je vous ai déjà prévenus, les loulous, que je faisais des recherches du côté du Left Hand Path. Après Chavajoth, nous voici donc partis pour faire un tour chez Tanin’iver et ses amis. Le chapitre 20 du Liber Azerate présente des « formules sataniques », dont quelques-unes sont en latin, certaines semblent être en langue barbare, d’autres sont en hébreu. Nous allons examiner deux de ces dernières, ce qui nous conduira à loucher sur une grosse bête assez peu avenante de la tradition kabbalistique : Tanin’iver.

 Tanin’iver Liftoach Nia

La première formule satanique est « Tanin’iver Liftoach Nia » que le Liber Azerate présente ainsi : « La « formule Tanin’iver » est destinée à réveiller le Dragon Aveugle qui sommeille dans l’obscurité de la Flamme Noire et rouvrir l’œil permettant la réabsorption et la dissolution dans le Chaos. Cette formule est également utilisée pour contrôler la puissance ténébreuse capable de dissiper la lumière illusoire du Démiurge et obtenir la gnose en ouvrant les yeux du dragon. »

Commençons par déplier le premier terme : « Tanin » a eu successivement, en hébreu, le sens de « dragon ; serpent » et celui, plus moderne, de « crocodile ». Dans la Bible, il est devenu plus ou moins un synonyme de Léviathan. A l’époque médiévale, « Teli », que nous retrouverons plus loin, semble avoir remplacé « Tanin » pour désigner le /un dragon. Le même terme renvoie parfois à la voie lactée dont la forme, à condition d’être sacrément bourré, peut laisser penser à un serpent enroulé sur lui-même.

Tanin, qui vient de la racine signifiant « étendre », s’écrit Tav – Noun – Yod – Noun, תנין.

Dans la page consacrée à ce mot du Wikipedia allemand, on peut lire : « Tanin est le terme primitif pour « Dragon », un monstre qui, comme Léviathan, vit dans la mer et sera détruit par Dieu. Plus à l’ouest, Tanin est aussi un monstre mythologique aux allures de dragon, vaincu par la déesse cananéenne Anat. Dans la Bible, il est dit que la révolte des anges a été causé par le dragon Tanin ou le serpent ».

On peut ainsi lire dans Psaume 74 : « Tu as fendu la mer par ta puissance, Tu as brisé les têtes des monstres (tanniym) sur les eaux ; Tu as écrasé la tête du crocodile (léviathan) ». (version Segond, 1910)

Dans la Bible luthérienne, le terme « Tannimin » de Genèse 1, 21 est traduit par « gros poissons » ou « grands monstres de la mer »

Quant au terme « Ivver », il signifie « aveugle ». Sa graphie est un peu compliquée, puisqu’il s’écrit : Ayin – Yod – Vav – Vav – Resh : עיוור.

« Tanin’iver » sera donc couramment rendu par « Dragon aveugle ».

Ainsi que The Book of Sitra Achra[1] l’indique, la mythologie du MLO semble s’être inspirée des écrits de Moïse Cordovero, un kabbaliste du 16e siècle. Dans les écrits de Cordovero et de ses disciples, Tanin’iver est présenté comme une entité cosmique, la monture de Lilith, censée permettre l’union de Lilith et Samael, une union qui répandra la peste dans le monde.

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Oh my goat !

La source de ce mythe plutôt bizarre semble être le Traité de l’Emanation Gauche d’Isaac ha-Cohen (13e siècle) dans lequel on peut lire : « Vous savez déjà que les démons Samaël et Lilith sont un couple sexuel […] Le serpent céleste est un prince aveugle, l’image intermédiaire entre Samaël et Lilith. Son nom est Tanin’iver, le maître de la tradition dit que comme ce serpent se déplace sans yeux, ainsi se déplace le serpent supernel à l’image de la forme spirituelle sans couleur ».

Concernant le couple Lilith / Samael, Michèle Bitton écrit, dans un article consacré au mythe de Lilith : « une dernière variante relative au caractère mythique de Lilith, qui apparaît en dehors du prologue, est particulièrement intéressante car elle a de nombreux prolongements dans la littérature juive ultérieure : la justification du refus de Lilith de revenir auprès d’Adam car le « grand démon » l’a déjà prise. Cette justification, qui n’apparaît que dans la tradition ashkénaze qui l’appuie prétendument sur une loi du Deutéronome, a très probablement été ajoutée à l’original de Ben Sira par un éditeur plus tardif afin de donner une raison plus plausible au refus de Lilith d’obéir à son mari et aux anges. Ce personnage de « grand démon » (ha-shed ha-gadol) était, selon Joseph Dan, inconnu des sources juives antérieures… mais il ne restera pas longtemps anonyme. Il semble que ce soit parmi les premiers cabalistes, et notamment Isaac ha-Cohen qui, s’inspirant de cette variante de la légende de Ben Sira, identifiera pour la première fois ce « Grand démon » avec lequel Lilith s’est accouplée, avec Samaël, déjà désigné dans la littérature juive comme le grand roi de tous les démons »[2].

Moses Cordovero filera le mythe de Tanin’iver, dans le quatrième tome de son Pardes Rimonim (1548) ; et dans le traité du Zohar intitulé Emeq haMelekh (La vallée des Rois), on peut lire : « Le Dragon Aveugle chevauche la Pécheresse Lilith. Et ce Dragon Aveugle amène l’union sexuelle entre Samaël et Lilith ».

Le même texte donne plus loin : « Le dragon aveugle est entre Samael et la mauvaise Lilith. Et il les porte à une union à l’heure de la pestilence – Que le Miséricordieux nous protège ! – Mais le dragon a été castré afin que ses oeufs de vipère ne dominent notre monde. S’il n’en était pas ainsi, ils aéantiraient le monde ».

Le MLO réinvestira le mythe de cette façon (je vous mets des petites notes entre crochets pour ceux qui n’ont pas suivi les épisodes précédents) :

« Nous trouvons encore un autre aspect de la Bête Enchaînée, dans la kabbale qliphotique, appelée Tanin’iver. Ce dieu sombre, dont le nom signifie « dragon aveugle », peut être décrit comme la kundalini noire et la force démoniaque qui vise à réconcilier les contraires, transcender la dualité et ainsi établir un chaos paradoxal capable de détruire l’ordre [le but étant qu’un maximum de Chaos pénètre dans le cosmos et que ça fasse un grand Boum !]. Tanin’iver, que l’on dit, dans la tradition senestre, avoir été aveuglé par la lumière de l’indigne Démiurge et plongé dans un sommeil artificiel, peut être comparé à la Flamme Noire dans sa forme passive [= l’âme immortelle et satanique présente en chaque être humain].

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La vraie histoire des faux Nécronomicon [1]

Ce n’est qu’en dirigeant le flux anti-cosmique dans l’âme et en agissant comme un portail du plan qliphotique que nous pouvons obtenir la gnose du chaos et saisir notre véritable origine [un argument typiquement gnostique : la révélation de notre origine nous permet de renouer avec celle-ci]. Nous ouvrons alors les yeux de Tanin’iver et activons en nous le Feu intérieur et extérieur du Chaos. Quand les yeux de Tanin’iver seront ouverts et lorsque Satan sera uni à Lilith Taninsam, les onze angles seront alors réunis [l’un des symboles du MLO] et le nom d’Azerate ouvrira le portail macrocosmique au plan Chaotique. Il sera alors temps de déclencher l’invasion anti-cosmique. »

Plus loin, dans le chapitre 15, précisément intitulé « Tanin’iver » :

 « Satan […] est entièrement dépourvu de forme ou d’apparence et ne peut donc pas influer lui-même sur les événements du plan cosmique. Pour réaliser ses rêves anti-cosmiques, Satan doit utiliser l’utérus fécond de sa puissante concubine démoniaque, Lilith […]. Pour que cela soit possible, pour que notre maître Satan puisse féconder Lilith sur cette voie bénie, le dragon aveugle Taniniver doit être impliqué dans le processus créatif ! Afin de donner vie à leurs enfants les plus redoutables, dont l’existence elle-même impliquera la fin de l’ordre cosmique et dont la puissance satanique rétablira le Chaos originel, notre Dieu Satan et la déesse Lilith doivent s’unir sur le dos de Taniniver !

Le désir de Taniniver est un océan infini de flammes ; sans les feux du Dragon Aveugle, l’union de notre maître avec Lilith est incapable de donner vie aux démons destructeurs susceptibles de déchirer l’abjecte création. Mais le Démiurge idiot a affaibli la fertilité de Taniniver, afin d’empêcher Lilith d’inonder la création de sa descendance noire et furieuse. Nous exprimons cela symboliquement en disant que le Démiurge a plongé Taniniver dans un sommeil d’éternel oubli et paralysé son feu en aveuglant ses yeux !

[…] Lorsque Tanin’iver, rouvrant les yeux, permettra l’union de Satan avec le serpent venimeux Taninsam Lilith, leur puissante descendance imposera au créateur et à sa créature immonde l’ère d’anti-vie, inaugurant l’ère éternelle du Chaos dont l’éon sans fin sera rendu à sa forme complète et originelle ! »

Revenons, à présent, à notre formule :

« Lifto’ach » est un verbe qui signifie « ouvrir » et s’écrit en hébreu Lamed – Peh – Tav – Vav – Chet, לפתוח. Problème : cette forme ne semble pas être conjuguée, plutôt infinitive. J’ai essayé de comprendre la formation de l’impératif en hébreu, mais je me suis rapidement arraché les cheveux.

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Martin Van Maële

Le Terme « Nia » n’existe pas en hébreu. Il semble que l’auteur de la formule ait donc commis une seconde erreur en lisant le mot « Ayin » à l’envers. Ayin, qui signifie « œil » (la lettre Ayin symbolise précisément un œil), s’écrit : Ayin – Yod – Noun, עין.

Enfin, le terme, même remis à l’endroit, semble présenter le défaut d’être au singulier, « les yeux » devant plutôt être rendu par « Aïnim » : עינײם.

Notre formule signifie donc littéralement « Dragon aveugle, ouvrir, Nia ». Voilà, maintenant on sait pourquoi le cosmos est toujours là. On peut imaginer, sans trop forcer, que l’auteur voulait signifier : « Dragon aveugle, ouvre les yeux », le morceau Internal Fire du groupe Dissection commence d’ailleurs par cette exclamation, suivie de sa traduction en anglais : « Tanin’iver open your eyes ».

 Tohu Tehom Theli Than Leviathan Tanin’iver Taninsam

 On retrouve notre ami à écailles dans la seconde formule, mais il s’agit cette fois de noms accolés qui n’ont pas l’ambition de former une phrase construite :

« Tohu » a plusieurs acceptions : « désert ; étendues arides ; vide ; lieu dépeuplé », mais le plus souvent, il se traduit par « chaos ». Il s’écrit Tav – Hé – Vav תהו. Le terme apparaît notamment dans l’expression « Tohu-bohu » désignant la confusion qui précéda la création.

« Tehom » désigne, dans la Bible : « l’abîme ; les profondeurs de l’océan ». Ce mot est apparenté au nom du dragon primordial babylonien « Tiamat » et à plusieurs termes akkadien et hébreux renvoyant à la mer et à l’océan primordial. Tehom s’écrit : Tav – Hé – Vav – Mem : תהום.

« Theli » semble provenir du chaldéen. C’est le nom du grand Dragon dont on dit qu’il environne symboliquement l’univers, en tenant sa queue dans sa bouche, comme un Ouroboros. Le terme s’écrit Tav – Lamed – Yod, תלי.

« Than » signifie « chacal ». Sans doute une référence au dieu Set. Le terme s’écrit Tav- Noun : תן

« Leviathan » est un monstre du chaos primitif ou un monstre marin, évoqué dans la Bible et apparemment d’origine phénicienne. Le terme s’écrit : Lamed – Vav – Yod – Tav – Nou, לויתן.

Concernant « Tanin’iver », voir plus haut.

« Taninsam » est une alternative pour le nom Tanin’iver et/ou qualificatif et synonyme traditionnel de Lilith. On trouve, par exemple, écrit dans le traité Emek hamelekh : « Le Tanin de la mer ; il est Tanin’iver connu sous le nom de Taninsam ». Et dans le Traité de l’Emanation Gauche déjà cité : « Lilith est également Taninsam ».

Le terme, qui s’écrit : Tav – Noun – Yod – Noun – Samekh – Mem, מנינסם, accole à « Tanin » le terme « Sam » qui signifie « poison » : Samekh – Mem, סם.

Melmothia, 2014. 

[1] The Book of Sitra Achra – A Grimoire of the Dragons of the Other Side, N.A-A. 218, Ixaxaar, 2013.

[2] « Lilith et Adam : Une légende sans dessus dessous », Michèle Bitton, Pardès n°43, 2007.

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Nouvelle version de KAosphOruS, le WebZine Chaote francophone. Ce projet est né en 2002 suite à une discussion avec un ami, Prospéro, qui fut à la source d’Hermésia, la Tortuga de l’Occulte. Le webzine alors n’était pas exclusivement dédié à la Magie du Chaos, mais après la disparition de son fondateur, il a évolué vers la version que vous pouvez aujourd’hui lire. L’importance de la Chaos Magic(k) ou Magie du Chaos grandit au sein de la scène magique francophone. Nous espérons apporter notre clou au cercueil… Melmothia & Spartakus FreeMann

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