L’un des aspects troublants de la Magie du Chaos est cette façon dont le Magicien du Chaos (ou Chaoiste, si vous préférez) va occasionnellement travailler avec des symboles venant de sources non historiques ; il peut ainsi invoquer les monstres des mythes Cthulhiens de Lovecraft, projeter le Rocky Horror Picture Show sur l’Arbre de Vie, foncer dans le vide astral à bord d’un avion de chasse, et recevoir des communications du type « channeling » de dieux qui n’existaient pas cinq minutes plus tôt.
Vous comprendrez aisément qu’utiliser ce genre de matériel comme base d’un travail magique sérieux peut susciter quelques grimaces de désapprobation. Car, l’œuvre de Lovecraft ne relève-t-elle pas de la fiction ? Par conséquent, que devient la nécessité de se connecter avec les « plans intérieurs », les « traditions », etc. – peut-on réellement faire de la magie sans s’appuyer sur un substrat historique ou mythologique ?
Dans le passé, cette idée a alimenté les critiques à l’encontre des magiciens travaillant avec des entités « fictives ». Dans cette section, je vais discuter de ce problème et j’espère arriver à réfuter les objections.
La première chose à dire, c’est que la magie nécessite un système de croyances à l’intérieur duquel travailler. Le système de croyances correspond à la construction symbolique et linguistique grâce à laquelle le magicien apprend à interpréter ses expériences et peut explorer tout ce qui se trouve entre la bonne vieille Kabbale traditionnelle et le trip New Age « Je l’ai appris d’un véritable chamane amérindien » si populaire de nos jours.
Peu importe le système de croyances que vous choisissez, du moment qu’il vous satisfait. Relisez cela, c’est important. En fin de compte, bon nombre de magiciens finissent par développer leur propre système magique, lequel fonctionne bien pour eux mais serait perturbant pour les autres : l’Alphabet du Désir d’Austin Osman Spare en constitue un bon exemple.
L’une des clefs de la réussite magique est la véracité de la croyance. Si vous désirez expérimenter quelque chose et que vous pouvez fournir une explication plausible au comment/pourquoi ça doit marcher, alors ça marchera très probablement.
Le charabia pseudo scientifique ou kabbaliste – parfois les deux, importe peu du moment que votre raisonnement parvient à étayer votre croyance en l’idée avec laquelle vous travaillez. Je me suis aperçu que ça fonctionnait plutôt bien lorsque je m’efforçais de tester les limites de la façon d’aborder tel ou tel acte magique que je n’avais jamais tenté auparavant. Une fois trouvée une explication plausible de la manière dont cela peut fonctionner, alors je suis évidemment plus confiant dans ce que je fais et souvent capable de transmettre cette confiance aux autres. Si je suis certain à 110% que mes rituels vont « marcher sacrément bien », ce sera alors très probablement le cas.
Vous pouvez expérimenter cela en utilisant la technique du changement de croyances – que Robert Anton Wilson appelle « Métaprogrammation ». Un bon exemple en est constitué par les chakras. Il est généralement admis que nous en avons sept. Okay. Alors, méditez sur vos chakras, rentrez-vous le symbolisme dans la tête et le tour est joué ! Vous commencerez à vivre des expériences « 7 Chakras ». À présent, remplacez ce schéma par celui des 5 Sephiroth de la Colonne du Milieu (dans la théorie kabbalistique) comme centres psychiques de votre corps, et vous obtiendrez à coup sûr des résultats conformes à ce modèle. Vous saisissez l’idée ?
Tout système de croyances peut servir de fondement à la magie, aussi longtemps que vous y investissez votre foi. Lorsque je me souviens de mes premières expériences magiques, je crois que ce qui était important pour moi, c’était alors la foi que j’avais dans l’ancienneté du système que j’employais, le fait qu’il soit basé sur des formules traditionnelles, etc. Un système de croyances peut être perçu comme une matrice d’informations dans laquelle nous pouvons déverser de l’énergie émotionnelle – c’est la même chose lorsque nous sommes absorbés par une pièce de théâtre, un film ou un programme télé, au point que durant un temps, tout cela devient réel pour nous et suscite les émotions opportunes. La plupart des choses que nous voyons au grand écran sont de puissantes images et des situations mythiques adaptées au goût du jour. C’est le moment de parler de « Star Trek ».
Il y a plus de gens initiés à l’univers de Star Trek qu’à celui des religions à mystères. Je parie que davantage de personnes savent qui est Mr Spock que Lug. Le monde de Star Trek est par essence fantastique et il semble ne posséder que peu de points communs avec la sphère de nos expériences quotidiennes. Cependant, Star Trek est un reflet moderne, mythique, de notre psychologie. Les personnages incarnent des qualités précises : Spock est logique, Sulu est dépeint comme une figure martiale, Scotty est un « maître bâtisseur », et Kirk est un arbitre, cherchant toujours des solutions pacifiques aux conflits. Lorsque nous « entrons » dans l’univers de Star Trek, nous y découvrons plus de profondeur et de stabilité. Nous nous apercevons qu’il possède ses lois propres, auxquelles sont soumis les personnages, et qu’il est pourvu d’une cohérence interne. À chaque épisode, un aperçu de l’univers personnel de l’un des personnages clefs nous est livré. Comme c’est le cas dans notre sphère quotidienne, l’univers de Star Trek possède un au-delà qui est l’inconnu – le futur, l’espace inexploré, les conséquences des actes, quelles que soient les cartes qu’on ait pu nous distribuer.
Donc, nous regardons la télé et assistons, en tant qu’observateurs, au déroulement d’un drame mythique. Nous pouvons encore accroître notre sentiment de participation à cet univers via un jeu de rôle, où la croyance de groupe nous permettra de créer, au moins pour quelques heures, un semblant d’univers Star Trek, dans le confort de notre salon. Il est relativement facile de créer un monde Star Trek, en raison de la pléthore de livres, bandes dessinées, vidéos et accessoires pour jeux de rôle disponibles pour faire vivre cet univers. Voici un témoignage incontestable prouvant tout ceci : l’un de mes collègues devait passer un examen d’informatique et se creusait la tête pour trouver une forme divine appropriée qui lui permettrait de concentrer son esprit sur la programmation. Mercure ? Hermès ? Et soudain il mit le doigt dessus : le plus puissant personnage mythique existant capable de traiter avec les ordinateurs était Mr Spock ! Il entreprit donc d’invoquer Mr Spock, en emmagasinant tout ce qu’il pouvait trouver sur lui et en ne cessant de répéter : « Je ne comprendrai jamais les humains » – jusqu’à devenir totalement « Spockifié ». Et il eut un A, c’est pour dire !
Revenons aux Mythes de Cthulhu. Lovecraft lui-même pensait que la peur, et spécialement la peur de l’inconnu, était la plus forte des émotions liées aux Grands Anciens. La raison pour laquelle j’aime occasionnellement travailler avec ces mythes est que les Grands Anciens sont extérieurs à la plupart des mythologies humaines, reflets des ombres des Géants des Mythes Nordiques, des Titans préolympiens des mythes Grecs, et autres groupes de bâtisseurs de mondes estimés trop chaotiques pour la société bien élevée des dieux de l’univers ordonné.
Une autre chose qui m’attire là-dedans, c’est la nature de ces Grands Anciens, des êtres indistincts qu’on ne peut entrevoir que partiellement ; ils ne peuvent être assimilés ni intégrés à aucun système orthodoxe de magie et je m’amuse beaucoup à inventer des façons de travailler avec eux. Les Grands Anciens ont une nature très « primitive », laquelle me fournit l’énergie émotionnelle nécessaire à l’exploration magique. Après vous avoir raconté cela, j’imagine que vous êtes en train de penser : « Aïe, ce gars est bizarre, il aime faire l’imbécile avec des créatures visqueuses pleines de tentacules », mais je pourrais aussi mentionner que j’ai obtenu quelques résultats probants grâce à des travaux avec un système mythique basé sur (je rougis) les Chroniques de Narnia, de C.S. Lewis.
Ce qui est intéressant dans la métaprogrammation, c’est que vous pouvez adopter une croyance pour un temps relativement bref, puis l’abandonner. Lorsque vous pratiquez la magie rituelle, c’est généralement une bonne idée – que vous considériez les dieux comme des archétypes, reflets de parties de vous-même, ou que vous pensiez qu’ils existent réellement. Et donc, dans un rituel axé sur les mythes de Cthulhu, rien n’aidera à faire monter la pression nécessaire à la magie, hormis adopter la conviction qu’en cas d’erreur Cthulhu vous engloutira ! Certes, en dehors du rituel, il n’est nul besoin de croire en Cthulhu, même si… tiens, à l’instant même, alors que j’écris, apparaît à ma fenêtre une forme visqueuse… non ! NOOON ! … (hum, désolé pour ça).
Proche de cette démarche, se trouve l’idée de « suspension de l’Incrédulité », pouvant également être utile. Prenez par exemple un livre exposant une idée que vous trouvez totalement merdique (chaque magicien a son écrivain « merdique » favori) et efforcez-vous de considérer le message de l’auteur sans que votre voix intérieure ne vocifère des injures. L’une des « suspensions de l’incrédulité » les plus délicates pour les magiciens novices consiste à surmonter le doute agaçant portant sur « tout ce bordel ne marche pas ». Malgré les longues heures de discussion et la lecture de gros bouquins signés Crowley et ses cohortes, ce doute agaçant a tendance à subsister et ne peut vraiment être dissipé que par l’expérience – un phénomène vous prouvant que la Magie fonctionne valant mieux que mille arguments.
Ma conclusion sera donc que l’intensité de la croyance est la clef permettant aux systèmes magiques de fonctionner, qu’ils soient inhérents aux traditions historiques (lesquelles, regardons les choses en face, sont, de toute façon, très souvent réécrites), aux traditions ésotériques (qui ont, elles aussi évolué, au cours des siècles), ou qu’ils soient basés sur des romans ou des productions télévisuelles. C’est votre aptitude à être émotionnellement touchés, ou à les utiliser comme véhicules de votre volonté, qui compte. Si ça marche pour vous, allez-y.
EXERCICES DE BASE
Ces exercices ont été compilés à partir de sources diverses, et peut-être possèdent-ils peu de valeur en eux-mêmes, bien qu’il puisse être amusant de les essayer, et qu’on puisse en espérer de grands résultats. L’une de mes connaissances débuta son incursion dans la Magie du Chaos en adoptant le système de croyances d’un Chrétien Régénéré. Il est toujours Chrétien Régénéré, mais a l’air d’être heureux comme ça.
1. Lorsque vous obtenez un résultat magique (même dans le cas d’un « échec »), essayez toujours de lui trouver plusieurs explications, celles-ci devant comprendre au moins :
Une explication liée aux caractéristiques du système magique que vous avez utilisé.
Une explication tenant du matérialisme pur et dur.
Quelque chose d’exceptionnellement stupide.
2. Lorsque vous aurez expérimenté durant un certain temps les changements de croyances, tentez d’en appréhender deux mutuellement exclusives, par exemple Christianisme et Tantra, Islam et Féminisme radical, Marxisme et Renouveau Celtique New Age.
3. Méditations dans les bibliothèques : lisez des magazines spécialisés dont vous n’avez rien à foutre, particulièrement ceux rédigés par des amateurs enthousiastes. Enchaînez également la lecture de publications proposant des points de vue opposés, comme Playboy et Spare Rib, ou Andrea Dworkin et le Marquis de Sade [1].
4. Ne mettez pas de crapauds vivants dans votre bouche.
5. Tout le monde est un Bouddha, excepté vous ! Et tous attendent que vous fassiez un effort, donc sortez de votre lit et allez-y ! (la bouddhaïté est tout spécialement présente chez les gens que vous évitez soigneusement dans la rue).
6. Efforcez-vous d’être constamment dans l’erreur. Dites des choses erronées puis, lorsque quelqu’un découvre une faille dans votre argumentation, admettez votre erreur, avec profusion si nécessaire. Vous pouvez cultiver l’erreur au sujet de l’heure, du jour de la semaine, d’une information politique, etc.
7. Dieux & Gourous.
Être possédé par une entité (Dieu, esprit, drogue, etc.) vous permet de faire des choses dont vous ne vous sentez pas capable d’habitude. Dans une certaine mesure, la confiance placée en un Gourou fonctionne de la même manière. De telles personnes nous donnent l’assurance de pouvoir marcher sur une corde raide sans nous casser la gueule, de pouvoir jouer dans l’endroit le plus profond de la piscine sans nous noyer, ou d’être capables de jouer du tambourin habillé d’une robe orange dans une rue commerçante grouillante de monde. Le bon sens se situe plutôt là que dans votre tête. La plupart des gens ont l’habitude de dire qu’ils sont fous « comparés aux autres » (de même, beaucoup affirmeront être stupides. Peu admettront, par contre, que leurs fantasmes sexuels sont aberrants : pourquoi ?). La Magie du Chaos vous permet d’offrir une virée nocturne occasionnelle à vos pensées folles. Contrairement à ce que disent les livres, la magie est une activité de rez-de-chaussée – voire de caniveau. Examinez le parcours en zigzag de Crowley, Cagliostro, Simon le Magicien et les autres. Apprenez à jongler, mimer, à sortir des lapins des chapeaux. Faites la quête avec votre haut de forme, arrachez un rire ou deux. Dans l’espace, personne ne vous entend rigoler. Mais le Chaos n’est rien d’autre que de la Matière Rieuse. Si vous voulez voir de la vraie magie en action, regardez un film des Marx Brothers. Harpo pouvait faire exploser un gant puis le traire. Mais comment faisait-il ?
8. Ces gens qui attirent le Chaos. Vous pouvez être certain de croiser parfois de ces personnes attirant le Chaos où qu’elles aillent. Elles possèdent une sorte de pouvoir étrange et intense, mais en sont souvent inconscientes, ou se trouvent simplement embarrassées par la fréquence des choses insolites qui abondent autour d’elles. Étudiez-les soigneusement (à bonne distance si nécessaire) et il se pourrait que vous appreniez quelques petites choses.
9. Déconditionnement. Comme je l’ai signalé plus tôt, il est relativement facile de passer d’une croyance magique à une autre, et d’obtenir des résultats concordants. Cela ne signifie pas, cependant, que changer de croyances soit aussi simple. Certains niveaux de notre complexe intérieur croyances/attitudes résistent remarquablement à toute tentative de modification consciente. De fait, certaines de ces structures sont capables de « résister » au changement en demeurant fuyantes et « invisibles » à la conscience. Il faut alors, à coups de pied dans le cul, les contraindre à s’exposer à la douloureuse lumière de l’autorévélation.
Si je puis employer cette comparaison : les croyances sont comme des bâtiments (la ville des Moi), contre les murs desquels souffle le vent du Kia, l’incessant processus de Déconditionnement pouvant être comparé au fait d’attaquer des tours ; une éventuelle « frappe nucléaire » peut advenir lors d’une puissante forme de gnose – comme l’extase sexuelle, un excès de souffrance ou l’élixir d’Albert Hoffman.
Le déconditionnement est un processus permanent – lorsque vous venez d’abattre un groupe de limitations (dans le Tantra, on appelle cela la destruction des Kleshas), vous réalisez que vous en contractez de nouvelles, généralement de manière inconsciente. Souvent les structures/croyances sont « nichées » les unes dans les autres, et peuvent plonger leurs racines dans de puissantes expériences formatrices. Timothy Leary appelle ce processus « Réactivité des Empreintes » : l’empreinte constituant une réponse de base à l’expérience et marquant les limites dans lesquelles s’inscrira toute expérience ultérieure. Le modèle des 8 Circuits de Métaprogrammation de Leary peut être employé pour aider au déconditionnement.
Soyez conscient que le Processus de Déconditionnement ne se réduit pas à une expérience intellectuelle. Il est relativement facile « d’accepter intellectuellement » une expérience ou une croyance que vous aviez auparavant rejetée ou écartée. Il est plus difficile d’agir depuis votre nouvelle position, et il y a davantage de risques que s’ensuive un bouleversement émotionnel. Par exemple, un jeune magicien de ma connaissance examina ses propres croyances au sujet de sa sexualité et décida de se concentrer sur sa propre répulsion/peur de l’érotisme homosexuel. Il découvrit qu’il pouvait accepter intellectuellement ses pulsions refoulées à l’égard des autres mâles, et s’estima ainsi libéré. Il eut ensuite quelques rencontres homosexuelles, lesquelles, d’après lui, ne lui procurèrent aucun plaisir physique, mais ne firent qu’alimenter sa « croyance » de s’être sexuellement libéré. Le déconditionnement est rarement simple. Il arrive souvent que les personnes ayant vécu une expérience « illuminatrice » pensent que leurs vieilles structures répressives se sont évanouies. Abattez un building dans la ville des identités et il reviendra parfois sous une forme différente. L’un des effets de la Gnose Intense consiste à fracasser les couches de croyances, mais l’on s’aperçoit en général qu’à moins qu’un travail ultérieur ne soit fourni, la conviction de la destruction des croyances n’est que transitoire.
Vous devriez aussi étudier les effets que ce processus est susceptible d’engendrer chez les autres – lire à ce sujet The Dice Man de Luke Rhinehart, l’histoire amusante et instructive d’un homme s’adonnant au déconditionnement. L’Ego, structure autorégulatrice qui nous maintient dans l’illusion d’être une personne unique, n’apprécie pas les processus tendant à l’assouplir. L’une de ses « défenses » les plus subtiles consiste à vous faire sournoisement croire (et ça peut vite devenir une obsession) que vous êtes meilleur que les autres. Dans certains cercles, ce phénomène est connu sous le nom de « Magusite », et il n’est pas étranger à la pathologie de ceux qui s’auto proclament Mages, Reines des Sorcières, avatars de la Déesse, ou Maîtres Spirituels. Si vous vous surprenez à parler des autres comme « le troupeau », ou « le bétail humain », etc., il est alors temps de considérer vers quoi vous vous dirigez.
Pour ma part, je préfère les avantages offerts par l’empathie et la capacité à m’entendre avec les autres, aux restrictions imposées par le fait d’être un Raskalnikov potentiel, reclus et rêvant d’esclaves pour le servir. Bien que nous puissions nous faire écho des paroles d’Hassan I Sabbah, « Rien n’est Vrai, Tout est Permis », agir uniquement à partir de cette prémisse risque probablement de vous faire rentrer en conflit avec les autorités et les individus dont les idées sont assez strictes concernant ce qui n’est pas permis. Ainsi, bien qu’ils ressentent pour cela une certaine fascination, les Magiciens du Chaos sont rarement d’une totale amoralité. L’un des axiomes de base de la philosophie magique est que l’éthique grandit en soi-même, dès lors qu’on a commencé à cerner la différence entre ce que l’on a appris à croire et ce que l’on désire croire.
D’excellentes indications quant au processus de Déconditionnement se trouvent dans le Liber Null de Pete Carroll, Magick d’Aleister Crowley, et dans Tantra Magick, un ouvrage réunissant des documents concernant les grades d’un ordre tantrique, oriental et occidental, nommé Amookos.
10. Tenir un Journal. Malgré la fascination de la Chaos Magic pour la spontanéité, le « fais comme tu veux », « pulvérise les sephiroth et libère-toi de tes démons par la magie », on considère généralement que tenir un journal pour y consigner ses expérimentations est une chose capitale. Un journal magique enregistre vos progrès, échecs, expériences et découvertes. Si après un rituel à vous broyer le cerveau, vous avez un flash d’illumination et que vous omettez de le coucher par écrit, il y a des chances pour que vous l’oubliez, et cette perle de sagesse sera perdue à tout jamais. En outre, il s’agit d’une bonne discipline et je remarque souvent, lorsque j’effectue le résumé d’un travail, que je me rémémore alors des choses qui ne m’étaient pas venues à l’esprit l’instant d’avant. Il s’agit aussi de l’une des rares fois où vous n’avez pas à censurer vos pensées, bien que les noms doivent parfois être changés afin de toujours protéger l’intimité des autres participants.
CONCLUSIONS
Ce livret est un essai destiné à faire passer certaines idées de base sur la Magie du Chaos. Vous devez garder à l’esprit en le lisant qu’il s’agit là de ma vision personnelle des choses – issue de l’expérience et du parcours en zigzag que j’ai effectué dans l’étrange monde de la magie. Il n’existe pas de livres « faisant autorité » pour l’approche Chaote. Pas de charme issu d’une longue « tradition », à laquelle le magicien en herbe pourrait se raccrocher, et éviter par là la responsabilité d’être lui-même créatif et innovant. La Magie du Chaos requiert que vous vous frayiez votre propre voie, plutôt que suivre celle d’une autre personne – et la manière dont vous vous fraierez ce chemin repose largement sur vous.
Vers quoi va la Magie du Chaos ? Il n’y a pas de sentier particulier, identifiable, menant « quelque part » – pas d’extase dorée et illuminatrice ou de but précis inhérent à cette approche. S’il existe un point final, c’est à vous d’en décider et à vous de le découvrir. Les théoriciens de l’approche Chaote – qu’ils fassent ou non partie de la mouvance, ont souligné cette tendance « à jouer avec la magie », à essayer divers systèmes magiques avec la même allégresse que s’il s’agissait de goûter des parfums de glace. Certains pratiquants testent plusieurs techniques et rituels sans comprendre en profondeur comment ces expériences pourraient s’accorder. Du fait qu’il n’y a pas de sentier établi, on pourrait penser qu’il n’y a pas de sentier du tout, mais, là encore, c’est à chacun de décider pour lui-même. La Magie du Chaos se présente comme le reflet de nombreux aspects de la culture occidentale moderne, particulièrement l’éternelle mouvance des styles, de fragments diffus se mariant les uns aux autres, sans que l’on puisse identifier de « fil » susceptible de les relier.
C’est à chacun de nous de découvrir l’intuition d’une connexion. Tirer un semblant d’ordre de ce que Austin Osman Spare nommait « le chaos du normal ». Le terme « Gnose » signifie également « connaissance du coeur » ; elle ne peut venir que de la découverte et de l’expérience personnelles et il est très souvent difficile de la communiquer à autrui, sinon de manière indirecte.
La Magie du Chaos est simplement une approche visant à englober toute la Gnose, encourageant chaque individu à devenir responsable de sa propre évolution – ce que vous faites, et comment vous l’interprétez à la lumière de votre expérience. Il arrive que l’on me demande « ce qu’il faut faire » pour devenir un Magicien du Chaos. Il n’y a pas de véritable réponse à cette question. Vous pouvez, par exemple, pratiquer la Kabbale (et uniquement la Kabbale) durant dix ans, puis vous considérer comme un Magicien du Chaos – si telle est votre volonté. Par-dessus tout, ne confondez pas l’opinion avec le dogme, ou la fascination avec l’engagement – mais il ne s’agit là, dans tous les cas, que de ma propre vision des choses !
Hail Eris !
Chaos prêt à cuire 4, Phil Hine, mars 1992. Titre original « Oven Ready Chaos ». Traduction française par Melmothia, 2009.
[1] Spare Rib est une revue féministe anglaise ayant paru de 1972 à 1993. Andrea Rita Dworkin (1946-2005) était une féministe radicale connue en Amérique pour son combat contre la pornographie. NDT.
Par Phil Hine
LA CROYANCE, CLEF DE LA MAGIE
L’un des aspects troublants de la Magie du Chaos est cette façon dont le Magicien du Chaos (ou Chaoiste, si vous préférez) va occasionnellement travailler avec des symboles venant de sources non historiques ; il peut ainsi invoquer les monstres des mythes Cthulhiens de Lovecraft, projeter le Rocky Horror Picture Show sur l’Arbre de Vie, foncer dans le vide astral à bord d’un avion de chasse, et recevoir des communications du type « channeling » de dieux qui n’existaient pas cinq minutes plus tôt.
Vous comprendrez aisément qu’utiliser ce genre de matériel comme base d’un travail magique sérieux peut susciter quelques grimaces de désapprobation. Car, l’œuvre de Lovecraft ne relève-t-elle pas de la fiction ? Par conséquent, que devient la nécessité de se connecter avec les « plans intérieurs », les « traditions », etc. – peut-on réellement faire de la magie sans s’appuyer sur un substrat historique ou mythologique ?
Dans le passé, cette idée a alimenté les critiques à l’encontre des magiciens travaillant avec des entités « fictives ». Dans cette section, je vais discuter de ce problème et j’espère arriver à réfuter les objections.
La première chose à dire, c’est que la magie nécessite un système de croyances à l’intérieur duquel travailler. Le système de croyances correspond à la construction symbolique et linguistique grâce à laquelle le magicien apprend à interpréter ses expériences et peut explorer tout ce qui se trouve entre la bonne vieille Kabbale traditionnelle et le trip New Age « Je l’ai appris d’un véritable chamane amérindien » si populaire de nos jours.
Peu importe le système de croyances que vous choisissez, du moment qu’il vous satisfait. Relisez cela, c’est important. En fin de compte, bon nombre de magiciens finissent par développer leur propre système magique, lequel fonctionne bien pour eux mais serait perturbant pour les autres : l’Alphabet du Désir d’Austin Osman Spare en constitue un bon exemple.
L’une des clefs de la réussite magique est la véracité de la croyance. Si vous désirez expérimenter quelque chose et que vous pouvez fournir une explication plausible au comment/pourquoi ça doit marcher, alors ça marchera très probablement.
Le charabia pseudo scientifique ou kabbaliste – parfois les deux, importe peu du moment que votre raisonnement parvient à étayer votre croyance en l’idée avec laquelle vous travaillez. Je me suis aperçu que ça fonctionnait plutôt bien lorsque je m’efforçais de tester les limites de la façon d’aborder tel ou tel acte magique que je n’avais jamais tenté auparavant. Une fois trouvée une explication plausible de la manière dont cela peut fonctionner, alors je suis évidemment plus confiant dans ce que je fais et souvent capable de transmettre cette confiance aux autres. Si je suis certain à 110% que mes rituels vont « marcher sacrément bien », ce sera alors très probablement le cas.
Vous pouvez expérimenter cela en utilisant la technique du changement de croyances – que Robert Anton Wilson appelle « Métaprogrammation ». Un bon exemple en est constitué par les chakras. Il est généralement admis que nous en avons sept. Okay. Alors, méditez sur vos chakras, rentrez-vous le symbolisme dans la tête et le tour est joué ! Vous commencerez à vivre des expériences « 7 Chakras ». À présent, remplacez ce schéma par celui des 5 Sephiroth de la Colonne du Milieu (dans la théorie kabbalistique) comme centres psychiques de votre corps, et vous obtiendrez à coup sûr des résultats conformes à ce modèle. Vous saisissez l’idée ?
Tout système de croyances peut servir de fondement à la magie, aussi longtemps que vous y investissez votre foi. Lorsque je me souviens de mes premières expériences magiques, je crois que ce qui était important pour moi, c’était alors la foi que j’avais dans l’ancienneté du système que j’employais, le fait qu’il soit basé sur des formules traditionnelles, etc. Un système de croyances peut être perçu comme une matrice d’informations dans laquelle nous pouvons déverser de l’énergie émotionnelle – c’est la même chose lorsque nous sommes absorbés par une pièce de théâtre, un film ou un programme télé, au point que durant un temps, tout cela devient réel pour nous et suscite les émotions opportunes. La plupart des choses que nous voyons au grand écran sont de puissantes images et des situations mythiques adaptées au goût du jour. C’est le moment de parler de « Star Trek ».
Il y a plus de gens initiés à l’univers de Star Trek qu’à celui des religions à mystères. Je parie que davantage de personnes savent qui est Mr Spock que Lug. Le monde de Star Trek est par essence fantastique et il semble ne posséder que peu de points communs avec la sphère de nos expériences quotidiennes. Cependant, Star Trek est un reflet moderne, mythique, de notre psychologie. Les personnages incarnent des qualités précises : Spock est logique, Sulu est dépeint comme une figure martiale, Scotty est un « maître bâtisseur », et Kirk est un arbitre, cherchant toujours des solutions pacifiques aux conflits. Lorsque nous « entrons » dans l’univers de Star Trek, nous y découvrons plus de profondeur et de stabilité. Nous nous apercevons qu’il possède ses lois propres, auxquelles sont soumis les personnages, et qu’il est pourvu d’une cohérence interne. À chaque épisode, un aperçu de l’univers personnel de l’un des personnages clefs nous est livré. Comme c’est le cas dans notre sphère quotidienne, l’univers de Star Trek possède un au-delà qui est l’inconnu – le futur, l’espace inexploré, les conséquences des actes, quelles que soient les cartes qu’on ait pu nous distribuer.
Donc, nous regardons la télé et assistons, en tant qu’observateurs, au déroulement d’un drame mythique. Nous pouvons encore accroître notre sentiment de participation à cet univers via un jeu de rôle, où la croyance de groupe nous permettra de créer, au moins pour quelques heures, un semblant d’univers Star Trek, dans le confort de notre salon. Il est relativement facile de créer un monde Star Trek, en raison de la pléthore de livres, bandes dessinées, vidéos et accessoires pour jeux de rôle disponibles pour faire vivre cet univers. Voici un témoignage incontestable prouvant tout ceci : l’un de mes collègues devait passer un examen d’informatique et se creusait la tête pour trouver une forme divine appropriée qui lui permettrait de concentrer son esprit sur la programmation. Mercure ? Hermès ? Et soudain il mit le doigt dessus : le plus puissant personnage mythique existant capable de traiter avec les ordinateurs était Mr Spock ! Il entreprit donc d’invoquer Mr Spock, en emmagasinant tout ce qu’il pouvait trouver sur lui et en ne cessant de répéter : « Je ne comprendrai jamais les humains » – jusqu’à devenir totalement « Spockifié ». Et il eut un A, c’est pour dire !
Revenons aux Mythes de Cthulhu. Lovecraft lui-même pensait que la peur, et spécialement la peur de l’inconnu, était la plus forte des émotions liées aux Grands Anciens. La raison pour laquelle j’aime occasionnellement travailler avec ces mythes est que les Grands Anciens sont extérieurs à la plupart des mythologies humaines, reflets des ombres des Géants des Mythes Nordiques, des Titans préolympiens des mythes Grecs, et autres groupes de bâtisseurs de mondes estimés trop chaotiques pour la société bien élevée des dieux de l’univers ordonné.
Une autre chose qui m’attire là-dedans, c’est la nature de ces Grands Anciens, des êtres indistincts qu’on ne peut entrevoir que partiellement ; ils ne peuvent être assimilés ni intégrés à aucun système orthodoxe de magie et je m’amuse beaucoup à inventer des façons de travailler avec eux. Les Grands Anciens ont une nature très « primitive », laquelle me fournit l’énergie émotionnelle nécessaire à l’exploration magique. Après vous avoir raconté cela, j’imagine que vous êtes en train de penser : « Aïe, ce gars est bizarre, il aime faire l’imbécile avec des créatures visqueuses pleines de tentacules », mais je pourrais aussi mentionner que j’ai obtenu quelques résultats probants grâce à des travaux avec un système mythique basé sur (je rougis) les Chroniques de Narnia, de C.S. Lewis.
Ce qui est intéressant dans la métaprogrammation, c’est que vous pouvez adopter une croyance pour un temps relativement bref, puis l’abandonner. Lorsque vous pratiquez la magie rituelle, c’est généralement une bonne idée – que vous considériez les dieux comme des archétypes, reflets de parties de vous-même, ou que vous pensiez qu’ils existent réellement. Et donc, dans un rituel axé sur les mythes de Cthulhu, rien n’aidera à faire monter la pression nécessaire à la magie, hormis adopter la conviction qu’en cas d’erreur Cthulhu vous engloutira ! Certes, en dehors du rituel, il n’est nul besoin de croire en Cthulhu, même si… tiens, à l’instant même, alors que j’écris, apparaît à ma fenêtre une forme visqueuse… non ! NOOON ! … (hum, désolé pour ça).
Proche de cette démarche, se trouve l’idée de « suspension de l’Incrédulité », pouvant également être utile. Prenez par exemple un livre exposant une idée que vous trouvez totalement merdique (chaque magicien a son écrivain « merdique » favori) et efforcez-vous de considérer le message de l’auteur sans que votre voix intérieure ne vocifère des injures. L’une des « suspensions de l’incrédulité » les plus délicates pour les magiciens novices consiste à surmonter le doute agaçant portant sur « tout ce bordel ne marche pas ». Malgré les longues heures de discussion et la lecture de gros bouquins signés Crowley et ses cohortes, ce doute agaçant a tendance à subsister et ne peut vraiment être dissipé que par l’expérience – un phénomène vous prouvant que la Magie fonctionne valant mieux que mille arguments.
Ma conclusion sera donc que l’intensité de la croyance est la clef permettant aux systèmes magiques de fonctionner, qu’ils soient inhérents aux traditions historiques (lesquelles, regardons les choses en face, sont, de toute façon, très souvent réécrites), aux traditions ésotériques (qui ont, elles aussi évolué, au cours des siècles), ou qu’ils soient basés sur des romans ou des productions télévisuelles. C’est votre aptitude à être émotionnellement touchés, ou à les utiliser comme véhicules de votre volonté, qui compte. Si ça marche pour vous, allez-y.
EXERCICES DE BASE
Ces exercices ont été compilés à partir de sources diverses, et peut-être possèdent-ils peu de valeur en eux-mêmes, bien qu’il puisse être amusant de les essayer, et qu’on puisse en espérer de grands résultats. L’une de mes connaissances débuta son incursion dans la Magie du Chaos en adoptant le système de croyances d’un Chrétien Régénéré. Il est toujours Chrétien Régénéré, mais a l’air d’être heureux comme ça.
1. Lorsque vous obtenez un résultat magique (même dans le cas d’un « échec »), essayez toujours de lui trouver plusieurs explications, celles-ci devant comprendre au moins :
Une explication liée aux caractéristiques du système magique que vous avez utilisé.
Une explication tenant du matérialisme pur et dur.
Quelque chose d’exceptionnellement stupide.
2. Lorsque vous aurez expérimenté durant un certain temps les changements de croyances, tentez d’en appréhender deux mutuellement exclusives, par exemple Christianisme et Tantra, Islam et Féminisme radical, Marxisme et Renouveau Celtique New Age.
3. Méditations dans les bibliothèques : lisez des magazines spécialisés dont vous n’avez rien à foutre, particulièrement ceux rédigés par des amateurs enthousiastes. Enchaînez également la lecture de publications proposant des points de vue opposés, comme Playboy et Spare Rib, ou Andrea Dworkin et le Marquis de Sade [1].
4. Ne mettez pas de crapauds vivants dans votre bouche.
5. Tout le monde est un Bouddha, excepté vous ! Et tous attendent que vous fassiez un effort, donc sortez de votre lit et allez-y ! (la bouddhaïté est tout spécialement présente chez les gens que vous évitez soigneusement dans la rue).
6. Efforcez-vous d’être constamment dans l’erreur. Dites des choses erronées puis, lorsque quelqu’un découvre une faille dans votre argumentation, admettez votre erreur, avec profusion si nécessaire. Vous pouvez cultiver l’erreur au sujet de l’heure, du jour de la semaine, d’une information politique, etc.
7. Dieux & Gourous.
Être possédé par une entité (Dieu, esprit, drogue, etc.) vous permet de faire des choses dont vous ne vous sentez pas capable d’habitude. Dans une certaine mesure, la confiance placée en un Gourou fonctionne de la même manière. De telles personnes nous donnent l’assurance de pouvoir marcher sur une corde raide sans nous casser la gueule, de pouvoir jouer dans l’endroit le plus profond de la piscine sans nous noyer, ou d’être capables de jouer du tambourin habillé d’une robe orange dans une rue commerçante grouillante de monde. Le bon sens se situe plutôt là que dans votre tête. La plupart des gens ont l’habitude de dire qu’ils sont fous « comparés aux autres » (de même, beaucoup affirmeront être stupides. Peu admettront, par contre, que leurs fantasmes sexuels sont aberrants : pourquoi ?). La Magie du Chaos vous permet d’offrir une virée nocturne occasionnelle à vos pensées folles. Contrairement à ce que disent les livres, la magie est une activité de rez-de-chaussée – voire de caniveau. Examinez le parcours en zigzag de Crowley, Cagliostro, Simon le Magicien et les autres. Apprenez à jongler, mimer, à sortir des lapins des chapeaux. Faites la quête avec votre haut de forme, arrachez un rire ou deux. Dans l’espace, personne ne vous entend rigoler. Mais le Chaos n’est rien d’autre que de la Matière Rieuse. Si vous voulez voir de la vraie magie en action, regardez un film des Marx Brothers. Harpo pouvait faire exploser un gant puis le traire. Mais comment faisait-il ?
8. Ces gens qui attirent le Chaos. Vous pouvez être certain de croiser parfois de ces personnes attirant le Chaos où qu’elles aillent. Elles possèdent une sorte de pouvoir étrange et intense, mais en sont souvent inconscientes, ou se trouvent simplement embarrassées par la fréquence des choses insolites qui abondent autour d’elles. Étudiez-les soigneusement (à bonne distance si nécessaire) et il se pourrait que vous appreniez quelques petites choses.
9. Déconditionnement. Comme je l’ai signalé plus tôt, il est relativement facile de passer d’une croyance magique à une autre, et d’obtenir des résultats concordants. Cela ne signifie pas, cependant, que changer de croyances soit aussi simple. Certains niveaux de notre complexe intérieur croyances/attitudes résistent remarquablement à toute tentative de modification consciente. De fait, certaines de ces structures sont capables de « résister » au changement en demeurant fuyantes et « invisibles » à la conscience. Il faut alors, à coups de pied dans le cul, les contraindre à s’exposer à la douloureuse lumière de l’autorévélation.
Si je puis employer cette comparaison : les croyances sont comme des bâtiments (la ville des Moi), contre les murs desquels souffle le vent du Kia, l’incessant processus de Déconditionnement pouvant être comparé au fait d’attaquer des tours ; une éventuelle « frappe nucléaire » peut advenir lors d’une puissante forme de gnose – comme l’extase sexuelle, un excès de souffrance ou l’élixir d’Albert Hoffman.
Le déconditionnement est un processus permanent – lorsque vous venez d’abattre un groupe de limitations (dans le Tantra, on appelle cela la destruction des Kleshas), vous réalisez que vous en contractez de nouvelles, généralement de manière inconsciente. Souvent les structures/croyances sont « nichées » les unes dans les autres, et peuvent plonger leurs racines dans de puissantes expériences formatrices. Timothy Leary appelle ce processus « Réactivité des Empreintes » : l’empreinte constituant une réponse de base à l’expérience et marquant les limites dans lesquelles s’inscrira toute expérience ultérieure. Le modèle des 8 Circuits de Métaprogrammation de Leary peut être employé pour aider au déconditionnement.
Soyez conscient que le Processus de Déconditionnement ne se réduit pas à une expérience intellectuelle. Il est relativement facile « d’accepter intellectuellement » une expérience ou une croyance que vous aviez auparavant rejetée ou écartée. Il est plus difficile d’agir depuis votre nouvelle position, et il y a davantage de risques que s’ensuive un bouleversement émotionnel. Par exemple, un jeune magicien de ma connaissance examina ses propres croyances au sujet de sa sexualité et décida de se concentrer sur sa propre répulsion/peur de l’érotisme homosexuel. Il découvrit qu’il pouvait accepter intellectuellement ses pulsions refoulées à l’égard des autres mâles, et s’estima ainsi libéré. Il eut ensuite quelques rencontres homosexuelles, lesquelles, d’après lui, ne lui procurèrent aucun plaisir physique, mais ne firent qu’alimenter sa « croyance » de s’être sexuellement libéré. Le déconditionnement est rarement simple. Il arrive souvent que les personnes ayant vécu une expérience « illuminatrice » pensent que leurs vieilles structures répressives se sont évanouies. Abattez un building dans la ville des identités et il reviendra parfois sous une forme différente. L’un des effets de la Gnose Intense consiste à fracasser les couches de croyances, mais l’on s’aperçoit en général qu’à moins qu’un travail ultérieur ne soit fourni, la conviction de la destruction des croyances n’est que transitoire.
Vous devriez aussi étudier les effets que ce processus est susceptible d’engendrer chez les autres – lire à ce sujet The Dice Man de Luke Rhinehart, l’histoire amusante et instructive d’un homme s’adonnant au déconditionnement. L’Ego, structure autorégulatrice qui nous maintient dans l’illusion d’être une personne unique, n’apprécie pas les processus tendant à l’assouplir. L’une de ses « défenses » les plus subtiles consiste à vous faire sournoisement croire (et ça peut vite devenir une obsession) que vous êtes meilleur que les autres. Dans certains cercles, ce phénomène est connu sous le nom de « Magusite », et il n’est pas étranger à la pathologie de ceux qui s’auto proclament Mages, Reines des Sorcières, avatars de la Déesse, ou Maîtres Spirituels. Si vous vous surprenez à parler des autres comme « le troupeau », ou « le bétail humain », etc., il est alors temps de considérer vers quoi vous vous dirigez.
Pour ma part, je préfère les avantages offerts par l’empathie et la capacité à m’entendre avec les autres, aux restrictions imposées par le fait d’être un Raskalnikov potentiel, reclus et rêvant d’esclaves pour le servir. Bien que nous puissions nous faire écho des paroles d’Hassan I Sabbah, « Rien n’est Vrai, Tout est Permis », agir uniquement à partir de cette prémisse risque probablement de vous faire rentrer en conflit avec les autorités et les individus dont les idées sont assez strictes concernant ce qui n’est pas permis. Ainsi, bien qu’ils ressentent pour cela une certaine fascination, les Magiciens du Chaos sont rarement d’une totale amoralité. L’un des axiomes de base de la philosophie magique est que l’éthique grandit en soi-même, dès lors qu’on a commencé à cerner la différence entre ce que l’on a appris à croire et ce que l’on désire croire.
D’excellentes indications quant au processus de Déconditionnement se trouvent dans le Liber Null de Pete Carroll, Magick d’Aleister Crowley, et dans Tantra Magick, un ouvrage réunissant des documents concernant les grades d’un ordre tantrique, oriental et occidental, nommé Amookos.
10. Tenir un Journal. Malgré la fascination de la Chaos Magic pour la spontanéité, le « fais comme tu veux », « pulvérise les sephiroth et libère-toi de tes démons par la magie », on considère généralement que tenir un journal pour y consigner ses expérimentations est une chose capitale. Un journal magique enregistre vos progrès, échecs, expériences et découvertes. Si après un rituel à vous broyer le cerveau, vous avez un flash d’illumination et que vous omettez de le coucher par écrit, il y a des chances pour que vous l’oubliez, et cette perle de sagesse sera perdue à tout jamais. En outre, il s’agit d’une bonne discipline et je remarque souvent, lorsque j’effectue le résumé d’un travail, que je me rémémore alors des choses qui ne m’étaient pas venues à l’esprit l’instant d’avant. Il s’agit aussi de l’une des rares fois où vous n’avez pas à censurer vos pensées, bien que les noms doivent parfois être changés afin de toujours protéger l’intimité des autres participants.
CONCLUSIONS
Ce livret est un essai destiné à faire passer certaines idées de base sur la Magie du Chaos. Vous devez garder à l’esprit en le lisant qu’il s’agit là de ma vision personnelle des choses – issue de l’expérience et du parcours en zigzag que j’ai effectué dans l’étrange monde de la magie. Il n’existe pas de livres « faisant autorité » pour l’approche Chaote. Pas de charme issu d’une longue « tradition », à laquelle le magicien en herbe pourrait se raccrocher, et éviter par là la responsabilité d’être lui-même créatif et innovant. La Magie du Chaos requiert que vous vous frayiez votre propre voie, plutôt que suivre celle d’une autre personne – et la manière dont vous vous fraierez ce chemin repose largement sur vous.
Vers quoi va la Magie du Chaos ? Il n’y a pas de sentier particulier, identifiable, menant « quelque part » – pas d’extase dorée et illuminatrice ou de but précis inhérent à cette approche. S’il existe un point final, c’est à vous d’en décider et à vous de le découvrir. Les théoriciens de l’approche Chaote – qu’ils fassent ou non partie de la mouvance, ont souligné cette tendance « à jouer avec la magie », à essayer divers systèmes magiques avec la même allégresse que s’il s’agissait de goûter des parfums de glace. Certains pratiquants testent plusieurs techniques et rituels sans comprendre en profondeur comment ces expériences pourraient s’accorder. Du fait qu’il n’y a pas de sentier établi, on pourrait penser qu’il n’y a pas de sentier du tout, mais, là encore, c’est à chacun de décider pour lui-même. La Magie du Chaos se présente comme le reflet de nombreux aspects de la culture occidentale moderne, particulièrement l’éternelle mouvance des styles, de fragments diffus se mariant les uns aux autres, sans que l’on puisse identifier de « fil » susceptible de les relier.
C’est à chacun de nous de découvrir l’intuition d’une connexion. Tirer un semblant d’ordre de ce que Austin Osman Spare nommait « le chaos du normal ». Le terme « Gnose » signifie également « connaissance du coeur » ; elle ne peut venir que de la découverte et de l’expérience personnelles et il est très souvent difficile de la communiquer à autrui, sinon de manière indirecte.
La Magie du Chaos est simplement une approche visant à englober toute la Gnose, encourageant chaque individu à devenir responsable de sa propre évolution – ce que vous faites, et comment vous l’interprétez à la lumière de votre expérience. Il arrive que l’on me demande « ce qu’il faut faire » pour devenir un Magicien du Chaos. Il n’y a pas de véritable réponse à cette question. Vous pouvez, par exemple, pratiquer la Kabbale (et uniquement la Kabbale) durant dix ans, puis vous considérer comme un Magicien du Chaos – si telle est votre volonté. Par-dessus tout, ne confondez pas l’opinion avec le dogme, ou la fascination avec l’engagement – mais il ne s’agit là, dans tous les cas, que de ma propre vision des choses !
Hail Eris !
[1] Spare Rib est une revue féministe anglaise ayant paru de 1972 à 1993. Andrea Rita Dworkin (1946-2005) était une féministe radicale connue en Amérique pour son combat contre la pornographie. NDT.