Nécrologie : la Chaos Magick est morte ! par Fra. Kha
La Chaos Magick est née dans les années 70 dans le même élan que le mouvement punk et se veut un reflet du postmodernisme occidental qui proclame, à son tour, la fin de l’histoire et du futur. En réalité, le postmodernisme est surtout marqué par un vide absolu de tout sens philosophique artistique ou mystique. L’instant prévaut, l’« ici et maintenant » est la règle managériale commune que l’on rencontre aussi bien dans les salons avec la consommation en « un clic » que dans les bureaux où les esclaves modernes se voient contraints de se mouvoir dans une perpétuelle fuite en avant qui ne semble mener nulle part. Le postmodernisme est en ce sens une fin, mais une fin en soi ! Et la Chaos Magick dans son empressement à se débarrasser des dieux et de la « vérité », laisse le bébé s’en aller avec l’eau du bain magique !
L’accent mis sur le « saut de paradigme » (ou saut de croyance) mène aussi à une situation où le magicien pense qu’il peut sans risque et le plus facilement du monde passer d’une divinité à une autre, d’un système de pensée (social ou religieux) à un autre. Ce saut est d’autant plus facile que, puisque la « vérité » et la « connaissance » n’existant par ailleurs pas, le magicien peut se passer d’étudier et d’approfondir les symboles et les énergies concernés. En effet, le magicien arrive, il voit, il veut, il prend et il se barre. Un peu à la manière dont notre société consomme les images, les objets insensés, les pensées et tout le reste au travers de la « mode » — un économique saut de paradigme en fait – le magicien sautille plus ou moins gracilement à la manière de Laura Ingals dans son pré.
Si l’on ne peut douter de la vertu que cette technique peut avoir pour le magicien – une forme de souplesse d’esprit, de marasme doctrinal syncrétique –, on doute de sa valeur quant à l’enseignement retiré et à la réussite du parcours « initiatique » (que l’on nous pardonne ce mauvais écart traditionaliste). Les croyances ne deviennent avec la MacAos Magick rien de plus qu’un bien de consommation rapide, on se tape de la malbouffe mystique à peu de frais, le repas à peine terminé on est déjà chez le voisin pour essayer ses soufi-gratinés.
La Chaos Magick a toujours privilégié la technique par rapport à la mystique. Certains pourront dire que c’est son point fort, et nous les rejoignons là-dessus. Cependant, s’il est vrai qu’il est bon de décourager l’excès de mysticisme dans la pratique magique – au risque de se retrouver dans le grand bardon de l’occultisme – il est également indéniable que la technique seule n’apporte rien. La perfection de la technique, la précision d’horloger que le magicien met dans sa pratique magique le rapproche plus des occultistes alors qu’elle devrait les en éloigner.
Qu’est-ce qu’un rituel s’il n’est chargé d’émotion, de vibrations subtiles qu’entraînent la passion d’une divinité ? La magie utilitaire est-elle si désirable ? Certes, elle apporte ce que convoite le magicien, mais cette satisfaction ne risque-t-elle pas de se résumer à celle qu’éprouve un adolescent lors de l’achat du dernier jeu à la mode ? Ne manque-t-il pas un zeste d’émotion dans ce cocktail ?
Être un magicien, ce n’est pas se contenter de désirer et d’obtenir, c’est aussi chercher à opérer une modification de soi au travers d’une pratique qui actionne des leviers dans notre subconscient. Si l’on se contente d’apprendre des techniques et de se ruer dans un grand magasin pour se servir, cela n’apporte rien selon nous. Si la magie peut être distinguée de la philosophie ou de la mystique qui la sous-tendent, on ne peut ignorer non plus l’apport du phénomène spirituel dans la démarche magique. Le risque n’est-il pas alors de délaisser des « outils » indispensables à sa quête et à son développement intérieur ? Ne s’emparer que des éléments exotériques et mondains d’une foi et en ignorer le fond spirituel, n’est-ce pas de la simple masturbation intellectuelle, voire mystagogique ?
C’est, selon nous, la capacité qu’a le magicien de se forger une Foi qui le peut le rendre non pas supérieur, mais différent de la « masse ». Le système de croyance(s), fut-il personnel ou même syncrétique, joue un grand rôle dans les opérations magiques et, particulièrement, dans l’utilisation de la Volonté. Si l’on admet que « rien n’est vrai » alors, comme nous l’avons déjà dit par ailleurs, nous sommes face à une bouillie conceptuelle et pratique qui voudrait que tout soit égal à tout dans un grand n’importe quoi qui relève, alors, plus du jeu de rôle que de la quête mystique.
La Chaos Magick en voulant développer un système technicien, créer des énarques de la magie, libérés de toute mystique a fini par tomber dans un flou plus qu’artistique. Ne croire en rien et croire en tout devient un credo ânonné par nos chaotes dans une hallucinante absence de questionnement. Peut-on croire qu’invoquer Lilith dans son salon à l’aide d’un fouet et en se branlant sur un crucifix apporte réellement une connaissance de l’intimité de cette divinité ?
Un autre élément de la Chaos Magick qui nous faire pressentir la pauvreté de son paradigme est l’utilisation d’états modifiés de conscience, que la Chaos rebaptise « Gnose ». Si des centaines de pages sont lisibles sur la raison pour laquelle on doit utiliser cette technique, les procédés pour y parvenir se résument à une pauvre trilogie : les drogues, le sexe, l’alcool. Bien sûr, on peut ajouter des centaines d’autres « techniques », mais en réalité rien n’est véritablement expliqué ni décrit. Un rituel se contente de dire « entrez en état de gnose par les moyens adéquats » et voilà. On croirait presque lire du Lévi ou du Papus dans la brièveté de la chose.
Et, en réalité, qu’est-ce que la gnose si ce n’est un état de transe ? Pourquoi donc aller nous inventer un terme, la gnose, qui peut porter à une mécompréhension ? Faire « in » sans doute, se démarquer des vieilles écoles poudlardesques. Mais cela suffit-il à fournir un outil valable ? Non, car la gnose si elle est transe doit être expliquée. On comprend bien l’horreur des chaotes pour toute doctrine, mais, merde, ils auraient quand même pu nous pondre quelques explications plus convaincantes que celles du post-psychédélisme de Leary.
Le gros péché de la Chaos Magick est de l’avoir fait dans toutes les eaux et d’avoir ainsi récolté les vieux débris des vaisseaux naufragés de l’occultisme dont Crowley fut l’amiral de la déroute. À force de vouloir à n’importe quel prix se détacher des errements doctrinaux de leurs prédécesseurs, les chaotes ont fini par travestir les idées de leur prophète Spare en lui dressant une statue sigillaire de mauvais aloi. Ce qui pouvait constituer sa force de frappe à l’encontre de la citadelle du traditionalisme – la liberté de pratique, l’humour, le refus des dogmes, la déprogrammation… – se réduit à n’être plus que des jouets entre les mains de quelques geeks boutonneux et frustrés.
La recherche d’une voie magique pratique libérée du carcan de la croyance aveugle s’est muée en une danse de Saint-Guy paradigmatique. Le déni absolutiste de la croyance a mené à former des athées ou des fols qui se singent grands prêtres atlantes, doublant ainsi les dérives théâtrales de leurs ancêtres de leurs propres inepties. Au lieu de chercher un équilibre – fut-il libre-penseur en essence – entre foi, mystique et pratique magique, ils ont bâti un dogme de ce « rien n’est vrai » qui justifie les jeux les plus granguignolesques possible.
Et voilà bien ce qui a tué notre Chaos Magick, c’est cette absence de toute spiritualité qui tend à réduire l’arène magique à une scène de la commedia dell Arte sur laquelle le magicien endosse le costume des teletubbies en une vaine imprécation à Coca-Cola ! D’autre part, certains chaotes ont voulu jouer à l’apprenti physicien et à mesurer la qualité scientifique des événements magiques au moyen de formules tout aussi absconses que risibles. La Chaos en dépouillant la magie de ses valeurs métaphysiques, allégoriques, émotionnelles et symboliques n’a fait que tuer la force vive qui meut toute action magique.
Nécrologie : la Chaos Magick est morte ! Fra. Kha, Orient de l’Ouest, 4 nivôses pluvieux.
Nécrologie : la Chaos Magick est morte ! par Fra. Kha
La Chaos Magick est née dans les années 70 dans le même élan que le mouvement punk et se veut un reflet du postmodernisme occidental qui proclame, à son tour, la fin de l’histoire et du futur. En réalité, le postmodernisme est surtout marqué par un vide absolu de tout sens philosophique artistique ou mystique. L’instant prévaut, l’« ici et maintenant » est la règle managériale commune que l’on rencontre aussi bien dans les salons avec la consommation en « un clic » que dans les bureaux où les esclaves modernes se voient contraints de se mouvoir dans une perpétuelle fuite en avant qui ne semble mener nulle part. Le postmodernisme est en ce sens une fin, mais une fin en soi ! Et la Chaos Magick dans son empressement à se débarrasser des dieux et de la « vérité », laisse le bébé s’en aller avec l’eau du bain magique !
L’accent mis sur le « saut de paradigme » (ou saut de croyance) mène aussi à une situation où le magicien pense qu’il peut sans risque et le plus facilement du monde passer d’une divinité à une autre, d’un système de pensée (social ou religieux) à un autre. Ce saut est d’autant plus facile que, puisque la « vérité » et la « connaissance » n’existant par ailleurs pas, le magicien peut se passer d’étudier et d’approfondir les symboles et les énergies concernés. En effet, le magicien arrive, il voit, il veut, il prend et il se barre. Un peu à la manière dont notre société consomme les images, les objets insensés, les pensées et tout le reste au travers de la « mode » — un économique saut de paradigme en fait – le magicien sautille plus ou moins gracilement à la manière de Laura Ingals dans son pré.
Si l’on ne peut douter de la vertu que cette technique peut avoir pour le magicien – une forme de souplesse d’esprit, de marasme doctrinal syncrétique –, on doute de sa valeur quant à l’enseignement retiré et à la réussite du parcours « initiatique » (que l’on nous pardonne ce mauvais écart traditionaliste). Les croyances ne deviennent avec la MacAos Magick rien de plus qu’un bien de consommation rapide, on se tape de la malbouffe mystique à peu de frais, le repas à peine terminé on est déjà chez le voisin pour essayer ses soufi-gratinés.
La Chaos Magick a toujours privilégié la technique par rapport à la mystique. Certains pourront dire que c’est son point fort, et nous les rejoignons là-dessus. Cependant, s’il est vrai qu’il est bon de décourager l’excès de mysticisme dans la pratique magique – au risque de se retrouver dans le grand bardon de l’occultisme – il est également indéniable que la technique seule n’apporte rien. La perfection de la technique, la précision d’horloger que le magicien met dans sa pratique magique le rapproche plus des occultistes alors qu’elle devrait les en éloigner.
Qu’est-ce qu’un rituel s’il n’est chargé d’émotion, de vibrations subtiles qu’entraînent la passion d’une divinité ? La magie utilitaire est-elle si désirable ? Certes, elle apporte ce que convoite le magicien, mais cette satisfaction ne risque-t-elle pas de se résumer à celle qu’éprouve un adolescent lors de l’achat du dernier jeu à la mode ? Ne manque-t-il pas un zeste d’émotion dans ce cocktail ?
Être un magicien, ce n’est pas se contenter de désirer et d’obtenir, c’est aussi chercher à opérer une modification de soi au travers d’une pratique qui actionne des leviers dans notre subconscient. Si l’on se contente d’apprendre des techniques et de se ruer dans un grand magasin pour se servir, cela n’apporte rien selon nous. Si la magie peut être distinguée de la philosophie ou de la mystique qui la sous-tendent, on ne peut ignorer non plus l’apport du phénomène spirituel dans la démarche magique. Le risque n’est-il pas alors de délaisser des « outils » indispensables à sa quête et à son développement intérieur ? Ne s’emparer que des éléments exotériques et mondains d’une foi et en ignorer le fond spirituel, n’est-ce pas de la simple masturbation intellectuelle, voire mystagogique ?
C’est, selon nous, la capacité qu’a le magicien de se forger une Foi qui le peut le rendre non pas supérieur, mais différent de la « masse ». Le système de croyance(s), fut-il personnel ou même syncrétique, joue un grand rôle dans les opérations magiques et, particulièrement, dans l’utilisation de la Volonté. Si l’on admet que « rien n’est vrai » alors, comme nous l’avons déjà dit par ailleurs, nous sommes face à une bouillie conceptuelle et pratique qui voudrait que tout soit égal à tout dans un grand n’importe quoi qui relève, alors, plus du jeu de rôle que de la quête mystique.
La Chaos Magick en voulant développer un système technicien, créer des énarques de la magie, libérés de toute mystique a fini par tomber dans un flou plus qu’artistique. Ne croire en rien et croire en tout devient un credo ânonné par nos chaotes dans une hallucinante absence de questionnement. Peut-on croire qu’invoquer Lilith dans son salon à l’aide d’un fouet et en se branlant sur un crucifix apporte réellement une connaissance de l’intimité de cette divinité ?
Un autre élément de la Chaos Magick qui nous faire pressentir la pauvreté de son paradigme est l’utilisation d’états modifiés de conscience, que la Chaos rebaptise « Gnose ». Si des centaines de pages sont lisibles sur la raison pour laquelle on doit utiliser cette technique, les procédés pour y parvenir se résument à une pauvre trilogie : les drogues, le sexe, l’alcool. Bien sûr, on peut ajouter des centaines d’autres « techniques », mais en réalité rien n’est véritablement expliqué ni décrit. Un rituel se contente de dire « entrez en état de gnose par les moyens adéquats » et voilà. On croirait presque lire du Lévi ou du Papus dans la brièveté de la chose.
Et, en réalité, qu’est-ce que la gnose si ce n’est un état de transe ? Pourquoi donc aller nous inventer un terme, la gnose, qui peut porter à une mécompréhension ? Faire « in » sans doute, se démarquer des vieilles écoles poudlardesques. Mais cela suffit-il à fournir un outil valable ? Non, car la gnose si elle est transe doit être expliquée. On comprend bien l’horreur des chaotes pour toute doctrine, mais, merde, ils auraient quand même pu nous pondre quelques explications plus convaincantes que celles du post-psychédélisme de Leary.
Le gros péché de la Chaos Magick est de l’avoir fait dans toutes les eaux et d’avoir ainsi récolté les vieux débris des vaisseaux naufragés de l’occultisme dont Crowley fut l’amiral de la déroute. À force de vouloir à n’importe quel prix se détacher des errements doctrinaux de leurs prédécesseurs, les chaotes ont fini par travestir les idées de leur prophète Spare en lui dressant une statue sigillaire de mauvais aloi. Ce qui pouvait constituer sa force de frappe à l’encontre de la citadelle du traditionalisme – la liberté de pratique, l’humour, le refus des dogmes, la déprogrammation… – se réduit à n’être plus que des jouets entre les mains de quelques geeks boutonneux et frustrés.
La recherche d’une voie magique pratique libérée du carcan de la croyance aveugle s’est muée en une danse de Saint-Guy paradigmatique. Le déni absolutiste de la croyance a mené à former des athées ou des fols qui se singent grands prêtres atlantes, doublant ainsi les dérives théâtrales de leurs ancêtres de leurs propres inepties. Au lieu de chercher un équilibre – fut-il libre-penseur en essence – entre foi, mystique et pratique magique, ils ont bâti un dogme de ce « rien n’est vrai » qui justifie les jeux les plus granguignolesques possible.
Et voilà bien ce qui a tué notre Chaos Magick, c’est cette absence de toute spiritualité qui tend à réduire l’arène magique à une scène de la commedia dell Arte sur laquelle le magicien endosse le costume des teletubbies en une vaine imprécation à Coca-Cola ! D’autre part, certains chaotes ont voulu jouer à l’apprenti physicien et à mesurer la qualité scientifique des événements magiques au moyen de formules tout aussi absconses que risibles. La Chaos en dépouillant la magie de ses valeurs métaphysiques, allégoriques, émotionnelles et symboliques n’a fait que tuer la force vive qui meut toute action magique.